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AVIS AU LECTEUR.

Ne cherchez point dans cet ouvrage élémentaire les charmes d'une lecture amusante, vous y seriez trompé. J'ai cru que mon seul devoir était d'être simple, clair et précis. J'ai tâché de le remplir. Les écrits du genre didactique ont aussi leur mérite, quand ils sont bien faits. Ce n'est pas celui de se faire dévorer avec grand plaisir par tout le monde, comme les ouvrages d'agrément ; c'est celui de se faire étudier par un petit nombre d'amateurs, avec sérénité, c'est-à-dire sans distraction et sans ennui.

Je n'aspire qu'à ce dernier degré d'honneur littéraire, et je me croirai trop heureux si je l'obtiens. Tout écrivain qui ne fait qu'exposer les éléments d'une science, dont il n'est pas le premier auteur, n'en doit pas prétendre davantage.

Le corps de doctrine auquel cet ouvrage doit servir d'Introduction est celui de mes maîtres, le marquis de Mirabeau, si célèbre sous le nom d'Ami des Hommes, et le docteur Quesnay, que j'ai nommé le Confucius d'Europe, titre trop bien merité pour qu'il ne lui soit pas confirmé par son siècle et par la postérité, comme il l'est déjà par une École nombreuse et zélée pour le bien de l'humanité, qui se glorifie de l'avoir pour chef.

Je dis École philosophique, dans le même sens qu'on a dit École de Zénon, de Pythagore, du Confucius Chinois. J'epère, pour le bonheur des hommes, que celle des Économistes n'aura pas de moindres succès. Honoré des bontés particulières de ces premiers maîtres, je n'ai rien tant à cœur que de répandre le plus qu'il est possible la connaissance de leurs principes. Ils forment une vraie science, qui ne le cède peut-être pas à la géométrie même, pour la conviction qu'elle porte dans les ames, et qui surpasse certainement toutes les autres par son objet, puisque c'est le plus grand bien-être, la plus grande prospérité de l'espèce humaine sur la terre.

C'est dans cette vue que je me suis proposé de publier successivement quelques ouvrages élémentaires pareils à celui-ci '. Le succès du premier essai me décidera sur la suite de l'exécution.

Voici l'objet du premier traité que je mets à la tête de tous les autres, parce qu'il contient les définitions fondamentales et même en quelque sorte le résumé général, ou le coup d'œil presque universel, de la doctrine économique.

Baudeau n'a pas donné de suite à ce projet. Il ne traite guère que de questions spéciales dans tous ses autres écrits, sauf cependant, dans l'Explication du Tableau économique, insérée dans les Éphémérides du citoyen (Tomes XI et XII de 1767; III de 1768 et II de 1770), et dans ses Eclaircissements demandés à M. N***. (Necker), sur ses principes économiques et sur ses projets de législation, au nom des propriétaires fonciers et des cultivateurs français, ouvrage où il a rattaché les principes généraux de la doctrine physiocratique à la discussion de la liberté du commerce des grains.

(E. D.)

Les sociétés policées, surtout les empires vastes et florissants, offrent un spectacle si grand et si varié d'êtres de toute espèce, qu'ils semblent former l'objet le plus compliqué dont l'esprit humain puisse s'occuper, le plus impossible à réduire par analyse à quelques principes simples, faciles à démêler et à calculer.

Les philosophes économistes pensent au contraire qu'il est très aisé de distinguer un petit nombre de premiers éléments, dont la combinaison forme les plus grands États; d'acquérir une idée claire et distincte de chacune de ces parties, et d'assigner avec précision le rapport qu'elles ont entre elles.

C'est donc cette analyse économique des États policés que je me propose de développer. Je la crois très utile pour faciliter, non-seulement la théorie, mais encore la pratique de l'économie politique ou privée, d'où dépendent le bienêtre des hommes et la prospérité des Empires.

Au reste, analyser n'est pas créer. Ainsi les personnes instruites ne doivent chercher ici de nouveau qu'un système simple et clair, suivant lequel on puisse classer les parties qui composent réellement les États policés, et assigner leurs rapports d'une manière facile à comprendre, à retenir et à mettre en pratique.

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Analyse des trois sortes d'Arts qui s'exercent dans les États policés.

Ier. De la Nature et de l'Art en général.

L'homme ne peut se conserver sur la terre, s'y procurer le bien-être, qu'en appliquant à cet usage des objets dont les jouissances utiles ou agréables nous préservent de la douleur et de la mort, perpétueut les individus ou l'espèce, et nous font une vie douce, une existence commode.

J'ose croire que cette première idée n'a pas besoin d'être éclaircie. Les objets propres à nos jouissances utiles ou agréables s'appellent des biens.

Mais tous ces objets de jouissances, tous ces biens, même ceux qui paraissent les plus composés, se réduisent en dernière analyse à des productions naturelles plus ou moins façonnées.

La première distinction économique semblerait donc être celle de la nature, qui produit les objets propres à notre conservation ou à notre bien-être; de l'art qui les assemble, qui les divise, qui les polit en mille et mille manières différentes.

En effet, quand on réfléchit sur les productions naturelles que l'industrie façonne dans les grandes sociétés, pour en former divers objets propres à nos jouissances, on reconnaît bientôt que ces productions, même dans leur état brut, ou dans leur plus grande simplicité primitive, sont, il est vrai, des présents de la nature, mais aussi des effets de l'art, et même de trois espèces d'arts qui s'exercent dans les États policés,

c'est-à-dire de l'art social, de l'art productif et de l'art stérile. C'est ce que je dois expliquer.

II. De l'Art fécond ou productif.

L'homme policé a poussé la réflexion, la prévoyance et l'adresse jusqu'au point de préparer, d'assurer, de multiplier les productions naturelles, d'où dépendent sa conservation et son bien-être.

Tous les animaux travaillent journellement à se procurer la jouissance des productions spontanées de la nature, c'est-à-dire des aliments terre leur fournit d'elle-même.

que

la

Quelques espèces plus industrieuses amassent et conservent ces mêmes productions pour en jouir dans la suite. Presque tous ceux qui nous sont connus façonnent plus ou moins leur habitation, le lieu de leur repos, celui qui sert à l'éducation de leurs petits.

L'homme seul, destiné à étudier les secrets de la nature et de sa fécondité, s'est proposé d'y suppléer en se procurant, par son travail, plus de productions utiles qu'il n'en trouverait sur la surface de la terre inculte et sauvage.

Cet art, père de tant d'autres arts, par lequel nous disposons, nous sollicitons, nous forçons pour ainsi dire la terre à produire ce qui nous est propre, c'est-à-dire utile ou agréable, est peut-être un des caractères les plus nobles et les plus distinctifs de l'homme sur la terre.

On l'appelle art fécond ou productif, parce qu'il travaille directement et immédiatement à opérer la plus grande fécondité de la nature, à tirer du sein de la terre une plus abondante récolte de productions; à préparer, assurer et multiplier la naissance des objets utiles à notre conservation et à notre bien-être.

La fécondité de la nature et de ses productions fait donc l'objet de cet art, puisque c'est pour aider, pour multiplier les opérations de cette fécondité, que nous l'employons avant la naissance des productions, pour que la récolte en soit plus certaine et plus abondante.

La production naturelle, prise dans son état brut ou dans sa plus grande simplicité primitive, caractérise donc cet art fécond ou productif, dont elle est l'effet.

Il s'exerce sur les trois règnes de la nature; car l'homme policé fait usage des animaux, des végétaux et des minéraux divers.

On peut donc subdiviser l'art fécond ou productif en trois arts, suivant ces trois règnes.

La chasse et la pêche rainées et préparées, l'éducation et la multiplication des animaux plus ou moins domestiques, est le premier. L'agriculture proprement dite forme le second.

L'art de tirer les minéraux quelconques du sein de la terre fait le troisième.

Tous les trois appartiennent à l'art fécond ou productif, qui est la cause de la récolte et de son abondance.

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Quand la terre préparée, sollicitée, forcée même, pour ainsi dire, à devenir plus féconde, nous a donné des productions propres à nos jouissances, la plupart ne sont pas encore en état de servir à notre conservation, à notre bien-être, dans l'état brut de leur simplicité primitive.

Mais la réflexion, l'adresse, l'expérience ont appris aux hommes à varier presque à l'infini les objets de leurs jouissances, par les formes différentes qu'ils savent donner aux productions de la simple nature; par les divisions et les altérations qu'ils leur font subir; par la manière dont ils les assemblent ou les incorporent l'une à l'autre.

Il est donc une seconde espèce d'arts, qui s'empare des productions, après que la fécondité de la nature les a données; qui ne destine pas (comme l'art fécond ou productif) ces fruits naturels à revivre dans une postérité semblable à eux, ou à servir de moyens préparatoires, de moyens productifs d'une nouvelle et plus ample récolte du même genre, mais qui se propose seulement de les façonner, afin que la jouissance en devienne plus utile ou plus agréable.

On appelle cet art stérile, infécond ou non productif par opposition à l'art fécond ou productif, parce qu'en effet il s'exerce sur les productions naturelles, non pour aider et pour augmenter leur fécondité; non pour qu'elles se reproduisent et se multiplient, mais au contraire pour les rendre elles-mêmes prochainement et immédiatement utiles aux jouissances des hommes, aux dépens de cette même fécondité, qui périt sous la main de l'art stérile.

Les arts non productifs, bien loin d'être inutiles, font dans les États policés le charme et le soutien de la vie, la conservation et le bien-être de l'espèce humaine.

La plupart même de ces arts stériles exigent beaucoup d'esprit naturel et de science acquise, pour les exercer comme ils le sont dans les grands empires florissants.

Ce n'est donc pas pour déprécier ou avilir cette espèce d'industrie très utile, très nécessaire, qu'il faut distinguer l'art fécond ou productif de l'art stérile, ou non productif. C'est qu'en effet, l'un prépare et augmente la fécondité de la nature et de ses productions, l'autre se contente d'en profiter. L'un s'occupe des productions futures pour en pro

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