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quitte annuel, un produit net fictif, un revenu dégradé par les autres perceptions et par les surcharges qu'elles entraînent.

Troisièmement, une même erreur sur les dépenses publiques comme sur les dépenses privées, règne encore dans cette objection.

Les taxations de toute espèce renchérissent évidemment les soldes annuelles et les salaires journaliers; elles augmentent donc évidemment toutes les dépenses de là naissent deux fautes de calcul.

Premièrement, il ne faut point comparer l'état d'un propriétaire foncier, qui retirerait telle somme de revenu quitte et net annuellement de ses terres, mais qui ne payerait plus rien sur ses consommations ou sur ses jouissances quelconques, ni par lui-même immédiatement, ni médiatement par les ouvriers ou salariés qu'il emploie pour se les procurer, avec l'état d'un propriétaire qui reçoit annuellement la même somme de ses fonds, mais qui trouve tous les travaux, toutes les marchandises renchéries par des taxes.

Mille francs, avec l'immunité parfaite de tous droits sur les personnes, les actions et les objets de jouissances, valent souvent plus pour le bien-être, que deux mille avec toutes les exactions de l'art fiscal renouvelé des Grecs et des Romains.

Secondement, il ne faut de même établir aucune comparaison entre la richesse, la puissance d'un prince qui jouirait de tel revenu total annuel, mais serait obligé de salarier tous ses mandataires, tous ses fournisseurs, tous ses employés quelconques, à proportion des surcharges occasionnées à leurs dépenses par mille et mille sortes de taxations; et la richesse, la puissance d'un autre prince qui jouirait d'un revenu parfaitement égal, mais dont les mandataires, fournisseurs et employés quelconques n'éprouveraient aucune sorte de surcharge dans leurs dépenses, étant affranchis de toute espèce d'exactions sur les travaux et sur les objets de jouissances.

C'est encore un de ces objets qu'on connaît en général, qu'on sait être fort considérable, mais qu'il est comme impossible de calculer avec précision.

Voici donc le vrai sens de cette objection si spécieuse et qu'on a cru si solide le tiers ou même les deux tiers des revenus apparents actuels, qui ne sont pas la moitié des revenus réels, ne suffiraient pas pour les dépenses actuelles, qui sont le double au moins des vraies dépenses. Donc, le retour à l'ordre naturel, qui ferait plus que doubler les vrais revenus et que diminuer de moitié les dépenses, est un système impraticable.

Pour en sentir la solidité, faites cet exemple: Ma terre me rapporte six mille francs et, quand je veux dépenser cette somme, je trouve en

chemin les taxes de toute espèce qui augmentent ma dépense d'environ moitié; je ne jouis donc effectivement que d'environ trois mille livres. L'État, qui fait prélever ou anéantir sur mon revenu pour le moins quatre mille livres, et qui en fait percevoir au moins trois mille sur mes dépenses, n'en retire pas quatre mille quitte et net de ces deux perceptions, parce que les pertes, les frais et faux frais absorbent le reste; mais quand il dépense ces quatre mille livres, il paie lui-même les taxes, et ne jouit que pour environ deux mille livres tout au plus.

Si la perception eût été directe, économique, ma terre eût rapporté dix mille francs au moins; j'en aurais donné trois au trésor public, j'aurais joui de sept sans surcharge, l'État aurait joui de trois sans nulle surcharge.

Voilà où est le cercle vicieux des calculs fiscaux; l'anéantissement des revenus et le renchérissement des dépenses, occasionnés par les taxations diverses, en sont le vrai dénouement, qui rend palpable la fausseté d'un pareil sophisme.

Le prix de ma ferme n'est point mon vrai revenu, tel qu'il serait si on supprimait tous les droits quelconques; l'état de ma dépense n'est point le prix que mes jouissances me coûteraient dans le cas de cette suppression.

Par la même raison, les revenus de l'État perçus économiquement sur mes vrais revenus seraient aussi très considérablement au-dessus de l'estimation actuelle, et ses dépenses au-dessous du prix qu'elles coûtent aujourd'hui.

Quatrièmement, enfin, s'il était malheureusement vrai qu'après la restitution du revenu à son véritable état, et après la réduction des dépenses à leur juste valeur, six vingtièmes ou trois dixièmes du produit net territorial actuel ne suffissent pas aux dépenses ordinaires et accoutumées, il n'y aurait qu'une conclusion juste et raisonnable à tirer de cette vérité, ce serait la nécessité de restreindre les objets de dépense; et quel est l'empire où cette restriction ne pût pas être opérée, dès qu'elle serait prouvée nécessaire?

En effet, où est l'État policé dont l'administration soit tellement réglée, qu'on n'y puisse trouver aucun objet de dépense qui ne soit absolument indispensable en lui-même, aucun qui ne soit payé beaucoup plus qu'il ne pourrait l'être, soit à cause de la multiplication des agents, soit à cause de l'excès des soldes ou salaires? S'il en existe quelques-uns, ils sont manifestement en très petit nombre.

Dans la majeure partie du monde civilisé, tout administrateur suprême qui voudrait rétablir l'ordre et la perception économique, trouverait dans la dépense bien des objets à élaguer, bien des doubles, tri

ples, quadruples emplois de salariés inutiles; bien des travaux et des ouvrages payés trois ou quatre fois plus qu'ils ne valent en réalité.

Il n'en est donc pas un seul dans lequel la perception économique des six vingtièmes du produit net territorial ne fût un revenu suffisant, capable de faire face à toutes dépenses.

Je dis les six vingtièmes des revenus augmentés jusqu'à leur véritable valeur, applicables à la dépense réduite à ses véritables objets payés leur juste prix.

Toutes les objections, proposées contre cette règle fondamentale de justice et de sagesse, sont donc totalement illusoires : c'est l'intérêt personnel des exacteurs qui les propose; c'est le préjugé qui les adopte '.

La loi du partage amical fondé sur la raison et sur l'équité naturelle n'en est donc pas moins la vraie base de la société, le vrai rempart des libertés et des propriétés, le vrai, le seul lien qui les unisse intimement avec l'autorité, union qui caractérise essentiellement les vraies monarchies.

Suivant cette loi, la souveraineté a son patrimoine, sa propriété, qui ne prend rien sur la propriété des citoyens quelconques; au contraire, qui lui est proportionnelle, qui s'accroît quand elle prospère, qui diminue quand elle se dégrade, qui ne blesse en rien les libertés; au contraire, qui profite de tout usage de ces libertés, qui souffre de toutes les atteintes qu'on pourrait y porter.

V. - De l'instruction économique et de son efficacité.

La perception directe des vrais revenus de la souveraineté procure donc les moyens de remplir les fonctions augustes et bienfaisantes de l'autorité suprême : c'était la première partie du problème à résoudre.

1 Croit-on, par exemple, que les propriétaires, qui payent aujourd'hui 276 millions de contribution foncière, ne gagneraient rien à prendre à leur charge les 1306 millions du budget, si, par contre-coup, ils étaient dégrevés de tout ce qu'ils payent, directement ou indirectement, pour l'enregistrement et le timbre, les droits de douane et la taxe du sel, l'impôt sur les boissons et le tabac, l'excédant sur les frais du service de la poste, etc.? Et puis, d'ailleurs, est-ce que l'État aurait besoin d'un revenu de 1 milliard 306 millions, s'il n'était pas, comme le remarque l'abbé Baudeau, obligé de salarier tous ses mandataires, tous ses fournisseurs, tous ses employés quelconques, à proportion des surcharges occasionnées à leurs dépenses par mille et mille sortes de taxations? Est-ce qu'entre autres réductions possibles, il n'y aurait, notamment, rien à rabattre sur le chiffre de la 4o partie du budget des dépenses, absorbant à elle seule, sous la rubrique, Frais de régie, de perception él d'exploitation des impôts et revenus publics, la somme de 150 millions (Budget de 1846)? A la vérité, ce n'est point aux hommes de finances qu'il faut soumettre de pareilles questions.

(E. D.)

Une portion sagement déterminée du revenu clair et liquide des fonds de terre, procure une richesse publique évidemment supérieure à toute richesse privée, par conséquent une puissance prédominante et souveraine, qui s'accroît sans cesse par le bon usage qu'en fait l'autorité.

Mais comment empêcher l'abus de cette puissance, ou le mauvais emploi des forces qu'elle rassemble? C'est la seconde partie du problème.

Dans toutes les contrées du monde connu, dans toutes les époques des histoires qui nous restent, on a vu les hommes s'agiter pour la solution de cette grande question politique.

C'est uniquement pour cet objet important que furent instituées toutes les républiques anciennes et modernes, que furent consacrés les contrepoids politiques ou les contre-forces qu'on appelle aussi pouvoirs intermédiaires, que furent enfin invoquées et pour ainsi dire sanctifiées, les lois qu'on appela fondamentales dans les différents empires.

Toutes ces inventions caractérisent les États mixtes qui ne sont ni le despotisme arbitraire, ni la monarchie économique.

Je les appelle mixtes, parce que leurs constitutions mobiles et arbitraires peuvent remplir tout l'intervalle qui se trouve entre le despotisme arbitraire proprement dit, qui est le comble du désordre et de l'injustice, et la vraie monarchie, qui est la perfection de la justice par essence, et de l'ordre naturel de bienfaisance.

D'où il résulte que les institutions caractéristiques d'un État mixte sont d'autant plus préjudiciables, qu'elles s'écartent plus de la monarchie économique.

Vivement frappés des maux qu'entraîne l'abus des richesses et des forces combinées pour le service de la véritable autorité, les hommes ont cherché les moyens d'empêcher cet abus; ils en ont inventé mille espèces différentes, totalement inutiles, et ont négligé le seul véritablement efficace, qui est l'enseignement public, général et continuel de la justice par essence, de l'ordre naturel de bienfaisance.

Tous les autres moyens, tels que les formes républicaines, les contreforces politiques et la réclamation des lois humaines et positives, appelées fondamentales, sont des remèdes insuffisants pour arrêter les abus de la force prédominante, destinée à servir l'autorité véritable, instruisante, protégeante et administrante.

Mais l'enseignement économique est le vrai remède à cet abus: c'est ce que je me propose de développer en peu de mots, sans insister

1

V., sur le Despotisme arbitraire, Mercier de La Rivière, p. 469 de ce volume,

en nole.

sur des détails qui ne peuvent entrer dans un ouvrage élémentaire'. Figurez-vous en effet un peuple totalement instruit, depuis plusieurs siècles, de tous les principes de la morale économique, aussi simple qu'elle est sublime et salutaire. Figurez-vous que l'universalité presque entière des citoyens sait, dès sa plus tendre jeunesse, ce que c'est que propriété, que liberté, que justice, que bienfaisance, que crime et délit naturels; ce que c'est qu'autorité, qu'instruction, que protection, qu'administration; ce que sont les trois arts caractéristiques des États policés, ce que sont les trois classes d'hommes qui s'en occupent, quels sont leurs devoirs et leurs droits respectifs, quel est le vœu général de la nature, l'intérêt universel de l'espèce humaine, le but des sociétés, quelles sont les institutions sociales qui remplissent ce grand objet, quelles sont les erreurs qui en détournent les hommes réunis en États politiques.

Ne voyez-vous pas dans cette instruction générale une contre-force naturelle opposée aux volontés usurpatrices et vexatoires, contre-force d'autant plus puissante, que la conviction sera plus intime, la lumière plus vive, le sentiment plus enraciné?

le

Rappelez-vous que cet enseignement des précieuses vérités morales économiques est simple, naturel, satisfaisant pour l'esprit et pour cœur; qu'il est plus facile à inculquer au commun des hommes, que l'assemblage de traditions, d'opinions et de superstitions populaires, dont toutes les nations connues sont infectées sans nulle exception, même les moins policées de l'Amérique septentrionale.

Considérons maintenant que les dangers à prévenir sont des usurpations de propriétés, des violations de libertés publiques ou particulières, par des volontés spéciales et transitoires, ou par des règlements généraux et permanents: ceci posé, faisons ce parallèle.

Voici deux empires dans lesquels la force prédominante est exactement la même quant aux richesses du souverain et au nombre de ses mandataires.

Mais dans l'un de ces empires règne l'ignorance la plus profonde sur la loi de la justice essentielle, sur l'ordre bienfaisant de la nature; le peuple abruti n'a ni le loisir, ni la volonté de réfléchir; les préposés du

' Voyez, sur cette nécessité de l'instruction, ou plutôt de l'éducation, Quesnay, Droit naturel, chap. 3, p. 53 de ce volume, et la seconde de ses Maximes gèserales, p. 81, ibid.; -Turgot, commencement du Mémoire sur les municipalitės; — Mercier de La Rivière, Ordre naturel des sociétés politiques, ch. 8 des anciennes éditions; et surtout, M. Rossi, Cours d'économie politique, T. I, 17° leçon.

(E. D.)

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