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primées; plus aucun germe des idées et des sentiments qui l'entretiennent, ni des fâcheux éclats qu'elle produit si souvent, au grand préjudice de l'humanité.

C'est cette perfection de connaissance, de lumières, de conviction intérieure, confirmée dans toutes les âmes, qui constituerait la perfection totale de la monarchie économique, dans laquelle tout abus de la force souveraine d'une part et toute désobéissance à l'autorité d'autre part, seraient impossibles.

Perfection absolue, qui n'est qu'une idée sans doute, qu'un être de raison, quand il s'agit de la pratique; mais idée qui n'en est pas moins naturelle et essentielle, être de raison qui n'en sert pas moins de règle inviolable.

C'est ici que je crois devoir insister sur cette vérité simple, mais indispensablement nécessaire à bien connaître et à se rappeler sans cesse.

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« Si la conviction intime, générale et continuelle, du code essentiel de la justice et de l'ordre dans toutes les âmes, fait le caractère des monarchies économiques parfaites et absolues, en ce cas, c'est une chimère que vous avez décrite et que vous conseillez de chercher. » On a répété cette objection sous mille et mille formes différentes, qui reviennent toutes à peu près au même, et on l'a cru triomphante, tant il est vrai que les hommes sont faciles à distraire des vérités utiles !

Oui, toute perfection absolue est chimère pour les hommes, si vous appelez chimère ce point idéal et métaphysique que la raison conçoit, et qui sert de règle primitive dans la spéculation et dans la pratique.

Demandez aux géomètres qu'ils vous montrent en réalité un cercle parfait, physiquement décrit, ils vous diront que c'est évidemment la chose impossible aux hommes. Demandez aux mécaniciens qu'ils vous montrent une machine parfaite, en quelque genre que ce soit, par exemple aux horlogers, une montre, une pendule de toute perfection physique demandez aux naturalistes qu'ils vous montrent un animal, un végétal, un minéral même, parfait, accompli, absolument pur, sans alliage ou sans défaut dans son espèce, ils vous répondront que c'est la chose absolument impossible.

Qu'en concluez-vous? Qu'a-t-on coutume d'en conclure? En est-il moins vrai qu'avec le compas le meilleur possible, et l'attention et l'habitude la plus grande possibles, on décrit le cercle le plus cercle qu'il soit possible, c'est-à-dire le moins éloigné de l'idée métaphysique d'une

circonférence dont tous les points sont également éloignés du centre? Idée métaphysique, c'est-à-dire impossible à réaliser.

En est-il moins vrai que ce cercle tout idéal sert de règle fondamentale à tous les autres, et qu'il les juge tous, depuis le cercle le plus informe que trace la main incertaine d'un enfant ou d'un vieillard, jusqu'à celui que décrit avec le plus parfait des compas le géomètre le plus exercé?

En est-il moins vrai que c'est une montre totalement idéale et impossible à réaliser, qui a jugé, qui juge.et jugera toutes les montres physiques faites et à faire, et qui a marqué la différence entre la plus détraquée et le meilleur chef-d'œuvre de Julien Leroy?

En est-il moins vrai que c'est sur un modèle idéal et imaginaire qu'on pense et qu'on dit : cette plante, cet arbre, cet animal est beau, est bon, est plus beau, est meilleur; que c'est d'après une chimère qu'on décide du titre de l'or et de l'argent qui sont entre nos mains?

En concluez-vous que toutes les règles de géométrie, de mécanique, de physique, de chimie, sont absolument fausses et inutiles; qu'il n'y a point de différence entre les cercles, entre les machines de l'art, entre les productions naturelles, entre les êtres vivants, entre les métaux, que tout est égal et doit être fait ou pris au hasard? Ce serait évidemment le comble du délire.

Eh! pourquoi, s'il vous plaît, voudriez-vous que l'art d'organiser les sociétés humaines n'eût pas comme les autres, pour patron ou pour modèle, une idée métaphysique de perfection impossible à réaliser dans son tout complet et absolu, mais dont l'ignorance et la maladresse nous éloignent plus, dont la science et l'exercice nous approchent davantage ?

La santé parfaite d'un homme est aussi une chimère toute métaphysique, elle n'existera jamais; donc, il ne faut point mettre de différence entre l'état de l'homme qui est actuellement le plus près de la mort, et de celui qui jouit de la meilleure constitution?

Il en est de même de tout ce qu'on voit, de tout ce qu'on peut imaginer comment des hommes raisonnables, des philosophes, ont-ils cru que c'était une objection proposable contre les principes de la science économique, et notamment contre le premier de tous, savoir: l'efficacité de l'instruction?

Vous supposez, nous ont-ils dit, les hommes parfaits, sans ignorance, sans passion, et dès lors vous êtes dans la région des chimères et des abstractions métaphysiques.

Oui, nous le supposons, quand il s'agit de définir le point de la plus grande perfection possible. Toutes les sciences et tous les arts en font

autant, c'est par là même qu'ils sont arts et sciences, car sans cela ils ne seraient que tâtonnements et routines aveugles.

Mais ces chimères jugent les réalités : elles sont d'autant meilleures, qu'elles s'en éloignent moins; d'autant plus mauvaises, qu'elles s'en écartent davantage.

Oui, pour qu'un État fût en réalité une monarchie économique de toute perfection, il faudrait que les idées et les sentiments qui résultent de l'instruction morale économique fussent toujours présents et agissants dans tous les esprits et dans tous les cœurs; ce qui est impossible à espérer, et même, si vous voulez, chimérique à imaginer.

Tout de même que, pour faire une montre de toute perfection, il faudrait des métaux absolument parfaits, travaillés avec une attention et une exactitude parfaites, par un homme parfaitement instruit, parfaitement adroit; ce qui est impossible à espérer et même chimérique à imaginer.

J'ose croire qu'après cette explication, les hommes instruits rougiront désormais de nous faire cette objection tant rebattue jusqu'à pré

sent'.

L'idée métaphysique de monarchie économique toute parfaite étant donc prise pour modèle, pour but vers lequel on doit tendre sans cesse sans jamais espérer de l'atteindre entièrement, on verra que sa touteperfection consiste principalement dans la persuasion intime, spéculative et pratique, universelle et continuelle, du code éternel de justice et de bienfaisance naturelles, persuasion qui est l'effet le plus complet possible de l'instruction morale économique, de l'instruction la plus parfaite imaginable.

De ce principe désormais incontestable, à ce que j'ose croire, ils conclueront que le perfectionnement progressif et continuel de cette ins

1 S'il est rare que les adversaires du progrès n'aient pas de bonnes raisons personnelles, quand ils argumentent, de l'imperfection de notre nature, contre la recherche des principes du bien absolu, on ne peut se dissimuler qu'il ne manquera jamais, peut-être, d'hommes instruits pour renouveler l'objection; mais la réponse n'en est pas moins victorieuse. Elle n'est, aussi, qu'un judicieux développement de la pensée de Turgot, dans les lignes ci-après : « C'est toujours le mieux dont on doit s'occuper dans la théorie. Négliger cette recherche sous prétexte que ce mieux n'est pas praticable dans les circonstances actuelles, c'est vouloir résoudre deux questions à la fois : c'est renoncer à l'avantage de poser les questions dans la simplicité qui peut seule les rendre susceptibles de demonstration; c'est se jeter sans fil dans un labyrinthe inextricable, et vouloir en démêler toutes les routes à la fois, ou plutôt c'est fermer volontairement les yeux à la lumière, en se mettant dans l'impossibilité de la trouver. (Plan d'un Mém. sur les imposit., ŒUVRES, I, p. 395).

(E. D.)

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truction publique sur le code éternel, emporte nécessairement par luimême le perfectionnement progressif et continuel des sociétés policées. C'est-à-dire, que ce perfectionnement de l'instruction morale économique, après avoir écarté de plus en plus l'idée fatale et absurde du pouvoir soi-disant législatif arbitraire, qui sert de base au despotisme déréglé d'un ou de plusieurs, rendrait de plus en plus les passions humaines moins funestes et moins dangereuses, tant les passions des hommes dépositaires des forces et des richesses combinées par l'art social, que celles des hommes propriétaires de leurs seules forces, de leurs seules richesses privées.

On en concluera 1°, que de multiplier ou de diminuer le nombre de ceux dont les volontés aveugles, usurpatrices, désastreuses, forcent des aveugles à souffrir ou à opérer des usurpations, des vexations; 2°, que détruire les uns pour les remplacer par d'autres, ce n'est pas le vrai remède aux maux que fait souffrir nécessairement à l'humanité tout attentat contre les propriétés et les libertés; et qu'un seul rayon de lumière économique répandu, conservé dans un peuple, vaut mille fois plus que toutes les révolutions, toutes les institutions dont l'histoire nous présente le détail, avec la preuve trop complète de leur inutilité.

On en concluera que dans les États mixtes (quelque nombre d'hommes qui soit renfermé sous ce titre de souverain, quelque espèce de forme qui soit usitée pour opérer ce qu'on appelle loi), la perfection ou la prospérité sera toujours proportionnelle à l'instruction morale économique, toujours à la persuasion intime, spéculative et pratique, du code éternel de justice et de bienfaisance.

Avec elle, tout est bon, tout est efficace; sans elle, tout est mauvais, tout est inutile. Quand on invoque des lois fondamentales, si ce sont les lois de ce code sacré, immuable, imprescriptible, dicté par la nature et son auteur suprême, on a toujours droit et raison à la face du ciel et de la terre; mais cette réclamation toujours sainte et légitime, qui ne peut être rejetée sans crime, est d'autant plus sûre de son effet, que ce code divin est plus connu, plus respecté, plus chéri.

Si, par pouvoir intermédiaire, on entend le pouvoir des consciences vraiment éclairées, des âmes pénétrées d'horreur pour le crime, d'un culte religieux pour la loi de justice, d'un amour tendre et généreux pour l'ordre bienfaisant, on a toujours raison de compter sur leur force; mais elle sera d'autant plus irrésistible, qu'ils seront en plus grand nombre etplus animés de ces sentiments sublimes.

Si l'on entend, par contreforces, l'état des mandataires et des coopérateurs de l'autorité souveraine, sollicités d'un côté par leurs passions privécs, par leurs intérêts exclusifs, usurpatifs et vexatoires, retenus

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de l'autre par leur propre sentiment intérieur de la justice et de l'ordre, par la lumière qui éclaire leurs consorts et leurs égaux, par celle des peuples qu'ils ont à protéger, instruire ou rendre prospères, par celle des hommes qui les surveillent et les régissent eux-mêmes, on a raison de croire à leur efficacité; mais elle est d'autant plus certaine, que ces lumières générales, qui sont contreforces des passions particulières, sont plus vives et plus répandues.

Si vous appelez lois fondamentales des volontés humaines qui ne soient pas fondées sur la loi de justice essentielle et d'ordre naturel de bienfaisance; si vous opposez ces commandements arbitraires au langage de la raison, à l'intérêt universel, vous avez tort; vous manquez au respect que nous devons tous au législateur suprême, vous blessez les droits de l'humanité.

Si vous appelez pouvoir intermédiaire la faculté d'empêcher même ce qui est bien et de nécessiter même ce qui est mal; d'arrêter ou de dévoyer l'autorité instruisante, protégeante, administrante, vous avez tort, et vous résistez d'une manière funeste à l'ordre bienfaisant.

Si vous appelez, enfin, contreforces le choc des passions aveugles, exclusives, oppressives, usurpatrices, contre d'autres passions aveugles, exclusives, oppressives, usurpatrices, comme l'entendent et l'expliquent formellement de célèbres modernes, vous avez tort encore, parce que vous substituez la guerre à la paix, les combats à la société, la lumière aux ténèbres, les vices et les crimes aux bienfaits et à la vertu.

Il est certain, comme vous dites, que, si deux hommes sont acharnés l'un contre l'autre, il vaut mieux qu'ils se tiennent colletés à force égale autant qu'il est possible, et qu'ils épuisent leurs forces en vaines tentatives l'un contre l'autre, que si l'un prévalait pour assommer son adversaire; mais il vaudrait beaucoup mieux qu'ils ne se battissent point, qu'ils ne fussent point ennemis, et que, connaissant l'égalité de leurs forces, écoutant d'ailleurs la raison et la justice, ils allassent en paix chacun à leur ouvrage.

Cette lutte continuelle des dépositaires de l'autorité, qui se colletent sans cesse (même à forces égales, ce qui serait la sublime perfection d'un système tant vanté et si peu digne de l'être), est évidemment un état de guerre; le contraire de la société, le contraire dans le principe, le contraire dans l'action, le contraire dans les effets.

Je n'en dirai pas davantage sur cet article important, pour ne pas outrepasser les bornes qui conviennent à cet ouvrage élémentaire : l'intelligence du lecteur peut suppléer le reste.

On conçoit maintenant cette vérité, que les formes des États démocratiques, des aristocraties, des monarchies plus ou moins tempérées,

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