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Il est donc vrai, par rapport aux choses qui ne sont pas consommables, ni propres à un usage vraiment utile, que c'est l'idée qu'on y attache et la rareté qui en font le prix. Mais ces causes, formant l'opinion générale, suffisent pour donner un cours aux choses, de manière que leur prix ne dépende pas de l'opinion particulière des contractants, comme le prétend M. l'abbé de Condillac, ainsi que je le dirai ci-après.

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C'est donc la concurrence des consommateurs et des productions à vendre qui décide souverainement de la valeur. Les circonstances locales cèdent à cette cause générale, et sont presque effacées par elle, à moins qu'elles ne soient très étendues, comme il arrive lorsqu'une grande contrée est affligée de la disette, ou se trouve dans l'abondance. Mais la concurrence ne fixe la loi des prix que d'après les causes ci-dessus.

Ainsi, par exemple, comme la communication ne peut se faire sans frais, la concurrence n'établit ordinairement le niveau que sous la différence qui en résulte, quoique souvent aussi elle agisse sans y avoir le moindre égard, comme je le ferai voir par la suite.

Le pouvoir de la concurrence n'empêche pas la vérité du principe, que la valeur dépend de la rareté ou de l'abondance; mais c'est que cet état est relatif, et c'est la concurrence qui le détermine. Chacune de ces causes a donc son effet propre, et agit suivant l'état donné des choses; et comme cet état est dans une variation continuelle, la valeur n'est jamais fixée et ne peut l'être. Voulez-vous la fixer autant qu'il est possible, établissez la plus grande liberté de commerce, et ouvrez-lui de toute part des communications.

X. Les productions sont elles-mêmes la cause ultérieure de la valeur.

Mais il est ici un enchaînement nécessaire. La concurrence, qui n'est que la combinaison des productions avec la consommation, déterminant les rapports d'échange, il faut aller plus loin, et rechercher quelle est la cause ultérieure de la valeur; et nous reconnaitrons que ce sont les productions elles-mêmes.

Ce point de vue est très important à envisager. Ce sont les productions elles-mêmes qui sont le principe de la valeur; elles entrent toutes dans la balance des échanges, et font contrepoids les unes avec les autres. C'est donc l'état de la culture qui décide, non-seulement de la quan

tité des choses consommables, mais aussi de leur valeur, puisque c'est lui qui décide de la faculté de les obtenir par l'échange, et qui fournit les moyens plus ou moins abondants de les payer. La terre, à la vérité, ne donne que les productions qui tiennent de la nature la qualité physique d'être propres à nos besoins; et c'est l'échange qui leur attribue la valeur, qualité relative et accidentelle. Mais, comme ce sont les productions elles-mêmes qui sont la seule matière des échanges, il s'ensuit qu'on peut dire exactement que c'est la terre qui produit non-seulement tous les biens, mais toutes les richesses.

Les travaux et les dépenses qu'on fait pour la terre ont pour objet de fournir à la consommation, et n'ont pas d'autre but. C'est le succès de ces travaux et de ces dépenses qui décide de la faculté de consommer, non-seulement pour ceux qui font naître les productions, mais pour toute la société : car, prise dans sa totalité, elle n'a à dépenser que sa reproduction annuelle; laquelle se partage en deux parts, les reprises de la culture et le produit net, qui, distribuées ensuite et subdivisées à l'infini par le payement de tous les autres travaux, alimentent le surplus de la société.

On opposera peut-être que cette manière de voir paraît contredire le principe, que l'abondance et la rareté influent sur la valeur, et qu'il s'ensuivrait au contraire que l'abondance, bien loin de la diminuer, aurait pour effet de l'augmenter, ou du moins de la soutenir. Mais il n'y a point ici de contradiction, et ces deux causes agissent sans se nuire, parce que les états de rareté et d'abondance sont relatifs, nonseulement à la masse de la reproduction, mais aussi au nombre des consommateurs, et surtout à leurs facultés, et encore à la facilité et à la liberté du commerce.

A cette réponse générale, on peut en ajouter une plus particulière. Il est certain que, toutes choses restant les mêmes d'ailleurs, l'abondance de telle production a pour effet d'en diminuer la valeur; c'est-à-dire, qu'on en donnera plus que l'année précédente, pour avoir la même quantité d'une autre production dont la récolte n'a été qu'ordinaire, et vice versâ. La raison en est que, sans que le nombre des consommateurs soit augmenté, sans que la quantité des autres productions soit plus grande, il se présente à l'échange une plus grande quantité de la production dont il s'agit. Il faut donc, pour pouvoir être débitée, qu'elle baisse de prix; c'est-à-dire, qu'on en donne plus qu'à l'ordinaire pour une quantité déterminée des autres productions. Car, la faculté de la payern'étant pas augmentée pour les consommateurs, qui ne peuvent l'acquérir que par l'échange de leurs productions, dont la mesure est restée la même; si les propriétaires de la production surabondante ne voulaient pas làcher

la main, il leur en resterait nécessairement une partie. Ils sont donc forcés par la nature des choses, par le besoin de vendre et la concurrence qui est entre eux, de baisser le prix.

Mais supposons qu'une année soit également abondante en toutes sortes de productions, pourra-t-on dire qu'elles soient toutes diminuées de valeur? On le dira peut-être, si l'on ne considère que les apparences et le rapport de l'argent avec chaque production en particulier. Mais si le commerce ne se faisait que par échange, il faudrait dire que la consommation a pris un accroissement notable, et non que chaque production a perdu de sa valeur ou de son rapport d'échange. Car, si l'on donne plus de telle production, on reçoit plus des autres : l'égalité relative est donc conservée; il n'y a de changement absolu que dans la consommation, et la consommation n'est augmentée que parce que la faculté de consommer est accrue généralement.

L'introduction de l'argent dans le commerce ne change rien à ce rapport. Car, si l'on est forcé de donner pour 18 liv. une quantité de telle production qui en valait 24, lorsqu'on employera ce même argent à acheter, on aura également pour 18 liv. ce que l'on payait 24. On peut donc consommer un quart de plus, et c'est être plus riche que de pouvoir consommer davantage.

XI. La valeur dépend de la population et de l'aisance de la po

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pulation.

Le nombre des hommes n'influe pas toujours sur la consommation autant qu'il le devrait. Elle dépend non-seulement de la population, mais de l'aisance ou de la misère de cette population qui décide de la consommation effective et du prix auquel elle se fait; car le débit se fait à tout prix, et il n'y a que le bon prix qui puisse soutenir ou relever la culture.

Dans une nation appauvrie de longue main par une administration contraire à l'ordre, deux causes concourent à priver les productions de la valeur à laquelle elles atteindraient naturellement. 1o La population est moindre, parce qu'elle se proportionne toujours aux moyens de subsistance, quoiqu'elle les excède plutôt qu'elle ne reste au-dessous '. 2° Parmi les hommes qui existent, il en est un très grand nombre qui désireraient bien consommer, et qui sont réduits à des privations rigoureuses. Leurs facultés sont si bornées, qu'ils ne peuvent payer qu'à bas prix le peu de consommations qu'ils font, de manière que le besoin de

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' V. Quesnay, XVIo Maxime du gauvernement économique.

vendre force de baisser le prix, ce qui retient la culture dans un état de faiblesse et d'inaction.

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XII. La reproduction et la consommation sont réciproquement la mesure l'une de l'autre '.

Quoique tout procède de la reproduction, puisque c'est elle qui décide de la consommation et des moyens de la payer, ces deux causes réagissent l'une sur l'autre. La reproduction est la mesure de la consommation, et la consommation est la mesure de la reproduction.

Il est aisé de concevoir que la reproduction est la mesure de la consommation; mais en quoi la consommation influe-t-elle si fort sur la reproduction? Ce ne peut être qu'en tant qu'elle devient utile à ceux qui font naître les productions. Sans cela, ils ne travailleraient pas à les multiplier au-delà de leurs besoins personnels. Il n'y a que le désir de jouir qui puisse engager à cultiver pour soi et pour les autres. Pour jouir, on a besoin des autres hommes dont on achète les travaux par des productions, et qu'on associe à sa dépense. Par ce moyen, on jouit, sous une forme nouvelle, de cet excédant qui deviendra inutile, si d'autres ne le consommaient. C'est donc l'avantage que les propriétaires des productions trouvent à les faire consommer par d'autres, qui les engage à étendre indéfiniment la culture, tant qu'ils ne manqueront pas d'hommes qui ne demanderont qu'à consommer, et qui offriront en échange des services agréables à ceux qui pourront les payer; ainsi toute l'économie politique ne roule que sur l'intérêt personnel. Les uns s'empressent de multiplier les moyens d'acheter des services de tout genre, les autres de gagner des salaires.

XIII. On ne peut améliorer la reproduction que par la valeur. Mais, puisque la reproduction et la cousommation ont l'une sur l'au

tre un effet réciproque, on ne peut améliorer d'un côté qu'on améliore de l'autre. Le point est de savoir par où l'on peut com

mencer.

La reproduction est, à lavérité, la matière de la consommation; mais comme elle ne peut s'obtenir que par les travaux et les avances, qu'il faut dépenser avant de récolter, et dépenser davantage avant de récolter

V. le chapitre 6, de l'Ordre naturel des sociétes politiques, de Mercier de la Rivière.

davantage; c'est par le rétablissement de la valeur qu'il faut commencer le cercle de prospérité.

Mais comment augmenter la valeur avant d'avoir augmenté, par la reproduction, la faculté de payer? Il n'y aurait pas de moyen d'y parvenir pour une nation dont la culture serait dégradée, et qui cependant serait gouvernée par les lois de l'ordre; mais c'est ce qui implique contradiction. Une nation pauvre est nécessairement une nation dont l'administration est depuis longtemps contraire à l'ordre, chez laquelle mille causes étrangères et factices viennent déranger les rapports d'échange, chez laquelle des impôts indirects et des prohibitions de commerce détruisent le débit et la valeur. Dès-lors, l'équilibre de prospérité est rompu, et remplacé par l'équilibre de misère et de dégradation. Il n'y a plus d'autre calcul à faire que celui de la perte qui en résulte, et dont on ne peut même saisir que les effets les plus frappants.

Et c'est là ce qui rend les impôts sur les consommations si funestes, que la somme levée par cette voie ne présente qu'une partie de la perte qui en résulte sur la valeur et sur la culture, non-seulement dans la partie qui est grevée directement, mais dans la totalité de la reproduction. Le dommage devient double par les contre-coups, parce que les productions ne se payant qu'avec des productions, il y a moins de moyens d'acheter; par conséquent diminution de valeur, et dégradation de toutes les cultures.

Le rétablissement de l'ordre produit l'effet inverse; il commence par rétablir la valeur, d'où résulte la régénération des avances et l'amélioration de la culture.

XIV. Importance de la valeur.

Quoique la valeur ne soit qu'une qualité relative, elle est donc bien importante, puisqu'elle décide de l'état de la culture et de la somme du produit net, qui est la mesure des richesses et de l'aisance d'une nation.

En effet, si les cultivateurs ne travaillaient que pour eux-mêmes, la valeur serait indifférente: mais aussi borneraient-ils leur travail à faire naître leur simple nécessaire. Il n'y aurait par conséquent qu'une classe d'hommes occupée à faire naître sa subsistance, et dont les autres besoins ne seraient remplis que très imparfaitement. Dès-lors il n'existerait point de société, car il n'y aurait point d'hommes disponibles qu'on pût distraire de ce travail, parce qu'il n'y aurait point d'hommes disponibles qu'on pût employer à leur subsistance: bientôt même il n'y aurait plus de culture, faute de sûreté dans les propriétés.

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