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cide toutes les questions d'administration, et en particulier celle de l'impôt (comme je l'ai fait voir dans le Résumé qui termine mon IV Discours sur l'ordre social '). Sans elle, on n'aperçoit dans la circulation qu'un mouvement rapide et confus, et l'on ne sait d'où il part: on voit des travaux sans nombre qui tous font vivre leurs agents, et quelquefois les enrichissent, et on les met tous sur la même ligne; on voit les matières premières doubler, tripler de valeur, et l'on en conclut un accroissement de richesses.

Demandez à la plupart des gens qui n'ont jamais réfléchi sur ces matières, quelle est la source des dépenses, et d'où vient pour chacun des citoyens la faculté d'acheter et de payer. On vous répondra, sans aller plus avant, que chacun achète avec son argent; et cet argent, vous dirat-on, vient au propriétaire de son revenu qui lui est payé par son fermier, au rentier des arrérages provenant du prêt de son capital, au propriétaire de maison de ses loyers, au commerçant de ses profits, au manufacturier de la vente de ses ouvrages, au peuple de son industrie et de ses salaires : chacun vit comme il peut de son métier. La plupart des gens ne percent pas plus loin et n'en cherchent pas davantage. A

1 Ce Résumé répète presque littéralement ce qui se trouve dit au ch. vi, § 5 de l'Introduction à la philosophie économique de l'abbé Baudeau; mais il est précede de la note suivante, que nous croyons devoir reproduire :

« Etablir l'impôt direct, c'est dans le paint le plus important rendre un hommage réfléchi aux vérités capitales qui constituent l'ordre social fondé sur l'ordre physique. C'est reconnaître, par exemple, que la terre est l'unique source de toutes les richesses. Or, de ce seul principe, vu dans toute son étendue, dérive toute bonne administration et toute législation sage et prospère.

«En effet, si la terre est l'unique source des richesses, il n'est rien qu'on ne doive faire pour rendre cette source plus abondante. Toutes les opérations publiques doivent être dirigées vers ce but et combinées avec ce grand intérêt; aucune ne peut lui être étrangère. Les moyens physiques de multiplier les productions sont le travail et les avances. Mais les hommes ne se détermineront pas, et même ne pourront pas employer ces moyens dispendieux autant qu'il est nécessaire pour obtenir une forte reproduction, si la certitude d'y trouver leur intérêt ne leur en donne la volonté et la faculté; c'est-à-dire, s'ils ne jouissent de la plus grande sûreté dans l'exercice de leurs droits de liberté personnelle et de propriété mobilière et foncière. Telle est la condition sociale de la culture. Ses succès n'ont d'autre mesure que la manière dont cette condition se trouve remplie de la part de ceux qui gouvernent, et tous les détails de l'administration y ont un rapport plus ou moins éloigné.

« Ainsi, la sûreté des avances de la culture, l'immunité personnelle du cultivateur, qui ne doit que son travail et l'emploi de ses richesses, et qui, pour l'intérêt évident de la société, ne le doit qu'à la terre ; L'établissement d'un impôt direct régulier proportionné au produit net du territoire, sagement combiné avec les droits du propriétaire, la simplicité dans la perception, l'économie dans les dépenses, la

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leurs yeux, le cultivateur est un homme précieux, car il fournit à nos besoins les subsistances et les matières premières de l'industrie; mais dès que l'on a rendu à la culture cet hommage indispensable, tout est dit, on se croit quitte envers elle. Le cultivateur n'est plus qu'un homme qui sème du blé ou du sarasin, qui est riche ou pauvre, qu'il ne faut pas mettre trop à son aise, parce qu'il deviendrait paresseux, qui vend ses denrées où il peut et comme il peut : c'est à lui à se tirer d'affaire. Du reste, personne ne sent que c'est lui qui, non-seulement nous nourrit physiquement, mais qui nous fournit de quoi payer toute notre dépense dans quelque profession que nous soyons, et que de son aisance ou de sa pauvreté dépend la fortune publique.

De même, un propriétaire est aux yeux de la multitude un homme. qui reçoit sa ferme, comme un rentier touche ses arrérages. Tout cela est égal et fait revenu dans l'état.

L'industrie paraît une source de richesses aussi bien que l'agriculture; elle fait vivre le peuple; elle multiplie l'emploi des hommes au profit de l'État; elle double, triple la valeur des matières premières, etc.

fidélité dans le maniement des deniers publics, l'exactitude dans la comptabilité ; La liberté de l'industrie qui dérive de la liberté personnelle, et qui tient encore à l'intérêt social par la diminution des dépenses stériles; - L'immunité du commerce qui naît du droit de propriété, et qui est la condition nécessaire pour obtenir le plus grand revenu possible; La franchise du commerce intérieur qui en est la suite, et qui est aussi favorable à une nation dans ses achats que dans ses ventes ; — La facilité des échanges et par conséquent des moyens d'échange, qui sont les communications et les débouchés ; — La réforme des lois civiles en tant que, par leur arbitraire et leur multiplicité, elles suscitent des contestations, elles blessent les deux premières lois (celles de la liberté et de la propriété), et gênent l'exercice des droits légitimes; La suppression des frais et des longueurs dans l'administration de la justice; La liquidation de la dette nationale qui, sous tous les rapports possibles, est un très grand mal, parce qu'elle absorbe le revenu public au préjudice de son véritable emploi, qu'elle oblige de lever un impôt plus considérable, qu'elle est une des causes du désordre de l'impôt; qu'en épuisant le trésor public, elle conduit à la ressource ruineuse du crédit, et que l'habitude et la facilité des emprunts jette dans des dépenses ruineuses, induit à entreprendre des guerres sans calculer les moyens, et les prolonge par delà ces moyens, parce que les emprunts publics portent les capitaux dans un emploi au moins inutile; qu'ils substituent des revenus factices au revenu territorial; qu'ils nourrissent dans l'inaction une infinité de citoyens; qu'ils occasionnent la ruine des familles par les rentes viagères qui les dépouillent; qu'ils grèvent la postérite en lui faisant payer les fautes passées, etc.

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<< Toutes ces opérations ou réformes sont des conséquences nécessaires et très évidentes de ce principe physique, que la terre est la source unique des richesses, et ces conséquences embrassent toutes les parties de l'administration jusque dans ses derniers détails. » (E. D.)

Le commerce enrichit une nation, il fait entrer l'argent, etc., etc., etc. Telle est l'idée vague que la plupart des gens se forment de la circulation; idée prononcée sur la surface des choses, sans remonter à la

cause.

Peut-on trop regretter de ne pas trouver des notions plus exactes dans un auteur tel que M. de l'abbé Condillac? J'ose croire que, s'il avait jeté les yeux sur les principaux ouvrages qui ont paru depuis seize ans sur ces matières, il aurait adopté ces notions si vraies et si simples; et combien n'auraient-elles pas gagné sous la plume d'un écrivain aussi lumineux et aussi méthodique!

M. l'abbé de Condillac n'admet que deux classes dans la société : celle des propriétaires et celle des salariés (p. 313). Il renferme dans la classe des salariés l'entrepreneur de culture qui, dit-il, ne subsiste qu'avec le salaire que lui paye le propriétaire.

Mais un homme qui prend à forfait la fécondité de la terre, qui vient avec un atelier d'avances considérables pour la faire valoir, qui stipule de la portion du produit qu'il donnera au propriétaire, n'est certainement pas un salarié. C'est plutôt un homme qui s'associe avec le propriétaire, et qui apporte sa mise dans la société. On ne peut donc pas dire (p. 314) ‹ que la totalité de la reproduction appartienne aux propriétaires, et qu'ils en laissent une partie aux fermiers pour leurs salaires.» C'est, au contraire, aux fermiers qu'en appartient la totalité, dont ils donnent en nature, et souvent en argent, la portion convenue. Non-seulement cette manière de voir est inexacte, mais elle dérange toute l'économie sociale, en supprimant une des classes qui joue le plus grand rôle, puisque c'est d'elle que part la circulation, et que ses reprises entrent dans la distribution annuelle des richesses, et salarient en partie la troisième classe.

Selon M. l'abbé de Condillac (p. 70), tous les citoyens sont salariés les uns par les autres; le marchand et l'artisan le sont du colon; le colon l'est à son tour du marchand et de l'artisan, et chacun se fait payer de son travail. Tous les travaux sont donc mis de niveau; et parce que tous nourrissent leurs agents, tous sont regardés comme productifs de richesses, sans distinguer d'où viennent ces richesses, et à quel titre elles sont transmises.

L'argent fait la principale richesse des villes, comme les productions font la principale richesse des campagnes (p. 366).

Mais, si ce sont les productions qui font circuler l'argent; s'il ne parvient dans les villes qu'autant qu'il a passé par les campagnes; si ceux des propriétaires qui sont payés en productions n'ont d'argent que par la vente qu'ils en font; s'il ne passe dans la classe industrieuse que

parce que la culture a fait naître le moyen de payer ses services, on ne peut pas mettre les richesses de la ville en opposition avec celles de la campagne, puisque le tout sort de la même source, et que l'argent ne fait que passer de l'une à l'autre sans s'arrêter un instant; mais il est essentiel de faire voir d'où il part.

L'établissement des villes présente sans doute des avantages de commodité et d'agrément. Elles sont le centre des affaires, le rendez-vous des productions, le séjour de l'industrie. Mais en est-il résulté un accroissement de richesses? M. l'abbé de Condillac le pense, parce qu'il regarde l'industrie comme productive; il est certain que la réunion des hommes dans les villes a donné naissance aux arts et a porté une plus grande partie de la dépense du côté de la main-d'œuvre. Mais, si l'industrie est absolument stérile, comme j'espère l'établir dans le chapitre suivant, il s'ensuivra qu'on ne peut pas dire que « l'établissement des villes a augmenté le produit des terres; que les propriétaires sont devenus plus riches, qu'il est resté moins de friches, etc. (p. 90). » Sans doute, les villes ont vivifié leurs environs; mais ç'a été au détriment de l'intérieur des campagnes, qui ont perdu à l'éloignement des propriétaires et au déplacement de leur dépense; et tous les frais nécessaires, pour les approvisionner au loin, ont été des frais stériles payés au détriment du prix en première main et du revenu.

Les bornes que je me suis prescrites ne me permettent pas de discuter plusieurs autres endroits sur la circulation dans les chap. XI, XVI et XIX de la première partie, et les chap. I, II et III de la seconde. Il est impossible que nous ne soyons souvent d'avis contraire, puisque nous partons de principes contraires. Je n'admets qu'une source de richesses, et M. l'abbé de Condillac en admet autant qu'il voit de genres de travail.

Cependant, lorsqu'il passe à la pratique, la justesse de son esprit l'a redressé. Il établit parfaitement l'unité de l'impôt, la liberté de l'industrie, celle du commerce intérieur et extérieur, les effets du monopole, le danger des prohibitions'. Les sentiments qu'il a suivis dans la théorie, n'influent pas sur les résultats, quoiqu'il y eût quelquefois lieu de le craindre. Par exemple, le principe que l'industrie est productive de richesses, tend à autoriser l'impôt mis sur elle; mais il l'abandonne, lorsqu'il établit l'impôt direct, chap. XXVIII. Il fait voir très bien que cette classe ne possède que des salaires réduits au plus bas par la concurrence; que ses frais lui sont remboursés par ceux qui veulent jouir de son travail, et que, par suite, l'impôt retombe sur l'acheteur. Mais alors

IV. plus haut, la note jointe à l'Introduction du présent ouvrage.

que devient la richesse produite par l'industrie? Le résultat n'est donc juste que parce qu'il contrarie le principe.

Mais peut-on désirer trop d'exactitude dans un ouvrage élémentaire, dans un ouvrage où l'on reproche, à ceux qui nous ont devancés, d'avoir commence par écrire avant d'avoir fait la langue (p. 1)?

Sans doute, chaque science demande une langue particulière; aussi, la science économique en a-t-elle une qui est toute faite et qui est née avec elle. Ceux qui l'ont enseignée, jusqu'ici ont eu le plus grand soin de fixer le sens propre des mots, et s'ils en ont pris quelques-uns dans une nouvelle acception, ils n'ont pas manqué de la déterminer.

Il serait à souhaiter qu'on voulût bien indiquer les mots peu propres qu'ils ont pu employer. En attendant, me serait-il permis de présenter des doutes sur quelques expressions de M. l'abbé de Condillac, et de les comparer avec celles que les auteurs qui ont écrit sur ces matières, ont employées? Je discuterai en même temps quelques passages qui tiennent au fond même des choses.

Les auteurs qui ont commencé à écrire avant d'avoir fait la langue, appellent fermier, ou entrepreneur de culture, un homme qui prend une terre à bail et qui fait les avances primitives et annuelles ; s'il ne fait qu'une partie des avances, ils l'appellent métayer; ils ne l'appelleront pas régisseur (p. 87), parce que ce mot semble emporter l'idée d'un homme qui reçoit et dépense pour un autre, et qui est comptable; par la même raison, ils n'appelleront pas le fermage une régie (p. 94).

Lorsque le possesseur du fonds ne fait pas valoir, mais afferme, ils ne l'appelleront pas colon, mais propriétaire; ils ne diront donc pas : dans cette régie, nous voyons un homme qui fournit le fonds, c'est le colon; un entrepreneur, c'est le fermier; car s'il y a un fermier, le propriétaire n'est plus colon.

Ils appellent salarie, un homme qui reçoit salaire. En conséquence, il n'ont garde de dire que Tous les citoyens sont salariés les uns par les autres (p. 70), car il leur semble que ni l'entrepreneur de culture, ni le propriétaire ne sont salariés de personne, et qu'au contraire ce sont eux qui salarient médiatement ou immédiatement dans une nation tous ceux qui reçoivent salaire. Les propriétaires sont exceptés (p. 313) de la généralité de cette proposition; mais elle ne paraît pas plus exacte par rapport aux fermiers, qui ne sont point les salariés du propriétaire.

Ils diront qu'un propriétaire qui cultive par lui-même, doit distinguer dans la récolte la portion qui lui appartient comme reprise de culture et celle qu'il a comme produit net, et qu'il n'y a que celle-ci qui forme son revenu. Ils ne diront pas (p. 86), que, lorsqu'il afferme, il renonce à une partie de son revenu; car il a toute la portion libre de la reproduction, il

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