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1861, remise au capitaine-général de l'île de Cuba, a fait parvenir les vœux de la population à la reine qui les a reçus et ratifiés par un décret du 19 mars 1861, réincorporant ainsi à la monarchie la première île de l'Amérique centrale dont l'immortel Colomb ait pris possession.

Cet événement est heureux. A la séparation, les habitants ont dù l'abolition de l'esclavage, mais, en proie à de continuelles agitations, ils ne pouvaient trouver que dans l'union à une grande puissance européenne la paix et la civilisation. La liberté n'est pas menacée. L'exposé, qui précède le décret, déclare que l'esclavage, appelé scandaleusement par le maréchal O'Donnell la plaie indispensable des autres colonies, n'est aucunement nécessaire à l'exploitation de ce territoire fertile, et affirme que le gouvernement ne songera jamais à l'y rétablir. S'il en est ainsi, le problème de la colonisation des terres tropicales sera résolu sur ce point du monde ; sans la race blanche, pas de progrès; sans la race noire, pas de travail; avec l'esclavage, abaissement de toutes deux, corruption, scandale, puis ruine ou guerre de la coexistence des deux races et de leurs libres et bons rapports commence la véritable fondation des colonies. L'Espagne sera conduite à affranchir les esclaves à Cuba et à Porto-Rico, jusque-là menacée au dedans et au dehors. Maîtresse de ces trois perles du golfe du Mexique, voisine du Mexique lui-même, gardienne du futur canal de Panama, l'Espagne verra renaître sa grandeur coloniale, et pourra devenir l'heureuse bienfaitrice de quelques-unes des magnifiques régions dont le Créateur lui fit don, et qu'elle a corrompues, ensanglantées, puis perdues, après les avoir découvertes.

(V. le très-curieux article de M. Lepelletier de Saint-Remy : SaintDomingue et les nouveaux intérêts maritimes de l'Espagne, Revue des deux-Mondes, du 1er juin 1861.)

VIII

UN CONCORDAT ENTRE LE SAINT-SIÉGE ET LA RÉPublique d'Haïti.

Il est des terres, admirables par le climat, le sol et la situation, dont l'histoire ne parle qu'une fois par siècle et pour en dire peu de chose et surtout peu de bien. La grande île d'Haïti, l'une des plus vastes et des plus fertiles du globe, est du nombre de ces terres. Que fût-elle depuis la création jusqu'à la fin du quinzième siècle de notie ère? Nous l'ignorons. Puis l'histoire nous apprend que l'immortel Colomb la découvre en 1492 et la nomme Hispaniola, que les Espaguols, par d'horribles massacres, exterminent les indigènes, que deux cents ans après (1697), la France s'y établit; qu'à l'ombre de notre drapeau, une poignée de Français s'y enrichit par le travail de misérables esclaves; que cent ans plus tard (1791), un nouveau massacre, comme s'il venait venger le premier, chasse les Français, qui s'obstinent à reprendre sans succès cette terre où la fièvre s’unit à la haine pour leur résister; qu'un gouvernement grossier, mais libre, s'installe enfin, que, d'un homme remarquable, Toussaint Louverture, il tombe de généraux en présidents, de présidents en empereur, d'empereur en président, en sorte que l'ile d'Haïti compte ses années par ses révolutions, et toujours indépendante, jamais paisible, elle est récemment passée entre les mains plus intelligentes d'un président

nouveau.

En France, où l'indemnité payée aux anciens colons n'est pas encore entièrement soldée, où les petits-fils des possesseurs massacrés vivent encore, où les compagnons d'armes du général Leclerc ont leurs héritiers, le nom de Saint-Domingue ne rappelle que les plus tristes souvenirs. On a longtemps exploité ces souvenirs contre l'abolition de l'esclavage, quoique ce lieu commun soit une double erreur.

Les troubles de Saint-Domingue eurent pour cause le refus des blancs libres de reconnaître des droits aux mulâtres libres; ces troubles

éclatèrent en 1791, 1792, 1793; or ce n'est qu'en 1794 que l'escla-, vage fut aboli par la Convention. Ce préjugé des blancs contre les gens de couleur, qu'était-il donc sinon un résultat de l'esclavage? A quelle flamme aussi s'alluma la haine des noirs, quand elle fit explosion? Aux souvenirs de l'esclavage, à la frayeur d'y retomber. Est-ce que les blancs avaient répandu autour d'eux le bonheur, l'amour, les lumières? Après un siècle, beaucoup de sucre ou de café s'était vendu, de grosses fortunes, obérées de plus grosses dettes, s'étaient acquises; de très-belles cultures avaient été exploitées; mais quels progrès avaient fails, sauf dans quelques habitations exceptionnelles, l'instruction, la religion, la moralité? Les noirs ont rendu en coups de couteau ce que leurs pères avaient reçu en coups de fouet, la force s'est vengée de la force, et tant d'horreurs ont accusé l'esclavage, en souillant la liberté.

On dit : «Voyez ce que les noirs ont fait de la terre. » Je réponds : « Dites-moi ce que les blancs avaient fait de la race. » Je conviens que, sans les blancs, les noirs n'ont guère profité des dons du Créateur. Qu'en auraient fait les blancs, si on leur avait rendu leurs propriétés sans les noirs?

On exagère d'ailleurs la situation. Haïti porte une société paresseuse, grossière, inférieure, mais cependant c'est une société, avec des lois, des impôts, une armée, un gouvernement. Auparavant, c'était un atelier de discipline, recruté par la traite, exploité par la cupidité, gardé par la peur. Lorsque l'indépendance de l'île fut reconnue par la France, en 1826, M. Humanu prononça ces belles paroles :

« Un jour1, les descendants et les héritiers des conquérants de Saint-Domingue, voyant s'étendre et disparaître la population conquise, s'avisèrent d'aller chercher, à prix d'argent, sur une terre étrangère une race sauvage, mais robuste, capable de supporter, sous le soleil des tropiques, les fatigues de la culture et de servir utilement l'avarice de ses maîtres. La destinée de ces esclaves était de travailler sans relâche et de mourir. Le préjugé proscrivait leur couleur, la science

1 10 mars 1826, (Moniteur, p. 297,) sur l'ordonnance du 17 avril 1825, qui reconnaît l'indépendance de Saint-Domingue.

leur disputait la raison commune; on affectait de les croire au-dessous de l'humanité pour excuser les fatigues excessives et les traitements impitoyables qu'on leur prodiguait. Qui ne croirait qu'un tel état de choses ne dût fonder une domination sans bornes et sans fin? Hé bien ! messieurs, le contraire est arrivé, et, ici, il faut reconnaître, la main de cette puissance supérieure, qui ne laisse jamais outrager impunément la nature humaine, et qui, du mal même, sait tirer sa réparation.

«Par un reste de pudeur, à ces êtres dépravés on enseigna le christianisme. La nécessité les avait formés au travail, et voilà qu'au bout de quelques siècles le travail et le christianisme les ont relevés et régénérés; le travail et le christianisme ont fait des hommes là où l'opinion n'en voyait pas, et quand le temps marqué fut venu, de la traite des noirs est sortie la république de Haïti.

« Ce que la Providence avait fait, le roi de France l'a reconnu. Français et chrétien, j'en remercie le roi et j'en félicite la France. »

Qu'est devenu le travail, qu'est devenu le christianisme? Un rapprochement curieux montre que le travail n'est pas, comme on le prétend, anéanti. C'est à peu près à la même époque, sous la Restauration, que la France consentit à l'indépendance d'Haïti et contribua à l'indépendance de la Grèce. Qu'on ouvre le Tableau général du commerce de la France en 1858, et l'on verra que le chiffre des importations en France est pour la Grèce (p. 38). 4,523,069 fr. pour Haïti (p. 62)... 12,603,150 fr.

Ces chiffres sont assurément bien au-dessous de ceux qui représentaient avant 1790 les produits de l'île. Il faut donc travailler à un progrès dans l'avenir, mais sans retour vers le passé. Nous avons sous les yeux les vices des noirs; autrefois nons avions également les vices des noirs et de plus les vices des blancs.

Le christianisme était-il fort répandu avant 1791? Assurément non ; dans tous les pays à esclaves, mal enseigné par un clergé inévitablement corrompu, il ne pénètre pas profondément les âmes, il fait quelques saints, beaucoup d'hypocrites, une masse de superstitieux ou d'indifférents. La religion veut des âmes libres. Comment cette religion sans racines aurait-elle pu se maintenir pendant les massacres,

au milieu des ruines, dans une véritable décomposition sociale, sous des chefs comme Dessalines, Pétion ou Christophe?

Cependant les noirs, qu'elle avait consolés, et qui aiment le culte. catholique, ne s'en détachèrent jamais tout à fait. En même temps, le saint-siége n'abandonna pas un seul jour cette terre infortunée. Le pape Léon XII, par une bulle de juillet 1826, tâche d'y réorganiser le culte religieux. En 1834, Mgr England, évêque de Charleston, y est envoyé comme légat apostolique. En 1843, le souverain pontife fait partir Mgr Rosati, qui pose les bases d'un concordat négocié avec le président Boyer. Mgr Rosati obtient le concours de la congrégation du Saint-Coeur de Marie, et le vénérable supérieur, M. Libermann, envoie M. Tisserant, dont une bienveillante communication m'a fait connaitre la touchante correspondance.

Pendant vingt ans, tous les efforts avaient échoué contre deux obstacles insurmontables, la mauvaise foi du gouvernement, la corruption du clergé. Il restait en effet à Saint-Domingue des prètres scandaleux au sein d'une population ignorante, mais très-disposée à la religion, si la religion eût été autrement représentée. Corruptio optimi pessima. Que faire avec des prêtres dont l'un finissait un sermon par ces mots : Vive la souveraineté nationale, vive le beau sexe! Pour oser concevoir la pensée de convertir à la foi de tels pasteurs et de tels fidèles, il fallait un saint. Tel fut M. Tisserant, dont l'histoire touchante semble faite pour présenter, en regard des horreurs auxquelles la nature humaine s'abaisse, le spectacle de la sublimité qu'elle atteint

Il y avait au séminaire de Saint-Sulpice, peu après 1830, trois jeunes gens, un créole de Bourbon, un créole de Maurice, un créole de Saint-Domingue. Ils se confièrent la résolution de se vouer à l'évangélisation des noirs de leur pays natal. Dieu envoya la mème vocation à un savant et pienx juif converti; il se nommait Libermann; il fut le premier supérieur et ils furent les premiers membres de la communauté du Saint-Coeur de Marie (aujourd'hui réunie à celle du SaintEsprit). « La fin générale de notre Société, a écrit l'un de ces fondateurs, est de s'occuper des peuples les plus pauvres et les plus délaissés dans l'Église de Dieu. Les noirs se trouvant en ce moment plus

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