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ONZIEME SECTION

LES NÉGOCIATIONS,

LES CONGRÈS ET LES CONFÉRENCES,
LES TRAITÉS

CHAPITRE PREMIER

LES NÉGOCIATIONS.

I

Ce qui frappe dans l'étude du droit international contemporain et ce qui atteste le grandiose développement des États modernes, c'est leur entrecours incessant, la multiplicité de leurs conventions, la variété des buts qu'ils se proposent d'atteindre par l'œuvre commune. Somme toute, une partie minime de leur activité est consacrée à l'aplanissement de conflits et au règlement de différends; généralement, les relations sont pacifiques dans leur essence; l'entente s'opère pour améliorer des rapports déjà satisfaisants ou pour créer des règles nouvelles en vue de progrès nouveaux.

Autrefois, les auteurs se plaisaient à consacrer aux négociations des pages où, rappelant l'exemple de diplomates célèbres et narrant l'histoire de laborieuses conférences, ils essayaient de formuler des maximes qui devaient constituer comme autant d'infaillibles recettes

pour mener à bonne fin les affaires les plus délicates. Un écrivain eut une grande vogue Jean-Antoine de Vera y Figueroa, comte de la Roca; il avait occupé les fonctions d'ambassadeur d'Espagne à Venise; en 1620, il publia à Madrid: El Enbaxador, qui fut traduit en français, en italien et en latin; l'ouvrage est composé dans la forme du dialogue entre deux personnages en lesquels l'auteur a voulu peindre, dit-on, deux hommes qui devinrent fameux, Louis de Haro et Jules Mazarin. Déjà nous avons cité François de Callières, qui avait été employé sous Louis XIV à diverses missions; en 1716, il publia un livre De la manière de négocier avec les souverains, de l'utilité des négociations, du choix des ambassadeurs et des envoyés, et des qualités nécessaires pour réussir dans ces emplois. Jacques La Sarraz du Franquesnay écrivit, en 1731, sur le même sujet : Le ministre public dans les cours étrangères. Antoine Pecquet, premier commis du bureau des affaires étrangères de France, composa un ouvrage du même genre: Discours sur l'art de négocier, qui parut en 1737. Gabriel Bonnot de Mably rédigea, en 1757, un intéressant ouvrage : Des principes des négociations, pour servir d'introduction au droit public de l'Europe fondé sur les traités. Chrétien Ahnert publia, en 1784, le livre intitulé Lehrbegriff der Wissenschaften, Erfordernisse und Rechte der Gesandten. Un esprit original, Joseph Marx de Liechtenstern, fit paraître, en 1820, un programme scientifique de la diplomatie et un exposé des devoirs du diplomate sous le titre : Was hat die Diplomatie als Wissenschaft zu umfassen und der Diplomat zu leisten? La liste pourrait être allongée, sans grand profit, il est vrai; contentons-nous de rappeler comment, vers le milieu du XIXe siècle, Alexandre Miruss crut possible de former un système de l'art de négocier en combinant les règles régissant le négociateur lui-même et les règles présidant à son choix (1).

Le sujet prête aux longs développements et l'histoire des derniers siècles fournit aux dissertations une abondante matière. Déjà, au sujet des instructions diplomatiques, nous avons fait ressortir les modifications qui ont été introduites dans la vie internationale des États gràce à la rapidité des communications; de nos jours, des ordres précis et donnés au moment opportun par les hommes d'Etat qui dirigent les

(1) A. MIRUSS, Das europäische Gesandschaftsrecht, 1847, t. I, p. 71.

affaires étrangères, ont remplacé à la fois les longues instructions et les pouvoirs larges et étendus; l'habileté des négociateurs n'a plus aussi fréquemment l'occasion de triompher; les débats mêmes ont changé d'objet; en règle générale, il s'agit de la discussion d'intérêts économiques, commerciaux, industriels, où des données positives servent de point de départ, et, quand des intérêts politiques sont en jeu, les États modernes ont soin d'établir avant tout quelques bases qui délimitent le terrain et qui, par là-même, écartent les oiseuses dissertations.

Les procédés et les modes des négociations font l'objet d'ouvrages spéciaux. Parmi les auteurs principaux, on cite Charles de Martens, Auguste-Henri Meisel et Paul Pradier-Fodéré (1). Nous pouvons renvoyer à ces livres tout en appuyant sur une observation que Charles de Martens a empruntée au célèbre comte d'Hauterive, savoir que dans un grand nombre de cas l'expérience doit suppléer à l'insuffisance des préceptes établis par la théorie. Nous ajouterons quelques brèves indications.

L'histoire des premiers siècles de la diplomatie mérite d'être invoquée en ce qui concerne les procédés et les modes; sans doute, comme on l'a fait valoir, l'art de négocier était surtout l'art de faire réussir telle ou telle affaire en particulier; on ne se piquait nullement de voir dans la diplomatie « la science de l'harmonie entre les Etats » (2); il n'y avait pas rien qu'une boutade dans la définition de l'ambassadeur, composée par Henry Wotton, d'après laquelle l'ambassadeur est un honnète homme envoyé à l'étranger pour mentir au profit de son pays (3).

(1) C. DE MARTENS, Manuel diplomatique ou précis des droits et des fonctions des agents diplomatiques, suivi d'un recueil d'actes et des offices pour servir de guide aux personnes qui se destinent à la carrière politique, 1822. L'ouvrage a été publié depuis en éditions nouvelles. - A.-H. MEISEL, Cours de style diplomatique, 1823. P. PRADIER-FODÉRE, Cours de droit diplomatique à l'usage des agents politiques du ministère des affaires étrangères des États européens et américains, 1880; édition nouvelle, 1899.

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(2) GUILLAUME DE GARDEN, Histoire générale des traités de paix et autres transactions principales entre toutes les puissances de l'Europe depuis la paix de Westphalie, t. I, Introduction, p. LXXXV,

(3) E. NYS, Études de droit international et de droit politique. Deuxième série, 1901, p. 254.

René de Maulde-la-Clavière a écrit de jolies pages au sujet des ambassadeurs du xve et du xvIe siècle, accumulant les citations et invoquant à l'appui de ses dires les paroles et les actes des plus illustres diplomates. A cette époque, la recommandation de mesure et de réserve est chose ordinaire, tout comme le conseil de s'acquérir les bonnes graces des personnages avec lesquels il faut traiter (1). Mais des particularités se constatent. « L'allégation de paix, écrit l'auteur de La diplomatie au temps de Machiavel, est une formule banale qui se retrouve non seulement sur la bouche de l'ambassadeur mais dans tous les actes de la diplomatie... L'argument de la force doit apparaître très discrètement. Si l'on est puissant, on s'en vante; si l'on est faible, on s'en vante également, en déclarant que cette situation double la reconnaissance... Une arme, enfin, qu'un ambassadeur doit être habile à manier est celle de la temporisation; l'art de se retrancher successivement, de se dérober de réduit en réduit, sans rien risquer.» Bientôt s'ouvrira cette époque décrite par Antoine Pecquet : « Des années entières suffisent à peine pour convenir d'une affaire souvent fort simple dans le fond. Mille raisons bonnes ou mauvaises contribuent à en prolonger le cours et c'est souvent en cela qu'on fait consister la politique (2). » Les négociations se font par les diplomates accrédités auprès des souverains ou des républiques ou bien encore dans les conférences; les procédés eux-mêmes sont verbaux ou écrits. « Quoique l'ambassadeur, l'orateur, écrit René de Maulde-la-Clavière, reçoive avant tout de son gouvernement la mission. de parler et qu'il doive écrire le moins possible, si ce n'est à son gouvernement, les documents écrits jouent un rôle important dans les négociations, ils sont de deux sortes les documents communiqués, les documents remis (3). » Il fait la description de l'usuelle négociation: l'ambassadeur remet son instruction; le conseil délibère et fait rédiger par la chancellerie le « mémoire de chancellerie » où est résumé l'état de la question et où sont indiqués les motifs à alléguer pour un parti ou pour un autre; le conseil enfin fixe la réponse par écrit. L'ambassadeur remet ou reçoit des notes se divisant en catégo

(1) R. DE MAULDE-LA-CLAVIÈRE, La diplomatie au temps de Machiavel, t. III, p. 1 et suivantes, p. 52 et suivantes.

(2) ANTOINE PECQUET, Discours sur l'art de négocier. Préface, p. xvi. (3) R. DE MAULDE-LA-CLAVIÈRE, ouvrage cité, t. III, p. 61.

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