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Nous avons déjà indiqué comment un message fameux du tsar Nicolas II traça à la conférence de la Haye de 1899 un grandiose programme et comment, s'il y eut des déceptions, à tout prendre, un progrès sérieux fut réalisé puisque l'assemblée s'attacha à rédiger les règles juridiques de la guerre, à interdire des procédés cruels, à adapter la convention de Genève aux opérations maritimes, à constituer une cour d'arbitrage pour le règlement pacifique des litiges (1).

Pour la convention concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, il faut tenir compte du préambule qui détermine la portée et le caractère; les dispositions adoptées sont destinées à servir de règle générale de conduite; dans les cas non prévus, dominent les principes du droit des gens tels qu'ils résultent des usages établis entre nations civilisées, des lois de l'humanité et des exigences de la conscience publique; les parties contractantes s'engagent à donner à leurs forces armées de terre des instructions conformes au règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre qui est annexé à la convention; les dispositions contenues dans le règlement ne sont obligatoires que pour les puissances contractantes et elles cessent d'être obligatoires du moment où, dans une guerre entre des puissances contractantes, une puissance non contractante se joint à l'un des belligérants; les puissances non signataires sont admises à adhérer; enfin, la dénonciation de la convention ne produit ses effets qu'au bout d'un an. Le règlement comprend soixante articles rangés sous quatre sections. qui traitent des belligérants, des hostilités, de l'autorité militaire sur le territoire de l'Etat ennemi, des belligérants internés et des blessés soignés chez les neutres. Au règlement lui-même s'appliquent en grande partie les considérations que nous avons émises au sujet de l'œuvre de la conférence de Bruxelles de 1874, dont il est, d'ailleurs, la reproduction presque textuelle.

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Rapport d'État à État, la guerre moderne exige qu'une distinction soit établie entre la force armée dont se sert l'Etat et la population

(1) E. Nys, ouvrage cité, t. I, p. 44 et suivantes.

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paisible. Aux sujets armés et aux sujets qui ne prennent point part aux hostilités appartiennent des droits différents et incombent des devoirs spéciaux. Pour nous borner à des indications générales, les uns peuvent se livrer aux actes de violence autorisés par les lois et par les usages de la guerre; ils peuvent aussi invoquer la protection accordée par ces lois et par ces usages à ceux qui sont vaincus; mais ils sont exposés à toutes les rigueurs et à tous les périls des combats et des batailles; les autres demeurent à l'abri des actes de guerre proprement dits; toutefois leur immunité est soumise à la condition qu'ils s'abstiennent de participer à la lutte. Avant que Jean-Jacques Rousseau eût formulé, en 1762, la notion moderne, des considérations d'humanité avaient fait admettre ce qui, grâce à cette notion, est devenu un principe juridique; Emer de Vattel, en effet, le constatait l'usage s'était prononcé contre la conception ancienne d'après laquelle quand deux peuples étaient en guerre tous les sujets de l'un pouvaient agir hostilement contre l'autre et lui faire tous les maux autorisés par l'état de guerre. « Les troupes seules font la guerre, écrivait-il, le reste du peuple demeure en repos (1). »

Dans l'organisation contemporaine les forces armées de l'Etat se divisent en forces de terre et forces de mer; à la rigueur, il est permis de voir dans les compagnies d'aérostiers les modestes commencements de forces destinées aux opérations de la guerre aérienne.

Les forces armées peuvent se composer d'éléments réguliers et d'éléments irréguliers.

L'emploi d'éléments irréguliers suscite un certain nombre de problèmes. En règle générale, en temps de paix l'État prend des mesures pour avoir à sa disposition les troupes nécessaires en cas de guerre; les règles qu'il édicte ainsi rentrent dans le droit public. Même quand il a à sa disposition des forces armées régulières, il peut se servir de forces armées irrégulières; il lui est loisible de permettre à ses sujets de se former en groupes sous certaines conditions et de leur conférer la mission de combattre l'ennemi; allant au delà, il peut appeler sous les armes tous les hommes valides. Il se présente une dernière hypothèse quand le territoire est occupé, éclate l'insur

(1) VATTEL, Le droit des gens ou principes de la loi naturelle appliqués à la conduite et aux affaires des nations et des souverains, liv. III, ch. XV, § 226.

rection; c'est la levée en masse au sens propre du mot; le droit international contemporain n'en admet pas la légitimité; il considère ceux qui y prennent part comme des rebelles, non comme des soldats.

Une terminologie vicieuse introduite par la conférence de Bruxelles et par la conférence de la Haye a obscurci la matière. Les qualificatifs employés par les auteurs avaient le mérite de la clarté; aux « combattants >> ils opposaient les « non-combattants », c'est-à-dire la popula- | tion paisible. Les deux conférences ont opposé aux « forces armées » les « personnes paisibles » et la « population pacifique »; elles ont subdivisé les « forces armées » en « combattants » et « non-combattants »; sous la désignation de « non-combattants », elles ont compris des catégories de personnes qui, comme on l'a fait ressortir, sont attachées aux armées mais ne prennent pas de part proprement dite aux actions de guerre, tels les médecins, les employés du service de santé, les aumôniers militaires, les intendants, les vivandiers, pour citer des exemples (1).

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II

Dans la pratique, il s'agit de savoir qui réunit les conditions pour avoir en guerre le droit d'ètre traité comme soldat, en d'autres mots, qui appartient à l'armée ennemie. Invoquant l'usage général de la guerre, la publication de la section historique du grand état-major allemand énumère :

1° Les chefs de l'État ennemi et ceux qui dirigent sa politique, même s'ils n'occupent aucun rang militaire;

2o L'armée régulière, tant en ce qui touche les volontaires que les militaires appelés en vertu de la loi, les troupes nationales que les étrangers mercenaires, les hommes déjà liés au service durant la paix ou ceux qui n'ont été incorporés qu'au moment de la mobilisation (milices, réserves, gardes nationales, armée territoriale);

3° Sous certaines conditions, les combattants irréguliers, c'est-àdire ceux qui ne constituent pas des éléments de l'armée régulière,

(1) Les lois de la guerre continentale (Publication de la section historique du grand état-major allemand, 1902), traduites et annotées par P. Carpentier, 1904, p. 2.

mais qui n'ont pris les armes que pour la durée de la guerre ou pour accomplir une mission déterminée auprès de celle-ci (1).

<< L'Etat répondant des actes de son armée, dit Rivier, la composition de celle-ci parait être affaire intérieure, indifférente au point de vue international (2). » Le savant auteur déclare cependant qu'il est choquant de voir des sauvages ou des demi-sauvages employés par un Etat civilisé contre un autre Etat civilisé et, avec d'autres publicistes, il reconnait la nécessité d'interdire semblable pratique (3).

Quelquefois la question s'est posée de manière intégrale; quand les colonies d'Amérique se soulevèrent contre la mère-patrie, le gouvernement anglais s'assura l'assistance de deux mille guerriers iroquois; lors de la guerre de 1812 contre les Etats-Unis, le mème gouvernement prit de nouveau à sa solde des Indiens. Généralement elle naît au sujet des régiments coloniaux. Pour justifier l'emploi, on invoque que le commandement est exercé par des officiers de l'Etat et que la stricte discipline a dompté l'instinct sauvage. En 1876, l'Institut de droit international a fait une déclaration motivée (4). Il a montré comment, à côté de la question de bonne foi, surgit une question de responsabilité résultant soit de la négligence dans l'instruction des troupes, soit de l'emploi de hordes sauvages incapables de faire une guerre régulière. « Un gouvernement, disait-il, qui devrait son triomphe à de pareils auxiliaires, se mettrait lui-même hors la loi internationale. Il deviendrait responsable de tous les mauvais instincts qu'il n'aurait pas comprimés, de cette barbarie contre laquelle il n'aurait pas réagi. »

L'emploi de troupes étrangères et de soldats étrangers n'a plus l'importance de jadis, quand il était d'usage de se servir de troupes <<< stipendiaires » et d'avoir recours aux « mercenaires ». Cependant, des Etats ont des légions « étrangères» permanentes; d'autres ont formé de semblables troupes dans leurs guerres. Comme l'a dit un publiciste, à l'égard de leur pays d'origine et à l'égard du pays qu'ils servent, la question de la condition juridique des étrangers, mili

(1) Les lois de la guerre continentale. Publication citée, p. 9. (2) A. RIVIER, Principes du droit des gens, t. II, p. 249.

(3) A.-G. HEFFTER, Le droit international de l'Europe. Traduit par J. Bergson. Quatrième édition française, augmentée et annotée par F.-H. GEFFCKEN, p. 282.

(4) E. Lehr, Tableau général de l'organisation, des travaux et du personnel de l'Institut de droit international pendant les deux premières périodes décennales de son existence, p. 167.

taires ou civils, qui sont au service des belligérants rentre dans le droit interne; à l'égard de l'Etat ennemi, une conclusion de principe peut être formulée la condition juridique internationale des étrangers, civils ou militaires, n'appartenant par leur nationalité à aucun des États belligérants et engagés au service de l'un d'eux, est absolument identique, en ce qui concerne l'application des lois de la guerre, à celle des nationaux de l'Etat belligérant au service duquel ils se trouvent (1). Il convient de noter l'enseignement de Geffcken en ce qui concerne les obligations de l'Etat neutre. « Le sujet neutre, dit-il, est libre de s'enrôler dans l'armée d'un belligérant; il le fait à ses risques et périls et il renonce par le fait même à la protection de son gouvernement. Mais celui-ci ne doit jamais autoriser ses sujets à s'enrôler, ni souffrir l'enrôlement sur son territoire (2). »

III

De nombreux Etats ont adopté le service obligatoire et général; ils ont fait entrer dans les forces régulières toute la population apte à porter les armes; dans la réserve et dans l'armée territoriale, troupes régulières, sont compris ainsi nécessairement les hommes qui étaient jadis des combattants irréguliers. C'est dire que la question des troupes irrégulières est passée à l'arrière-plan. Toutefois, elle peut se présenter encore dans les Etats qui ont conservé l'organisation ancienne.

En définitive, il s'agit de savoir si des conditions peuvent être mises à la reconnaissance comme combattants de sujets de l'Etat ennemi qui n'appartiennent pas aux troupes régulières, et quelles conditions il faut établir pour sauvegarder les droits des deux parties belligérantes. La théorie et l'histoire sont instructives.

Selon la doctrine enseignée par Grotius, dès qu'il y a guerre entre les communautés politiques, il y a guerre entre les sujets; ceux-ci peuvent employer la violence sans avoir besoin d'un mandat spécial. Pour Chrétien de Wolff, les sujets des deux Etats sont également ennemis. Dans l'enseignement d'Emer de Vattel, qui exclut d'ailleurs

(1) ÉDOUARD ROLIN, Étrangers au service de belligérants. Annuaire de l'Institut de droit international, t. XX, session d'Édimbourg, 1904, p. 71.

(2) A.-G. HEFFTER, ouvrage cité, p. 347.

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