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responsable. Une publication que nous avons déjà citée, le constate : l'habitant du pays envahi est considéré, de nos jours, «non plus comme un vaincu mais comme un homme pourvu de droits, que le caractère exceptionnel de l'état de guerre soumet à certaines restrictions, charges et mesures de coercition et qui, obligé à une obéissance provisoire vis-à-vis d'un pouvoir de fait, peut, pour le surplus, vivre à l'abri des vexations et comme en temps de paix sous la protection des lois (1) ». A tout cela correspondent des devoirs que nous avons déjà indiqués. « Les habitants, est-il dit dans la même publication, sont obligés de tenir une conduite réellement pacifique, de ne prendre en aucune façon part à la lutte, de s'abstenir de tout dommage aux troupes de la puissance occupante et de ne pas refuser obéissance aux organes du gouvernement ennemi. Si cette condition. n'est pas observée, il ne peut plus être question pour les habitants d'une situation qui les mette à l'abri de tout préjudice. Bien au contraire, ils seront exactement traités et punis selon les lois de la guerre. >>>

Il y a quelque intérêt à examiner la situation du sujet d'un État

neutre. Nous avons montré comment la notion du « domicile commercial» ou, pour employer l'expression typique, du « domicile de guerre » borne ses effets à la propriété privée sur mer. Ici, il s'agit des droits et des devoirs du ressortissant de l'État neutre qui réside sur le territoire d'un des Etats belligérants.

Le sujet de l'Etat neutre peut à volonté se ranger parmi les combattants ou parmi les non-combattants; s'il prend part aux hostilités, il court les risques; s'il s'abstient, il ne jouit ni de prérogative ni de privilège, mais il se trouve assimilé aux habitants paisibles, sujets de l'Etat dont le territoire est envahi ou occupé. L'assimilation se fait pour les devoirs comme pour les droits, pour les actes comme pour les propriétés. S'il se rend coupable, des pénalités le frappent, mais il peut exiger qu'on le traite avec justice. « Pendant la guerre entre la France et l'Allemagne, écrit Carlos Calvo, des jurisconsultes anglais exprimaient l'opinion que les sujets anglais ayant des propriétés en France n'avaient pas droit à une protection particulière pour leurs propriétés ou à l'exemption des contributions militaires auxquelles ils

(1) Les lois de la guerre continentale. Publication citée, p. 104.

pouvaient être astreints solidairement avec les habitants de l'endroit où ils résidaient ou bien où leurs propriétés étaient situées, et qu'ils n'avaient pas non plus, en toute justice, aucune raison de se plaindre des autorités françaises, parce que leurs propriétés étaient détruites par une armée d'invasion (1). »

(1) C. CALVO, Le droit international théorique et pratique précédé d'un exposé historique des progrès de la science du droit des gens, t. IV, p. 265. H.-W. HALLECK, International law. Édition annotée par sir SHERSTON BAKER, t. II, p. 176.

CHAPITRE V

LES MOYENS DE GUERRE.

I. Notions générales.

I

« La guerre, dit Charles de Clausewitz, est un acte de la force par lequel nous cherchons à contraindre l'adversaire à se soumettre à notre volonté (1) ». Le même écrivain énumère les éléments et les facteurs de la résistance: la force armée, le territoire et la volonté; il insiste sur la nécessité de détruire la force armée pour que l'ennemi ne puisse continuer la lutte; il fait ressortir l'utilité de s'emparer du territoire pour qu'il soit incapable d'organiser une force armée nouvelle; il indique comment, en réduisant la volonté, on contraint un gouvernement à signer la paix et sa population à l'accepter. Il décrit les phases et les degrés et il rappelle comment deux considérations, savoir l'invraisemblance du succès et le prix élevé auquel il faudrait l'obtenir peuvent même se substituer, comme des motifs de paix, à l'impossibilité de la résistance.

Au sujet des moyens de guerre, c'est-à-dire des mesures de force et des mesures de ruse qui doivent mener à la victoire, les anciens auteurs se complaisaient aux dissertations où leur subtilité se donnait libre cours et où, les distinctions aidant, ils s'imaginaient attribuer à des pratiques immorales un caractère de légalité.

Deux notions étaient en présence d'une part, la « loi de guerre »,

(1) Général CHARLES DE CLAUSEWITZ, Théorie de la grande guerre. Traduction du lieutenant-colonel DE VATRY, Introduction, 1889, p. I et XXXIV.

le Kriegsmanier, le Kriegsgebrauch des publicistes allemands; d'autre part, la « raison de guerre », le Kriegsraison des mêmes écrivains.

<«<< Dans l'exercice des moyens de faire du mal, écrivait Klüber, les nations civilisées de l'Europe observent généralement et sans convention particulière, certaines règles qui ont pour but d'empêcher qu'il ne se commette des cruautés trop atroces et souvent même inutiles. L'ensemble de ces règles forme la loi de guerre (1). »

« Il ne peut être dérogé à cette loi, disait le même auteur, qu'en cas de rétorsion, ou dans des circonstances extraordinaires, toujours par exception et seulement dans les cas prévus par la coutume qu'on appelle raison de guerre. » La «‹ raison de guerre » se rattachait à la notion de nécessité; Grotius l'appelait même le « titre de la nécessité », titulus necessitatis.

Sans entrer de nouveau dans les détails, nous rappellerons qu'à côté de la nécessité créée par la force des choses les anciens publicistes plaçaient la nécessité qui rendait juste un acte injuste en soi (2). C'est dans la guerre surtout qu'ils prétendaient appliquer la théorie de la nécessité ou de l'extrême nécessité, pour employer le terme usuel. Ils montraient cette extrême nécessité se basant sur le soin de la propre conservation et ils enseignaient qu'elle ne faisait que rétablir ce qu'ils appelaient la règle fondamentale du droit, la loi de la nature (3). Toutefois, déjà en 1717, Jean-François Buddeus critiquait vivement la thèse et, en 1782, Ferdinand Galiani la réfutait, « Il est faux, concluait ce dernier, que l'extrême nécessité rende juste une action quelconque. »

A un moment donné, tout en admettant la « raison de guerre », des auteurs ont restreint sa portée; ils y ont vu une simple exception à la loi de guerre », en d'autres termes une autorisation de ne pas l'appliquer quand il s'agit de la propre défense (4). Mais d'autres auteurs n'ont pas hésité à la placer en relief. Charles Lueder enseigne que la « raison de guerre » comprend les deux cas où les lois de la guerre ne doivent pas être observées, c'est-à-dire celui d'extrême néces

(1) J.-L. KLÜBER, Droit des gens moderne de l'Europe, § 243.

(2) E. Nys, Le droit international. Les principes, les théories, les faits, t. I, p. 145. (3) F.-H. STRUBe de Piermont, Ébauche des loix naturelles et du droit primitif. Nouvelle édition, 1744, p. 9.

(4) G. DE GARDEN, Traité complet de diplomatie ou théorie générale des relations extérieures des puissances de l'Europe, t. II, p. 259.

sité quand le but peut être atteint uniquement par leur inobservation, et celui de rétorsion quand il s'agit de riposter à un injustifiable acte de l'ennemi; il la montre se rattachant au droit de la guerre comme la nécessité se rattache au droit criminel. Alphonse Rivier écrit même que le chef militaire a l'autorisation et l'obligation de déroger, s'il le faut, aux lois de la guerre, en vertu de la nécessité ou raison de guerre, comme si commettre le mal pouvait jamais constituer un devoir! Hugues Grotius était plus près de la vérité quand il enseignait qu'il n'y a de permis dans la guerre que ce qui est en liaison nécessaire avec sa fin. « Les moyens de guerre, dit une publication que nous avons déjà mentionnée, rentrent dans ce double concept: la force et la ruse, et leur applicabilité est régie par le principe suivant: Peut être employé tout moyen de guerre sans lequel le but de la guerre ne pourrait être atteint; doit au contraire être rejeté tout acte de violence et de destruction qui n'est point nécessité par ce but (1).

II

La conférence de la Haye de 1899 a consacré plusieurs articles du règlement annexé à la convention concernant les lois et coutumes de la guerre et trois déclarations à la question de savoir de quels moyens les États belligérants peuvent se servir pour nuire à l'ennemi. Dans presque toutes les résolutions qu'elle a adoptées, elle s'est bornée à reproduire des interdictions prononcées depuis longtemps, et, sur le point qui intéresse le plus le monde contemporain, savoir les inventions et les perfectionnements de poudre, d'explosifs, de projectiles, d'armes, elle s'est montrée impuissante à formuler et à imposer une décision et une règle; elle ne s'est pas même préoccupée d'introduire quelque chose et quelque méthode. Toutefois, il faut mentionner son œuvre, puisqu'elle revêt un caractère officiel et qu'elle fait connaitre l'opinion contemporaine.

Les articles du règlement sont conçus en ces termes :

Article 22. Les belligérants n'ont pas un droit illimité quant aux choix des moyens de nuire à l'ennemi.

(1) Les lois de la guerre continentale (Publication de la section historique du grand état-major allemand, 1902), traduites et annotées par PAUL CARPENTIER, 1904, p. 20.

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