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« Les traités, dit Pradier-Fodéré, sont des conventions qui se font d'État à État par l'entremise des négociateurs qui représentent les parties contractantes. »

Les États souverains ont le droit de conclure les traités. « La souveraineté, dit un auteur, c'est le droit d'exécuter sa volonté sans tenir compte d'une autre volonté, jusque et y compris le droit de restreindre et même de supprimer sa propre faculté souveraine au profit d'un autre État (1). »

Il est des États qui, dans l'exercice de leurs droits internationaux, n'ont point la liberté entière. Les uns sont soumis à la suzeraineté d'un autre État; ils sont des formations historiques; ils s'avancent dans la voie de la libération complète de toute domination étrangère; on a pu dire qu'ils ne sont pas privés de droits, mais que pour l'exercice de certains droits ils sont soumis à des conditions (2). Les autres se sont confiés à la protection d'un Etat puissant; le protectorat luimême a plus ou moins de développement, et un trait est commun aux États protégés, c'est qu'ils ne sont pas complètement indépendants dans leurs relations avec les autres États (3).

Le droit de traiter appartient sans aucune contestation aux communautés politiques qui ne sont point encore admises dans la société des États et qui néanmoins participent à sa vie journalière ; il nous suffit de citer comme exemples la Chine, le Siam, la Perse (4).

Le même droit appartient dans certaines limites tracées par leur droit constitutionnel aux communautés politiques qui, tout en exerçant le droit de domination et en constituant des États au sens moderne, sont cependant soumis à un pouvoir suprême; ainsi le Dominion, la « puissance » du Canada, le Commonwealth, la « république » d'Australie (5).

(1) HENRI EBREN, Le droit de traiter considéré dans ses rapports avec la forme de l'État et avec la forme du gouvernement (Théorie du droit public interne), 1900, P. 72.

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Il faut affirmer le droit des peuples incultes de traiter avec les États civilisés (1).

Il va sans dire que les organes des communautés politiques qui concluent les traités doivent agir conformément à leurs pouvoirs constitutionnels (2). La matière rentre dans le droit politique et nous pouvons nous contenter de renvoyer aux indications qué nous avons données en examinant quels sont les organes de l'État dans les relations internationales (3). Il nous faut ajouter que lorsqu'il s'agit de ce qu'on appelle des peuples de civilisation inférieure, plusieurs États appliquent des notions différentes des notions appliquées dans leurs rapports avec les Etats civilisés : la guerre devient une « expédition »>, fréquemment même une « expédition punitive »; le pouvoir exécutif est compétent pour la décider et ce même pouvoir conclut, sans qu'il soit nécessaire d'obtenir la ratification, les conventions qui mettent fin à l'entreprise.

III. La manifestation de volonté.

« L'accord, dit Rivier, est manifesté par des déclarations de volonté émanées de chacun des contractants. Il peut n'être pas énoncé en termes exprès mais résulter de faits concluants; c'est le consentement tacite. Le plus concluant des faits est l'accomplissement de l'obligation ou un commencement d'accomplissement (†). »

Il n'est pas exact de dire que les conditions requises pour la validité des traités, c'est-à-dire la capacité des parties, leur consentement, l'objet sur lequel elles contractent, sont régies en théorie par les principes généraux du droit privé en matière de conventions. Le fait est que les jurisconsultes ont étudié avec le plus grand soin les principes du droit privé et que leurs conclusions peuvent être mises à profit.

(1) E. Nys, ouvrage cité, t. I, p. 121 et suivantes.

(2) HENRI EBREN, Le droit de traiter considéré dans ses rapports avec la forme de l'État et avec la forme du gouvernement (Théorie de droit public interne), 1900. LOUIS MICHON, Les traités internationaux devant les Chambres, 1901. CHARLES HENRY BUTLER, The treaty-making power of the United States, 1902. SAMUEL B. CRANDALL, Treaties, their making and enforcement, 1904. (3) E. NYs, ouvrage cité, t. II, p. 325.

(4) A. RIVIER, ouvrage cité, t. II, p. 34.

Quand les États accomplissent des actes juridiques et plus spécialement quand ils concluent des conventions, ils doivent d'abord vou-loir; ils doivent ensuite manifester leur volonté; ils doivent enfin déclarer leur volonté, c'est-à-dire la manifester avec l'intention de réaliser un acte juridique. Sans doute, tout pareil est le phénoméne qui se présente quand il s'agit des individus; mais pas n'est besoin d'appliquer par analogie aux traités internationaux les règles des conventions privées. Dans les deux cas, les principes dérivent directement de la nature des choses et sont fondés sur la raison. Si on voulait absolument parler d'analogie, autant vaudrait dire que, pour la validité des conventions entre les particuliers, les règles du droit international en matière de traités s'imposent. Chronologiquement parlant, le point de vue serait même plus juste; au début de la civilisation, les rapports de droit se sont établis de groupe humain à groupe humain avant de s'établir d'individu à individu, puisqu'à l'intérieur du groupe humain presque toutes choses, si pas toutes, étaient communes.

La question est de savoir quelle est la volonté réelle des communautés politiques qui concluent le traité.

Avant tout il faut qu'il y ait volonté libre. Certains faits peuvent mettre en doute l'existence même de la volonté. « La plupart des vices de consentement, écrit Frantz Despagnet, ne se rencontrent guère dans les conventions internationales au même titre que dans les contrats entre particuliers. L'erreur et le dol sont pratiquement écartés par les précautions prises dans les négociations et par les facilités des renseignements qui sont mises aujourd'hui à la disposition des États. La lésion ne peut davantage être invoquée, étant donné qu'il n'y a ni loi ni juges pour l'apprécier, ce qui permettrait à l'État lésé d'échapper toujours aux conséquences de ses engagements et que, d'ailleurs, il appartient à chaque pays, agissant dans la plénitude de son indépen dance, de peser les suites de ses obligations et d'apprécier la portée des sacrifices qu'il doit faire pour obtenir d'autres avantages ou pour éviter de plus grandes pertes (1). » « Dans la négociation des traités, dit Crandall, les parties sont censées se trouver sur la même ligne et avoir les mêmes occasions de s'assurer de l'exactitude des faits (2). »

(1) F. DESPAGNET, Cours de droit international public. Troisième édition, p. 540. (2) SAMUEL B. CRANDALL, Treaties, their working and enforcement, 1904, p. 14.

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Anciennement l'existence de la volonté était fréquemment révoquée en doute. « Les légistes, écrit Pierre-Joseph Neyron, trouvaient moyen de favoriser ceux qui n'avaient pas envie de tenir leur parole en cherchant dans les pandectes des raisons soi-disant légitimes pour rendre les conventions invalides, et les souverains qui se confiaient en la bonne foi des engagements se trouvaient tout à coup frustrés de leur espérance par des exceptions sans nombre qu'on opposa, ou à la forme des conventions, ou à l'objet, ou à la personne des contractants. Tantôt on trouva à redire à la forme des stipulations; tantôt on découvrit une lésion énorme; tantôt on soutint une restitution à faire pour cause de minorité, de crainte, de fraude ou en vertu de la clause générale où l'on avait un beau champ d'y placer tous les prétextes de cassation (1). » On avait été amené ainsi à renoncer dans le traité mème à se prévaloir des erreurs de droit et de fait et de la lésion. Neyron cite une clause du traité conclu, en 1334, par Philippe de Valois avec Jean de Bohême. « Renonçant, était-il dit au nom du roi de France, par notre serment à toute erreur de droit et de fait et à la loi qui dit que ceux qui sont déçus outre la moitié du juste prix peuvent être rétablis au bénéfice de quatre mois donnés ou condamnés ex l. 2, C. de resc. empt. vend.» Leibniz note une formule de renonciation plus longue encore; elle embrassait toutes les exceptions, tous les bénéfices et même toutes les gloses et tous les sommaires ajoutés par les légistes et par les décrétistes.

Pour refuser aux vices de consentement une influence décisive en vue de l'annulation de la déclaration de volonté émise dans le traité, les auteurs modernes ont surtout invoqué la considération qu'il n'y a pas de juge entre les Etats. On peut affirmer que l'application plus fréquente de l'arbitrage et surtout l'organisation de la cour permanente de la Haye modifieront sur ce point l'opinion des savants et la politique des gouvernements.

« On ne peut, écrivait Émer de Vattel au milieu du xvIe siècle, se dégager d'un traité de paix en alléguant qu'il a été extorqué par la crainte ou arraché de force. Premièrement si cette exception était admise, elle saperait par les fondements toute la sûreté des traités de

(4) P.-J. NEYRON. Essai historique et politique sur les garanties et en général sur les diverses méthodes des anciens et des nations modernes de l'Europe d'assurer les traités publics, 1777, p. 70.

paix, car il en est peu contre lesquels on ne pût s'en servir pour couvrir la mauvaise foi... D'ailleurs, il serait presque toujours honteux et ridicule d'alléguer une pareille exception. Il n'arrive guère aujourd'hui que l'on attende les dernières extrémités pour faire la paix. Si une nation, par un traité désavantageux, trouve à propos de se procurer une paix nécessaire, si elle se rachète d'un danger immédiat, d'une ruine entière par de grands sacrifices, ce qui lui reste est encore un bien qu'elle doit à la paix; elle s'est déterminée librement à préférer une perte certaine et présente, mais bornée, à l'attente d'un mal encore à venir mais trop probable et terrible. >>

Les auteurs enseignent que les menaces et les violences à l'égard des signataires des traités vicient le consentement. Ils citent généralement les mêmes exemples historiques : le cas de François Ier de France à Madrid en 1526; celui de Ferdinand VII d'Espagne à Bayonne, en 1807.

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L'objet des rapports obligatoires est différent de leur contenu. L'objet, c'est ce qui doit être presté la chose, l'action, l'omission. Le contenu, c'est la prestation même, qui peut consister à donner, à faire, à ne pas faire. L'objet doit être possible. « L'impossibilité physique, enseigne Rivier, est aussi bien que l'impossibilité juridique une impossibilité matérielle (1). » Il cite comme exemples la promesse par laquelle un État promettrait de rendre le contractant souverain d'une partie de la haute mer; on pourrait citer également le traité qui aurait pour objet de faire considérer la Baltique, qui est une mer libre, comme fermée aux navires de guerre des États autres que les États dont elle baigne les territoires.

L'objet doit être licite, c'est-à-dire autorisé par le droit. Sans doute, devant la philosophie du droit, les conventions sont abandonnées à la volonté des parties; mais des limites sont tracées à cette volonté par les principes du droit; il ne peut y avoir d'obligation en contradiction avec ces principes. Rivier examine le cas où un traité se trouve en contradiction avec un traité existant, conclu avec un État tiers et il

(1) A. RIVIER, ouvrage cité, t. II, p. 37.

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