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cas exceptionnels seulement, nous acceptons la répression collective et ses terribles conséquences (1). »

V. Les réquisitions et les contributions en argent
dans la guerre maritime.

Dans leur développement historique les réquisitions et les contributions ont eu pour théâtre la terre ferme et c'est dans l'hypothèse de de l'occupation du pays ennemi que les Instructions de 1863, le projet de déclaration de 1874 et le règlement de 1899 ont formulé les différentes dispositions que nous avons passées en revue. La question est de savoir si les réquisitions et les contributions en argent peuvent s'exercer dans la guerre maritime.

Une première observation s'impose. Dans la phase actuelle du droit international, la question que nous examinons ne se rapporte pas aux navires des sujets de l'Etat ennemi; pour ces navires et pour la cargaison ennemie qu'ils transportent, le droit de capture continue d'être en vigueur et si un contrat de rançon ou de rachat intervient entre le capteur et le capturé, pareil contrat constitue une transaction. Il s'agit, en ce moment, du point de savoir si les bâtiments de guerre peuvent exiger de la population habitant les côtes du pays ennemi qu'elle leur fournisse des approvisionnements ou qu'elle leur paie des sommes d'argent. Or, des lois, parmi lesquelles est la loi française du 3 juillet 1877, admettent que leurs dispositions concernant les réquisitions opérées pour les besoins de l'armée de terre s'appliquent aux réquisitions opérées pour les besoins de l'armée de mer, et ces dispositions, qui prévoient surtout les réquisitions imposées aux nationaux, s'étendent aussi aux réquisitions imposées aux sujets de l'État ennemi. Ainsi apparaît un argument en faveur de la solution affirmative du problème que nous examinons.

Il est toutefois une observation importante; c'est que la question touche de près à une théorie extrêmement périlleuse.

En nous occupant des moyens de guerre nous avons montré comment, dans les dernières vingt-cinq années, un cruel programme a été

(1) A. BRENET, ouvrage cité, p. 197.

esquissé pour la marine de guerre (1). Le mot d'ordre est la guerre au commerce et aux villes côtières; l'unique argument consiste à faire valoir que le but de la guerre est de briser la volonté de l'adversaire et que le plus efficace moyen de l'atteindre est de ruiner le négoce et de jeter la désolation et la terreur dans la population. Le complet exposé de la thèse provoque nécessairement de l'opposition; aussi, une opinion moins brutale a-t-elle été prônée qui a trait surtout aux réquisitions et aux contributions en argent et au bombardement des villes ouvertes situées sur les bords de la mer. C'est ainsi qu'en des résolutions que nous avons reproduites, l'Institut de droit international admet qu'une force navale bombarde une ville ouverte aux fins d'obtenir, par voie de réquisitions ou de contributions, ce qui est nécessaire pour la flotte (1). L'association scientifique proclame, il est vrai, que les réquisitions doivent être en rapport avec les nécessités de la guerre et avec les ressources du pays et que les contributions en argent ne peuvent être que l'équivalent d'amendes ou d'impôts non payés ou de prestations non livrées en nature; elle interdit le bombardement dont l'objet est seulement d'exiger une rançon et à plus forte raison le bombardement destiné à amener la soumission du pays par la destruction non autrement motivée des habitants ou de leurs propriétés (2). Mais même avec les réserves dont elle les entoure, il faut repousser ses résolutions.

En ce qui concerne les réquisitions et les contributions en argent, il est impossible d'assimiler la guerre sur mer à la guerre sur terre. En effet, dans la guerre sur terre, certaines conditions sont réunies; le vainqueur envahit ou occupe le territoire; il invoque des besoins ("). Dans la guerre sur mer, c'est de loin que le commandant du navire prétend exécuter son œuvre de destruction; rares, du reste, sont les cas où il ne possède point les provisions nécessaires (4). Certes, il est permis de prévoir la réquisition de vivres, d'habillements, de charbon; mais le refus justifierait-il bien la cruelle mesure du bombardement? « Si une escadre, si un croiseur veulent imposer une contribution à une ville

(4) E. NYs, ouvrage cité, t. III, p. 216.

(2) T. E. HOLLAND, Studies in international law, p. 96 et suivantes.

(3) CH. DUPUIS, Le droit de la guerre maritime d'après les doctrines anglaises contemporaines, p. 88 et p. 86.

(4) Ibid., p. 86.

ouverte, dit Charles Dupuis, qu'ils procèdent comme ferait une troupe sur terre. Leur sommation reste-t-elle infructueuse, qu'ils mettent à terre une force suffisante pour assurer, sans effusion de sang, l'exécution de leurs ordres; qu'ils risquent leurs équipages comme un chef d'armée risque, en pareil cas, ses partisans. La guerre au littoral ne se doit faire que comme la guerre au territoire de l'ennemi; elle n'a aucun titre à revendiquer le privilège d'une barbarie plus grande ou d'une cruauté plus facile (1). »

Dans tous les cas, meilleure que la résolution adoptée par l'Institut est la disposition que le capitaine Charles H. Stockton a insérée dans le code de la guerre navale préparé, en 1900, pour le service de la marine des Etats-Unis. « Le bombardement, est-il dit en l'article 4, par une force navale, de villes, de villages ou bâtiments non fortifiés et non défendus est interdit, excepté lorsque ce bombardement est l'accessoire de la destruction d'établissements militaires ou navals, de dépôts publics, de munitions de guerre ou de vaisseaux de guerre au port, ou lorsque des réquisitions raisonnables de vivres ou d'approvisionnements, essentiels au moment où ces réquisitions sont faites, sont empêchées par la force, auquel cas avertissement préalable du bombardement doit être donné. Le bombardement de villes ou places non fortifiées et non défendues, pour défaut de paiement d'une rançon, est interdit (*). »>

(1) CH. DUPUIS, ouvrage cité, p. 88.

(2) Code de la guerre navale en 1900. Traduit par CHARLES DUPUIS. Revue générale de droit international public, t. IX. Documents, p. 1.

CHAPITRE X

LA GUERRE MARITIME ET LA PROPRIÉTÉ PRIVÉE ENNEMIE

SOUS PAVILLON ENNEMI.

I

« La guerre maritime telle qu'elle est encore pratiquée de nos jours, écrit Charles de Boeck, n'est pas seulement une lutte entre deux flottes ou entre une flotte et les moyens de défense des côtes : elle est aussi et surtout dirigée contre le commerce maritime de l'ennemi, contre la propriété des particuliers ennemis inoffensifs, navires de commerce ou cargaisons à bord de ces navires (1). » Le programme de la guerre maritime est formulé en ces termes : dans la première phase, décider de la prédominance navale; dans la deuxième phase, s'en prendre à la marine marchande de l'adversaire (2). Autre est l'action dans la guerre sur terre; comme nous l'avons vu, à celle-ci s'applique, notamment en ce qui concerne les biens des sujets des puissances belligérantes, la maxime formulée par Jean-Jacques Rousseau et montrant dans la guerre non une relation d'homme à homme, mais une relation d'État à État (3).

La contradiction est flagrante; aussi est-il naturel qu'un mouvement puissant se soit produit pour accomplir la réforme du droit de guerre maritime et pour faire appliquer à la propriété privée consistant en navires ou en cargaisons le principe qui, dans la guerre sur terre protège les biens des ressortissants de l'Etat ennemi. La question est

(1) CHARLES DE BOECK, De la propriété privée ennemie sous pavillon ennemi, 1882, p. 395.

(2) ALFRED THAYER MAHAN, The influence of sea-power upon history, 1690-1790, 1890, p. 539.

(3) E. Nys, Le droit international. Les principes, les théories, les faits, t. III, p. 105.

d'une extrême importance; du reste, elle est soulevée depuis plus d'un siècle et demi et, durant ce long espace de temps, elle a reçu, à quelques reprises déjà, une solution pratique. C'est dire qu'un aperçu offrira de l'intérêt et de l'utilité (1).

Les premiers efforts tentés en faveur de la propriété privée sur mer remontent au milieu du xvir siècle. Avant cette époque, l'antique droit de guerre était admis par tous les publicistes sans faire l'objet de la moindre critique. Les témoignages abondent. Le livre De jure belli et le recueil de consultations Advocatio hispanica d'Albérie Gentil renfermaient les affirmations les plus catégoriques; le De jure prædæ de Grotius avait été composé précisément pour démontrer la légitimité des prises faites sur les vaisseaux portugais revenant des Indes orientales; en des écrits de Corneille van Bynkershoek étaient développées d'impitoyables théories. Dans le De jure naturæ et gentium, Samuel Pufendorf enseignait, il est vrai, une doctrine moins brutale. « Pendant la guerre, disait-il, ce qui appartient à l'ennemi devient, à l'égard de l'autre, comme un bien sans maître, non que l'un et l'autre cessent pour cela d'être légitimes propriétaires de leurs biens, mais parce que leur droit de propriété n'empêche pas qu'ils ne puissent se les ravir l'un à l'autre et s'en emparer comme d'une chose qui n'est à personne, avee cette difference que l'on peut être et que l'on est ordinairement repoussé avee vigueur. Il faut remarquer pourtant que l'on ne jouit d'une propriété entière et bien assurée des choses prises à la guerre que quand l'ennemi qui en a été dépouillé, renonce par un traité de paix à toutes ses prétentions. » Toutefois, Gabriel Bonnot de Mably est le premier des publicistes qui ont nié le droit de prise maritime.

Mably, comme Rousseau, comme Voltaire, comme Montesquieu,

(1) L.-K. ÆGIDI et A. KLAUHOLD, Frei Schiff unter Feindes Flagge. Urkundliche Darstellung der Bestrebungen zur Fortbildung des Seerechts seit 1856, auf Veranlassung der Bremer Handelskammer, 1866. E. CAUCHY, Du respect de la propriété privée dans la guerre maritime, 1866. — J.-G. BLUNTSCHLI, Das Beuterecht im Krieg und das Seebeuterecht insbesondere, 1875. E. DE LAVELEYE, Du respect de la propriété privée sur mer en temps de guerre. Revue de droit international et de législation comparée, t. VII. p. 560 E NYs, La guerre maritime. Étude de droit international, 1882. CH. DE BOECK, De la propriété privée ennemie sous pavillon ennemi, 1882. W. ROEPCKE, Das Seebeuterecht, dans le tome VII des Rostocker Rechtswissenschaftliche Studien édités par B. MATTHIAS et F. GEFFCKEN, 1904.

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