Page images
PDF
EPUB

C'est surtout quand il s'est agi de traités politiques que cette doctrine s'est produite.

« Lorsque, dit Bluntschli, l'ordre de faits qui avaient été la base expresse ou tacite du traité se modifie tellement avec le temps que le sens du traité s'est perdu ou que son exécution est devenue contraire à la nature des choses, l'obligation de respecter le traité doit cesser aussi. »> <«<< Les traités dont les dispositions sont devenues incompatibles avec le développement nécessaire de la constitution ou du droit privé d'un Etat peuvent être dénoncés par cet Etat (1). »

Rivier indique la procédure à suivre pour la dénonciation. « L'État, dit-il, qui désire se libérer d'une obligation nuisible à son développement légitime et normal, doit, en donnant ses motifs, prier son cocontractant de consentir moyennant justes compensations à l'abrogation du traité ou de la clause qui la lui impose (2). » Il peut y avoir consentement de l'Etat qui est ainsi sollicité; alors se produit l'abrogation par consentement mutuel. Il peut y avoir consentement tacite, résultant du silence gardé sur la déclaration. Il peut y avoir refus. Selon Rivier, dans ce dernier cas, l'Etat requérant devra se délier lui-même. « On fera peut-être un compromis, dit-il, si la matière s'y prête, c'està-dire s'il s'agit de questions juridiques, ce qui ne sera pas le cas le plus fréquent. Peut-être l'Etat requis et refusant cherchera-t-il à contraindre l'autre Etat d'exécuter le traité au moyen de représailles. Peut-être le différend aboutira-t-il à la guerre. »

La solution radicale de la résiliation de plein droit a été prônée. Un document important, la « Note explicative » rédigée par la délégation russe à la Conférence internationale de la Haye de 1899 l'a exposée. « Actuellement, y est-il dit, les droits et les obligations réciproques des États sont déterminés, dans une mesure notable, par l'ensemble de ce qu'on nomme les traités politiques, lesquels ne sont autres que l'expression temporaire des rapports fortuits et transitoires. entre les diverses forces nationales. Ces traités lient la liberté d'action des parties tant que restent invariables les conditions pratiques dans lesquelles ils se sont produits. Ces conditions venant à changer, les

(1) J.-G. BLUNTSCHLI, ouvrage cité, articles 456 et 458. (2) A. RIVIER, ouvrage cité, t. II, p. 129.

droits et les obligations découlant de ces traités changent aussi nécessairement (1). »

Certes, dans l'incessant mouvement de la vie internationale, il arrive des situations où toutes les combinaisons et tous les arrangements des générations précédentes sont brisés et anéantis; le problème se résout alors de lui-même ; le caractère déclaratif de toute règle de droit apparait avec force et une conclusion s'impose, c'est que le principe du fait est à la base de la reconnaissance du droit (2). Seulement, il est inexact de dire que chacun des États contractants a la faculté de se délier lui-même des engagements d'un traité ou d'enlever toute force aux obligations par le motif que tout traité implique la clause que les circonstances changeant, il sera sans valeur.

Généralement, en tout ceci, des notions vagues ont dominé et il n'est pas jusqu'à la forme littéraire donnée à la pensée qui n'ait ajouté à l'indécis. Que de fois les épithètes de « perpétuel » et d'« éternel » ne figurent-elles pas dans les instruments diplomatiques! Le contraste entre le langage juridique et le brutal changement des événements, œuvre de la politique, n'est que plus saisissant. Les mots cependant peuvent être ramenés historiquement à un sens raisonnable. Pacis causa est perpetua, « la cause de la paix est perpétuelle », disaient les anciens auteurs; en d'autres termes, dans l'intention des contractants, la paix elle ne doit jamais ètre rompue. Les mots pax æterna, « paix éternelle », signifiaient que la paix était faite pour toujours (3).

Il dépend, somme toute, de la diplomatie elle-même d'apporter à la rédaction des traités la précision qui fait souvent défaut. Autant que possible, il faudrait fixer la période pendant laquelle le traité sera obligatoire et stipuler que si, à un moment déterminé, il n'a pas été dénoncé, il demeurera en vigueur pendant une nouvelle période et ainsi de suite, de période en période, à défaut de dénonciation.

Ainsi disparaîtraient nombre de difficultés et, en définitive, plus ne

(1) Conférence internationale de la paix. La Haye, 18 mai-29 juillet 1899. Annexes au rapport de la convention pour le règlement pacifique des conflits internationaux. Annexe A. Documents émanés de la délégation russe, p. 161.

(*) J. LORIMER, Principes de droit international, traduit par E. NYs, t. I, p. 213.

[blocks in formation]

serait besoin de recourir à des raisonnements subtils sans doute, mais dont la subtilité confine à un blàmable manque de scrupules. En 1870, John Stuart Mill faisait ressortir qu'il y avait danger pour les Etats de s'engager « au delà d'une période sur laquelle s'étendent les prévisions. humaines (1) ».

II

Dans la période actuelle de la société de droit international se présente la question de savoir quelle influence l'établissement du protectorat exerce sur les traités.

Comme nous l'avons dit, le terme « protectorat ordinaire », « protectorat international >>, << protectorat à proprement parler » désigne la situation créée par le traité aux termes duquel un Etat puissant donne sa protection à un État faible ou un État faible se soumet à la protection d'un État puissant (2).

La personnalité de l'Etat protégé ne disparaît point, et les traités qu'il a conclus antérieurement à l'établissement de la protection ne sont caducs que s'ils sont incompatibles avec les droits de l'État pro

tecteur.

On ne doit pas le perdre de vue; en droit des gens le protectorat n'est point une notion immuable et rien n'est fixe dans la théorie; pour la détermination exacte, il est indispensable de consulter le traité établissant le lien (3).

Généralement, le traité précise la responsabilité qu'assume l'État protecteur en ce qui concerne les engagements pris par l'Etat protégé antérieurement au protectorat et par cela même que les autres Etats reconnaissent le protectorat, ils consentent à ce que l'Etat protecteur exerce son droit de protection dans les limites tracées par ce traité. Ainsi, les autres États admettent que les obligations que l'État protégé a contractées à leur égard viennent à cesser, si elles ne peuvent se concilier avec le droit de l'Etat protecteur lui-même. Les conventions établissant la juridiction consulaire, les traités d'alliance, les traités éco

(1) J.-S. MILL, Dissertations and discussions, 1875, liv. IV, p. 126.

(2) E. Nys, Le droit international. Les principes, les théories, les faits, t. I, p. 364.

(3) Ibid, t. I, p. 364.

nomiques concédant des avantages exclusifs sont frappés de caducité et, dans aucun cas, les autres Etats ne peuvent refuser d'entrer à leur sujet en négociations diplomatiques (1).

III

La guerre fait entrer en vigueur les conventions qui concernent les règles mêmes de la guerre, les traités d'alliance et de subsides, les stipulations de neutralité, pour citer des exemples; l'état d'hostilité est la condition de leur application.

Elle fait cesser les traités qui supposent les relations pacifiques, comme les traités d'amitié.

Met-elle fin aux traités qui ne sont pas incompatibles avec l'état de guerre et qui ne supposent pas nécessairement l'état de paix?

Anciennement les auteurs s'exprimaient sans aucune hésitation. « Les conventions, disait Vattel, les traités faits avec une nation sont rompus ou annulés par la guerre qui s'élève entre les contractants, soit parce qu'ils supposent tacitement l'état de paix, soit parce que chacun pouvant dépouiller son ennemi de ce qui lui appartient, lui ôte les droits qu'il lui avait donnés par des traités (2). »

Les jurisconsultes modernes enseignent une opinion différente: l'extinction des traités dont nous parlons est devenue l'exception; la règle veut que, pendant les hostilités, ils soient suspendus sans être invalidés.

« Les conventions, dit Calvo, dont la mise en pratique avait été suspendue pendant la guerre, rentrent en vigueur de plein droit à la conclusion de la paix, à moins qu'elles n'aient été modifiées par le traité de paix ou qu'elles ne se rapportent qu'à des choses que la guerre a anéanties ou matériellement modifiées. Si le traité de paix modifie les traités antérieurs ou en consacre expressément le renouvellement, ce sont les dispositions du traité de paix qui doivent faire loi dorénavant; mais s'il n'est fait aucune mention particulière à cet égard, les traités antérieurs doivent nécessairement continuer de

(1) PAUL. PIC, Influence de l'établissement d'un protectorat sur les traités antérieurement conclus avec des puissances tierces par l'État protégé. Revue générale de droit international public, t. III, p. 614 et suivantes.

(2) VATTEL, ouvrage cité, liv. III, chap. X, § 175.

sortir leur plein et entier effet. Pour qu'ils fussent abrogés définitivement, il faudrait qu'ils n'eussent pas été seulement suspendus, mais invalidés, annulés de fait par la guerre, comme dans les cas des traités d'alliance, qui n'ont plus de raison d'être avec la fin de la guerre; il faudrait encore que leur contenu fût incompatible avec les stipulations du traité de paix, comme ce qui a lieu, par exemple, en ce qui concerne d'anciens traités relatifs à la délimitation des frontières entre deux États. Ces traités restent en vigueur si la paix n'entraîne pas une cession de territoire et partant une modification de la frontière; mais ils cessent de fait, si la frontière ne reste plus la même (1). »

Il convient d'ajouter que la pratique est plus rigoureuse que la théorie les traités de paix continuent à disposer comme s'il y avait eu extinction générale des traités et des conventions existant avant la guerre entre les puissances belligérantes.

(1) C. CALVO, ouvrage cité. Quatrième édition, 1888, t. V, p. 381.

« PreviousContinue »