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Dans le système ancien, les marchandises appartenant à une personne domiciliée en pays neutre sont neutres.

Dans le système moderne, les marchandises appartenant à une personne de nationalité neutre sont neutres.

Telles sont, dans les grandes lignes, les divergences entre les deux théories; de part et d'autre, la jurisprudence introduit des exceptions et des restrictions.

VII

Au sujet de la neutralité nait la question de savoir si les individus qui violent les règles édictées sont responsables devant le droit international; elle se rattache à un problème plus vaste, celui de savoir si des devoirs et des droits des individus découlent du droit des gens et si, partant, une sanction existe pour l'observation des devoirs et pour l'invocation des droits.

Anciennement, dans sa rédaction la plus générale, le problème était résolu de manière diverse. Sinibalde de Fiesque, le jurisconsulte illustre qui devint pape sous le nom d'Innocent IV, et d'autres auteurs éminents enseignaient qu'il était permis de faire la guerre à ceux qui péchaient contre le droit de nature ou le droit des gens, pour cette seule raison; Grotius se ralliait à leur manière de voir. D'autres publicistes soutenaient que, pour rendre pareille guerre juste, il fallait, en outre, que celui qui l'entreprenait eût été offensé lui-même ou possédat juridiction; parmi eux figuraient François de Vitoria et Fernand Vasquez Menchaca.

Dans la science moderne, la notion du droit international a été précisée et le problème se pose dorénavant non plus en termes vagues, mais sur des données fort nettes. George Jellinek répond : « Droit entre les Etats, dit-il, le droit des gens n'accorde de droits et n'impose de devoirs qu'à ceux-ci et non aux individus ni aux associations subordonnées aux Etats... Il n'est pas possible que l'individu commette une violation directe du droit international..... L'individu ne peut violer qu'une disposition de droit public interne; mais les violations qu'il commet peuvent être à la base d'une violation du droit des gens; c'est le cas lorsque l'Etat devient responsable de l'ordre intérieur et de ses conséquences parce qu'il a toléré l'acte ou qu'il ne l'a pas

puni (1). » Un autre jurisconsulte, Henri Triepel, développe la pensée. «<< S'il est vrai, écrit-il, que l'individu est objet et non sujet du droit des gens, on ne conçoit pas que l'individu transgresse une règle du droit international. Il n'y a pas de délit de l'individu contre le droit des gens, et l'individu ne peut pas se rendre coupable d'une faute envers le droit des gens ni envers les traités (2). » Triepel nous montre que lorsque l'Etat est responsable parce qu'il ne prend aucune mesure contre son sujet, c'est non à cause de l'acte de ce sujet, mais à cause de sa propre manière d'agir.

VIII

Dans la neutralité, s'est posée la question de la responsabilité des sujets des États neutres et de la sanction qu'il échet d'édicter; c'est le cas pour la violation de blocus et pour le transport de contrebande. On s'est demandé si le devoir de l'Etat neutre n'est pas de punir lui-même ses ressortissants quand ils contreviennent aux règles admises en ces matières par le droit des gens.

Des publicistes contemporains se prononcent pour la solution affirmative. Ils imposent ainsi aux Etats neutres une obligation d'exécution difficile; ils exigent une surveillance continuelle; ils réclament le châtiment d'actes accomplis loin du territoire sur lequel s'exerce le droit de domination. Il y a là des arguments à invoquer contre la prétendue réforme. Mais il est une autre considération. Actuellement règne la notion de l'« aventure »; le particulier qui essaie de rompre la ligne de blocus ou qui transporte la contrebande de guerre agit à ses risques et périls; les Etats belligérants peuvent s'emparer de son navire ou de sa cargaison et appliquer la sanction traditionnelle sans que son propre Etat songe à le protéger. Dans le système prôné, les États neutres apporteraient aux États belligérants une aide précieuse; ils se substitueraient à eux dans l'accomplissement de leur tâche de répression et cela quand tout le progrès réalisé jusque maintenant dans le droit de la guerre est dû à la suppression consécutive d'institutions et de règles favorables aux belligérants et nullement à la concession de prérogatives nouvelles.

(1) G. JELLINEK, System des subjektiven öffentlichen Rechtes, 1893, p. 310 et suivantes. (2) H. TRIEPEL, Völkerrecht und Landesrecht, 1899, p. 329.

CHAPITRE II.

LES DROITS DE L'ÉTAT NEUTRE.

Les droits de l'État neutre se rangent sous trois rubriques : l'inviolabilité du territoire, le droit d'asile et le droit de commerce et de navigation.

A. L'inviolabilité du territoire.

L'État neutre a droit au respect du territoire et au respect de la mer littorale. Un État belligérant ne peut envahir le territoire de l'Etat neutre; il ne peut y continuer la poursuite d'une armée vaincue. Il ne peut livrer bataille dans sa mer littorale; il ne peut y continuer l'action hostile commencée dans la haute mer; il ne peut prétendre exercer le passage « innocent » à travers le territoire de l'État neutre. Il est admis, cependant, que ses vaisseaux de guerre, soit isolés, soit réunis en flotte, traversent la mer littorale, à la condition de s'abstenir de tout acte hostile (1). Il est admis aussi que, dans les limites de la mer littorale, l'État neutre autorise ses pilotes à prêter leur concours aux navires des belligérants. Hautefeuille le proclame avec raison: «Toute l'étendue de la mer territoriale d'un État neutre, encore qu'il n'existe sur la côte aucun port, aucun signe de la puissance matérielle, tels que tours, forts, batteries, et même qu'elle soit complètement déserte et inculte, est également inviolable (2). »

Dans le rapport qu'il a présenté, en 1906, à l'Institut de droit international sur le régime de la neutralité, Richard Kleen a proposé d'appliquer la distinction établie antérieurement par l'association scientifique entre la mer « neutre » s'étendant à portée de canon et la

(1) L.-B. HAUTEFEUILLE, Des droits et des devoirs des nations neutres en temps de guerre maritime, t. I, p. 306.

(2) Le même, ouvrage cité, t. I, p. 291.

<< mer littorale proprement dite » dont le rayon est fixé en milles marins. Un membre de l'Institut, Jacques den Beer Poortugael, a repoussé la proposition, et s'est prononcé pour la limite de 3 milles marins. Il a déclaré cette limite conforme à la nature des choses, puisque les sables, les bancs, les écueils, les rochers contribuent puissamment à la défense, et il a montré qu'en fixant une étendue plus vaste on crée un danger pour la paix, puisqu'on impose aux Etats neutres des devoirs dont l'accomplissement ne sera guère possible.

Le principe de neutralité a été appliqué à des fleuves internationaux et à des canaux maritimes (1). Le cas de l'Escaut, fleuve neutre dans tout son parcours à travers la Belgique et fleuve international, présente de l'intérêt. Le fleuve fait partie du territoire d'eau de la Belgique neutre. Si la guerre survient et si la Belgique est partie belligérante, tandis que les Pays-Bas observent la neutralité, l'Escaut demeurera ouvert à la navigation des États qui ne prennent point part à la guerre, sauf pour le transport d'articles de contrebande; comme neutres, les Pays-Bas devront même prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher les belligérants de faire pénétrer des navires de guerre dans l'Escaut en vue d'attaquer la Belgique : il s'agit ici d'une application du principe d'après lequel l'État qui veut invoquer les droits du neutre doit s'abtenir de fournir un appui quelconque à l'un des belligérants (2).

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Des auteurs établissent une distinction entre le refuge et l'asile. Selon eux, il y a refuge quand l'État neutre reçoit dans ses rades, non dans ses ports, le navire ennemi battu par la tempête; il y a asile quand il l'accueille dans l'intérieur de ses ports et qu'il lui donne non seulement les secours indispensables, mais encore une aide, une

(1) ED. ENGELHARDT, Du principe de neutralité dans son application aux fleuves internationaux et aux canaux maritimes. Rerue de droit international et de législation comparée, t. XVIII p. 159 et suivantes

(2) E. Nys, Les fleuves internationaux traversant plusieurs territoires. L'Escaut en droit des gens, revue citée, t. V, p. 533.

protection bienveillante (1). La distinction a été repoussée comme inutile et Kleen a fait observer que la tendance moderne cherche à limiter aux seuls cas de détresse les visites des belligérants dans tout le territoire neutre et dans tous les ports neutres (2).

Durant la guerre sur terre, l'État neutre admet sur son territoire les ressortissants paisibles des États belligérants; durant la guerre sur mer, il admet dans ses ports et dans sa mer littorale les navires de commerce battant le pavillon des Etats belligérants et les ressortissants paisibles qu'ils ont à bord.

Traitant de la guerre sur terre, nous avons vu que l'État neutre ne peut pas donner accès aux forces militaires des belligérants; en fait, le gouvernement neutre voisin des belligérants échelonne des troupes sur les frontières et il leur donne pour instructions de désarmer, même par la force, les hommes ou les bandes qui cherchent un refuge, d'interner les soldats et les sous-officiers et de ne laisser circuler les officiers que moyennant l'engagement écrit de ne pas quitter le territoire. En ce qui concerne la guerre maritime, les règles ont varié.

Les États neutres affirmèrent d'assez bonne heure le droit d'interdire aux navires de guerre des Etats belligérants l'entrée de leurs ports et de leurs rades; toutefois, en fait, ils se montrèrent tolérants et on peut dire que, leur bon vouloir aidant, la sécurité des eaux neutres était généralement assurée aux marins des puissances ennemies aussi longtemps que ceux-ci le jugeaient bon (3). Souvent même, prévoyant des hostilités entre l'un des contractants et une tierce puissance, des traités assurèrent à ses bâtiments de guerre l'admission dans les ports et les rades de l'autre contractant, ils énumérèrent les causes et ils déterminèrent les conditions qui tendaient à assurer la tranquillité du port neutre, à faire respecter l'asile accordé aux deux parties ennemies, à empêcher que les navires accueillis n'augmentassent leurs moyens d'attaque ou de résistance (4). Peu à peu, la doctrine s'attacha à préciser davantage les cas dans lesquels, en dehors de toute stipulation, les navires, de guerre belligérants

(4) L.-B. HAUTEFEUILLE, ouvrage cité, t. I, p. 306.

(2) R. KLEEN, Lois et usages de la neutralité d'après le droit international conventionnel et coutumier des États civilisés, t. II, p. 20.

(3) HANNIS TAYLOR, A treatise on international public law, (4) L-B. HAUTEFEUILLE, t I, p. 316.

p. 692.

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