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Dans l'hypothèse où nous nous plaçons, il ne s'agit point de subsides pécuniaires envoyés par un État neutre à un des belligérants, sous la forme de métaux précieux, monnayés ou non monnayés. S'il envoie de tels subsides, l'Etat neutre manque aux devoirs de la neutralité et il n'est pas besoin d'examiner s'il y a contrebande de guerre.

Comme le dit un auteur, les machines de guerre sont des objets de contrebande de guerre parce qu'elles sont des armes (1). La question est de savoir s'il faut ranger parmi les objets de contrebande de guerre les machines qui, sans être des armes, peuvent être utilisées pour des opérations militaires. Dans le domaine des faits, elle a été résolue affirmativement dans les guerres les plus récentes; mais sur le terrain scientifique, des auteurs font valoir l'extension croissante du nombre de machines susceptibles d'être employées dans les guerres sans être des machines de guerre et ils en concluent qu'un dommage de plus en plus considérable sera infligé à l'industrie si la question que nous venons de poser n'est pas résolue négativement.

Le navire de commerce n'est pas un objet de contrebande. Pour le faire déclarer tel il ne suffit nullement d'invoquer soit sa destination vers un port de guerre ou d'armement, soit la possibilité de le voir utiliser pour des opérations militaires. «Ne sont contrebande, dit un publiciste, que les navires qui, dans leur état actuel sont aménagés pour les hostilités et constituent de vrais batiments de guerre (2) ».

Nous avons déjà examiné la question de savoir si du charbon peut ètre fourni aux navires de guerre des Etats belligérants dans les ports et dans les rades des États neutres (3). Il est une autre question, celle de savoir si le charbon peut être rangé parmi les objets de contrebande et si, par conséquent, il peut être saisi quand des sujets des États neutres le transportent vers l'ennemi. Un auteur indique les données du problème. « Le charbon, écrit-il, ne peut certainement pas être rangé parmi les objets qui, par leur nature même, sont de contre

(1) R. KLEEN, ouvrage cité, t. I, p. 419.

(2) A. THONIER, De la notion de contrebande de guerre. Étude de droit interna tional, 1904, p. 108.

(3) E. Nys, ouvrage cité, t. III, p. 574.

bande et figurer dans la prohibition à côté des armes et des munitions de guerre. Les utilités qu'il procure sont avant tout pacifiques; il est devenu l'agent universel de toute fabrication, le facteur indispensable de tout travail mécanique... Mais, à côté de la contrebande proprement dite, plane la notion vague et illimitée de la contrebande par accident ou relative. Ne va-t-on pas condamner le charbon parce qu'il peut devenir un agent hostile? (1). » En fait, des États déclarent le charbon contrebande de guerre lorsqu'il est à destination d'une station navale, d'un port militaire, d'un navire de guerre ou d'une flotte de l'ennemi.

VII

Dans les débats concernant la contrebande de guerre, quelques points surtout ont été mis en relief par les publicistes.

Comme nous l'avons vu, deux tendances apparaissent dans la doctrine pour les uns, le droit des Etats belligérants domine toute la matière; pour les autres, le droit des Etats neutres l'emporte. Selon les partisans des Etats belligérants, ceux-ci ont le droit de déclarer objets de contrebande de guerre tous les objets qui peuvent être utiles à l'armée et à la marine ennemies; ils affirment que pareil droit découle du droit de faire la guerre, et qu'il implique le droit d'ajouter aux objets de contrebande énumérés au début des hostilités des objets nouveaux si, dans le cours des hostilités, ceux-ci cessent d'être <«< innocents » et deviennent « nuisibles ». Selon les partisans des États neutres, la prohibition du transport d'objets et partant la théorie de la contrebande de guerre ne se justifient que si pareil transport constitue un acte d'immixtion que le belligérant peut empêcher de se consommer. «S'il en est ainsi, écrit Charles de Boeck, les États belligérants ne sauraient arbitrairement limiter le commerce neutre ou ennemi de leur seule autorité et selon les intérêts du moment, sous couleur de contrebande. Sera seul prohibé, le commerce qui aura avec la guerre un rapport direct. Or, revêtira seul ce caractère, le commerce d'objets qui, fabriqués en vue de la guerre, sont directement et immédiatement propres à cette fin. C'est donc à la nature

(1) L. SELOSSE, Le charbon contrebande de guerre. Journal du droit international privé, t. XXV, p. 444.

intrinsèque des objets transportés qu'il faut s'attacher. En d'autres termes, il n'y a qu'une contrebande absolue. Il n'y a pas de contrebande relative, d'aucune sorte (1). » Il y a intérêt à rappeler ici la terminologie. A la contrebande absolue sont opposées la contrebande relative ou conventionnelle, la contrebande conditionnelle, la contrebande accidentelle. Les qualificatifs se comprennent aisément; mentionnons toutefois que la contrebande accidentelle diffère de la contrebande relative; la contrebande accidentelle comprend les objets qui, dans une circonstance spéciale, viennent donner des forces à l'ennemi; la contrebande relative désigne plus particulièrement les objets dont l'usage est pacifique dans la règle, mais qui sont susceptibles d'être employés dans un but de guerre. Une constatation s'impose, d'ailleurs certains Etats, telle la Grande-Bretagne, rangent dans la contrebande absolue et par conséquent prohibent d'une façon absolue nombre d'objets que d'autres Etats rangent dans la contrebande relative.

Parlant des marchandises propres aux besoins immédiats de la guerre, Théodore Ortolan insiste sur un point essentiel. « C'est seulement, écrit-il, lorsque de telles marchandises sont en cours de transport pour une destination hostile qu'elles deviennent contrebande. militaire. Lorsqu'un Etat neutre laisse ses sujets se livrer au commerce passif de ces mêmes objets, c'est à dire lorsqu'il permet à tous les belligérants indistinctement de venir les acheter sur son territoire pour les transporter où bon leur semble, à leurs frais et à leurs risques, sur leurs propres navires marchands, il ne fait pas autre chose que laisser s'accomplir un acte licite (2). » « Fournir, avait écrit Joseph-Mathias Gérard de Rayneval, veut dire transporter, livrer. Cette explications est nécessaire afin qu'on ne confonde pas la vente que le neutre fait chez lui avec le transport par mer et la livraison. La vente en pays neutre est également libre pour les deux États en guerre; mais le transport et la livraison de la part du neutre sont interdits (3) ».

Des publicistes attribuent une grande importance à l'intention qui anime les sujets des Etats neutres quand ils transportent des marchan

(1) CH. DE BOECK, De la propriété privée ennemie sous pavillon ennemi, p. 590. (2) TH. ÖRTOLAN, Règles internationales ou diplomatie de la mer, t. I, p. 180. (3) J.-M. GERARD DE RAYNEVAL, De la liberté des mers, 1811, t. I, p. 217.

dises pouvant servir à des usages pacifiques et à des usages belliqueux. « Lorsqu'il est bien constaté, écrit Bluntschli, que ces marchandises sont destinées à faire la guerre et lorsque l'intention de soutenir un des belligérants est également évidente, on ne saurait exiger de l'adversaire qu'il laisse tranquillement ces renforts parvenir à destination(1),» Toutefois, il faut affirmer avec Richard Kleen que l'intention d'aider et de favoriser un belligérant ne suffit pas pour conférer la qualité de contrebande (2).

Il y a divergence sur le point de savoir quand il y a transport à destination de l'ennemi.

Deux systèmes se sont formés; dans l'un, il y a transport à destination de l'ennemi quand les marchandises sont destinées à l'ennemi; dans l'autre, il y a transport à destination de l'ennemi, quand le navire est destiné à l'ennemi. Le premier système est adopté par la France; le deuxième système est appliqué par la Grande-Bretagne. « Dans le système français, dit Charles Dupuis, le transport n'est illicite et le navire ne peut être saisi qu'autant que les objets de contrebande ont une destination ennemie; la destination du navire est indifférente; c'est la destination des objets qui décide s'il y a ou non violation. des devoirs de neutralité... Les solutions anglaises sont différentes. Au lieu de considérer la destination des marchandises, elles s'attachent à la destination du navire. Ce sont bien les marchandises qu'il importe d'arrêter en route, mais c'est le transport vers les ports ou les flottes de l'ennemi qui constitue l'acte illicite; ce n'est que durant le voyage vers ces ports ou flottes hostiles que les articles de contrebande sont sujets à confiscation; leur sort se trouve lié à la nature du voyage entrepris par le vaisseau qui est l'instrument de leur transport (3). »

Il faut résoudre affirmativement la question de savoir si le navire doit être pris en flagrant délit, c'est-à-dire dans le cours de son voyage vers le port ennemi (4). Déjà sir William Scott décidait en ce sens. « La règle relative à la contrebande, disait-il dans l'affaire de

(1) J.-G. BLUNTSCHLI, Le droit international codifié. Traduit par C. LARDY. Quatrième édition, p. 469.

(2) R. KLEEN, ouvrage cité, t. I, p. 377.

(3) CH. DUPUIS, Le droit de la guerre maritime d'après les doctrines anglaises contemporaines, p. 254.

(4) TH. ORTOLON, ouvrage cité, t. II, P. 201.

l'Ionina, telle que je l'ai toujours entendue, est que les articles doivent être pris in delicto, pendant le cours même du voyage vers le port ennemi. D'après le sens actuel de la loi internationale, on ne peut pas en général prendre les produits au voyage de retour. Du moment où le navire quitte le port pour une destination hostile, le délit est complet, et il n'est pas nécessaire d'attendre le moment même où on cherche à faire entrer les marchandises dans le port ennemi; mais en outre si les marchandises ne sont pas prises in delicto et pendant l'accomplissement réel du voyage, on n'y attache généralement pas de peine aujourd'hui. »

VIII

« Empêcher les marchandises essentielles au succès des hostilités de parvenir à l'ennemi, écrit Charles Dupuis, tel est le but à atteindre. Transporter de la contrebande de guerre à destination de l'ennemi, tel est l'acte hostile interdit aux neutres. Dès que le navire qui effectue pareil transport a franchi les eaux territoriales de l'État neutre où il a pris son chargement, il devient sujet à saisie; il y reste sujet tant qu'il n'a pas déchargé la cargaison prohibitive; il ne cesse d'être en contravention avec les lois de la guerre qu'après avoir débarqué cette cargaison; il cesse alors de commettre l'acte hostile, parce qu'il vient de le parfaire (1). »

Nous savons que, d'après une récente définition, le champ d'action de la guerre maritime comprend la haute mer ou toutes les autres eaux qui ne sont sous aucune juridiction et les eaux territoriales des États belligérants (2). Il est superflu de dire que cette extrême étendue ajoute considérablement aux inconvénients et aux dangers que présente pour les sujets des États neutres l'institution de la contrebande de guerre.

Déjà, au commencement du XIXe siècle, Théodore Schmalz souhaitait de voir les gouvernements établir une différence entre les marchandises transportées vers une localité proche du pays où se poursuivent les opérations militaires et les marchandises transportées vers

(1) CH. DUPUIS, ouvrage cité, p. 254.
(2) E. NYs, ouvrage cité, t. III, p. 179.

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