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les listes de contrebande conditionnelle, peuvent toutes au contraire jouir de la solution adoucie. Elles sont ordinairement exemptes de la confiscation et sujettes seulement à la préemption. Il convient de remarquer toutefois que, sauf stipulation expresse de traités, les Anglais ne considèrent point la substitution de la préemption à la confiscation comme obligatoire (1). » En règle générale, dans la préemption d'objets de contrebande de guerre, il y a paiement du prix de la marchandise et d'une prime fixée à dix pour cent. On recourt aussi à l'estimation des objets préemptés.

Il y a un siècle déjà, des auteurs ont voulu donner au droit de préemption une extension trop grande. Tetens doit être cité. Selon lui, il est des objets qui ne peuvent pas être rangés parmi les objets de contrebande mais que l'État belligérant a le droit de prendre pour lui-même en payant leur juste valeur (2). La thèse doit être repoussée. « Ce droit de contraindre les neutres à vendre au belligérant certaines denrées destinées au port de son ennemi et arrêtées en route, dit Geffcken, n'a d'autre fondement que l'arbitraire et viole l'indépendance du pavillon neutre, en tant qu'il porte sur des articles qui ne sont pas contrebande de guerre (3). » Erroné aussi est l'enseignement de Tetens d'après lequel le belligérant peut obliger le neutre à se diriger vers un territoire autre que le territoire de l'État ennemi ou le territoire occupé par l'Etat ennemi (†).

Il n'est pas inutile de montrer que le rôle de la préemption est appelé à s'élargir. En effet, comme le fait ressortir un auteur, quand la grande réforme sera réalisée et que la propriété privée ennemie sera protégée sur mer comme elle est protégée sur terre, les Etats belligérants voudront préempter à bord des navires de commerce ennemis. les armes, les munitions de guerre et les munitions navales transportées vers des ports neutres et ne constituant pas, selon les principes du droit international à venir, des marchandises de contrebande (5).

(1) CH. DUPUIS, ouvrage cité, p. 272.

(2) J.-N. TETENS, Considérations sur les droits réciproques des puissances neutres sur mer avec les principes du droit de guerre en général, 1805, p. 113.

(3) A.-G. HEFFTER, ouvrage cité. Quatrième édition française revue et annotée par F.-H. GEFFCKEN, p. 394.

(4) J-N. TETENS, ouvrage cité, p. 114.
(5) CH. DE BOECK, ouvrage cité, p. 697.

XI

A la fin du XVIIe siècle, se forma une théorie périlleuse pour les neutres, la théorie de la continuité du voyage. Elle étendit outre mesure la « Règle de la guerre de 1756 » et elle frappa non plus la navigation et le commerce que les neutres exerçaient avec les colonies d'un des États belligérants, mais la navigation et le commerce qu'ils exerçaient entre ces colonies et l'un des Etats belligérants (1).

La théorie de la continuité de voyage aboutissait à la suppression du port neutre qui servait d'intermédiaire pour échapper à la « Règle de la guerre de 1756 »; elle considérait le voyage de la colonie au port neutre et le voyage du port neutre au territoire de l'un des Etats belligérants comme étant « ininterrompu» et ne formant qu'un seul et même voyage; appliquant les principes du blocus, elle n'établissait pas de distinction entre les marchandises et elle ne se préoccupait nullement du point de savoir si elles constituaient ou si elles ne constituaient pas des marchandises de contrebande: elle les condamnait toutes.

Pendant la guerre de sécession, la théorie de la continuité du voyage reçut une nouvelle extension; elle fut invoquée non seulement pour le blocus mais aussi pour la contrebande de guerre; c'est le cas de la barque anglaise, le Springbok, Pendant la guerre entreprise par l'Italie contre l'Abyssinie, elle fut appliquée pour la contrebande; c'est le cas du navire hollandais le Daelwijk. Pendant la guerre faite par la Grande-Bretagne aux républiques sud-africaines, elle fut de nouveau invoquée pour la contrebande mais cette fois sous l'appellation de « doctrine de la destination dernière »; ce sont les cas du Bundesrath, du General et du Herzog. « On voit en quoi consiste le principe de la continuité, écrit un auteur; un navire partant d'un port neutre chargé de contrebande est en principe à l'abri de la saisie, s'il se dirige vers un autre port neutre; mais le cas de fraude est réservé et, conformément au vieil adage: Fraus omnia corrumpit, s'il est démontré que la destination du transporteur est simulée alors que la destination réelle est un port ennemi, on dit que dès le moment du

(1) E. Nys, ouvrage cité, t. III, p. 590.

départ il y a fait de contrebande et que la confiscation est possible même avant le transbordement ou avant la relâche dans le port neutre, c'est-à-dire au cours du premier voyage, ces deux voyages ne constituent en réalité qu'un seul et mème tout indivisible (1) ».

Le Springbok avait quitté Londres pour se rendre à Nassau, port de l'île anglaise de New Providence; le 3 février 1863, il fut saisi à 150 milles du lieu de destination par le navire de guerre américain Sonoma et conduit à New-York, où, le 1er août 1863, il fut déclaré de bonne prise avec sa cargaison par le juge de la cour de district. La décision s'appuyait sur ce que la destination était, non le port neutre de Nassau, mais un port régulièrement bloqué; sur ce qu'il y avait intention de violer le blocus et sur ce que les papiers de bord étaient falsifiés. Appel fut interjeté du jugement. La cour suprême déclara le navire libre mais elle maintint la saisie de la cargaison et elle condamna les propriétaires du bâtiment aux frais; elle reconnut la sincérité des papiers de bord; elle admit que rien ne prouvait que les propriétaires du navire fussent de connivence avec les propriétaires de la cargaison; elle relaxa le navire parce qu'il n'allait pas plus loin que Nassau, port neutre; elle condamna le chargement parce qu'elle ne doutait point que l'intention de ses propriétaires ne fût de le transborder à Nassau à destination de quelque port bloqué (2). « En résumé, était-il dit, nous ne saurions douter que le chargement n'ait été dans le principe embarqué dans l'intention de violer le blocus; que les propriétaires du chargement n'aient eu l'intention de le faire transborder à Nassau dans quelque navire plus apte que le Springbok à réussir à atteindre sans danger un port bloqué; qu'en ce qui concerne le chargement, tant au point de vue du droit que dans l'intention des parties, le voyage de Londres au port bloqué n'ait constitué un seul voyage et que le chargement n'ait été, à partir du moment où il a mis à la voile, passible de condamnation dans le cas de saisie à quelque point que ce fût du voyage (3). » Le juge qui présidait la cour suprême

(1) E. MANCEAUX, ouvrage cité, p. 85.

(2) Cases argued and adjudicated in the Supreme Court of the United States. December term, 1866. Reported by J.-W. WALLACE, t. V, 1870, p. 1 et suivantes.

(3) Sir TRAVERS TWISS, La théorie de la continuité du voyage appliquée à la contrebande de guerre et aux blocus mise en contraste avec la déclaration de Paris de 1856, p. 24.

avait établi déjà dans l'affaire du Bermuda le principe qu'il voulait développer dans l'affaire du Springbok. Selon les paroles de sir Travers Twiss, il s'était servi d'une métaphore quelque peu fantaisiste. «Des voyages successifs, avait-il dit, reliés par un plan et un but communs forment une unité composée de plusieurs facteurs. Ce sont les anneaux d'une même chaîne, se ressemblant tous quant à l'espèce les uns aux autres et chacun faisant partie essentielle du tout continu ». Comme le note sir Travers Twiss, il est difficile d'appliquer la métaphore au cas du chargement du Springbok; le dernier anneau essentiel pour former la chaîne faisait totalement défaut, tandis que dans les cas jugés par les cours britanniques auxquels la métaphore avait été empruntée, la chaîne était complète.

Le 12 juillet 1896, le Doelwijk, navire néerlandais, était parti de Rotterdam avec un équipage enrôlé pour Kurrachee, port de l'Inde britannique; il avait été affrété avec la condition que le capitaine devait prendre exclusivement les ordres de l'affréteur qui se substituait temporairement aux droits de l'armateur; arrivé à Suez le 28 juillet, il était parti le 31 juillet pour y revenir le 1er août dans le but de réparer les dommages causés par un échouement; le 2 août, il avait repris sa route. Il était surveillé par l'escadre italienne qui le soupconnait de transporter des armes vers le port français de Djibouli où la contrebande devait être débarquée pour être conduite en Abyssinie à travers le territoire de la colonie. Quand, dans la nuit du 8 août, le Doelwijk dévia de la route de Kurrachee et se dirigea vers Djibouli où avaient eu lieu déjà des débarquements d'armes, il fut capturé par l'Etna, croiseur italien et escorté par l'Arethusa jusqu'à Massoua. Le chargement se composait de 4,895 caisses contenant 45,316 fusils, 5,025,832 projectiles et 6,000 sabres et autres armes. Le capitaine du navire néerlandais protesta contre la saisie; il prétendit n'avoir modifié sa route que pour débarquer à Djibouli un passager français (1).

Le 6 décembre 1896, la commission des prises prononça le jugement; elle affirma d'abord le droit de juger les faits quoique la guerre fût terminée, puisqu'elle en avait été saisie pendant les hostilités et qu'elle avait été constituée pour les juger; elle déclara que la capture

(1) Décision de la commission des prises sur l'affaire du Doelwijk. Archives diplomatiques; recueil mensuel international de diplomatie et d'histoire. Deuxième série, t. LXI (1897), p. 87 et suivantes.

du Doelwijk était légitime, mais que la saisie ne pouvait être prononcée après la cessation de l'état de guerre, la saisie étant un acte de légitime défense et ne se comprenant point quand existent des relations amicales. « Les armes et les munitions se trouvant sur le navire dirigé sur Djibouli, fut-il dit, étaient destinées à l'Abyssinie; c'est à bon droit que le navire a été considéré comme navire suspect; le lieu où il a été arrêté en autorisait la capture. »

Pour démontrer la destination hostile, la commission invoqua les faits et le droit la situation spéciale du port de Djibouli qui est le port de ravitaillement de l'Abyssinie; la circonstance que la France n'était en guerre avec aucun peuple africain et n'avait nul besoin d'une provision extraordinaire d'armes, notamment d'armes d'un modèle hors d'usage; la considération que la législation italienne permettait d'envisager la destination de la cargaison et n'exigeait pas qu'on tint compte uniquement de la destination du navire; la constatation que des objets de contrebande de guerre ne cessaient pas d'ètre dirigées vers l'ennemi par cela seul qu'une partie de la route nécessaire pour arriver au belligérant ne se faisait point par la mer, mais devait se faire par terre et au moyen de véhicules terrestres.

Dans la guerre de l'Afrique australe, il y eut des affirmations nouvelles de la doctrine de la continuité du voyage ou, pour employer l'expression, de la doctrine de la destination dernière. Les croiseurs de la Grande-Bretagne arrêtèrent des navires allemands comme le Bundesrath, le Herzog, le General. La doctrine devenait même plus dure et plus impérieuse : la notion était désormais qu'à la présomption de faute basée sur l'itinéraire du navire s'ajoutait la présomption basée sur l'intention du chargeur; les marchandises dirigées sur Lourenço-Marquez étaient saisies sous le prétexte qu'elles devaient être expédiées de là aux républiques sud-africaines qui n'avaient aucune issue sur la mer. Il est vrai que devant les réclamations, le gouvernement britannique fit relâcher les bâtiments arrêtés et qu'il reconnut en principe l'obligation de réparer le dommage.

La doctrine de la continuité du voyage doit être repoussée lorsqu'il s'agit de blocus; elle est en contradiction avec la règle qui exige un blocus effectif et une notification de ce blocus; appliquée dans toute son étendue, elle aboutit à la conclusion qu'une violation de blocus est commise par l'intention prétendue de faire parvenir une cargaison de

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