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CHAPITRE VI.

LE SERVICE DE TRANSPORT, SECOURS DIRECT.

I

Des auteurs ont placé à côté de la contrebande de guerre ce qu'ils ont appelé la « contrebande par analogie », les « analogues de la contrebande», la « quasi-contrebande ». Comme l'a fait observer Heffter, il s'agit plutôt d'actes de secours direct qu'un neutre prète à un belligérant; ces actes sont contraires aux devoirs de la neutralité et l'adversaire a le droit de s'y opposer par force (1). Il n'y a point d'autre analogie avec la contrebande de guerre que l'analogie des mesures de sanction. A vrai dire, nous sommes, non devant une matière rentrant complètement dans la neutralité, mais devant des actes d'hostilité contre lesquels l'Etat belligérant prend des mesures de guerre. Aussi s'attache-t-on à faire apparaître la nuance dans la terminologie. Unneutral services, c'est-à-dire services contraires à la neutralité et << transports interdits aux neutres », sont des appellations adoptées; le manuel britannique des prises maritimes se sert des mots : Neutral vessels acting in the service of the ennemy, « vaisseaux neutres agissant au service de l'ennemi », comme titre pour le chapitre où il traite la question (2).

Quatre catégories d'actes sont généralement mentionnées : le transport de soldats et de matelots au service de l'un des Etats belligérants; le transport de fonctionnaires; le transport de dépêches pour le compte de l'un des belligérants; et le transport d'agents diplomatiques.

(1) A.-G. HEFFTER, Le droit international de l'Europe: Traduit par J. BERGSON. Quatrième édition française, augmentée et annotée par F.-II. GEFFCKEN, p. 396. (2) T. E. HOLLAND, A manual of naval prize law founded upon the manual prepared by Godfrey Lushington, 1888, p. 25.

Il y a longtemps que l'interdiction de ce que la doctrine appelait autrefois la contrebande par analogie a été prononcée dans la législation de différents pays et dans des traités assez nombreux. Le fait s'explique aisément. Dès que les premières notions de la neutralité se sont formées, il a été de toute nécessité de prohiber le transport d'hommes armés; quand les guerres se sont faites au loin, il a fallu mettre obstacle au transport de dépêches. Toutefois, la défense figurait généralement parmi les défenses portées concernant les articles de contrebande. A titre d'exemple on peut citer le traité conclu en 1615 entre les villes hanséatiques et les Etats généraux des ProvincesUnies. « Et pareillement, était-il stipulé, il ne sera pas permis qu'à la partie adverse soient envoyés de leurs villes et terres de leur obéissance aucun argent, troupes, vaisseaux ». Dans le traité de navigation et de commerce conclu à Utrecht, le 11 avril 1713, entre la France et la Grande-Bretagne était affirmé le principe que les vaisseaux libres rendraient les marchandises libres. « On est aussi convenu, était-il ajouté, que la même liberté s'étendra sur les personnes qui seront à bord d'un navire libre, en sorte que nonobstant qu'ils soient ennemis des deux ou de l'une des parties, on ne pourra ies tirer de dessus un vaisseau libre à moins qu'ils ne soient soldats actuellement au service d'un ennemi. » L'exception faite pour les soldats fut reproduite fréquemment d'ailleurs dans les conventions internationales postérieures au traité d'Utrecht (1).

Au xixe siècle, l'interdiction a été généralement admise. « Le navire neutre, a écrit Ortolan, qui transporte des gens de guerre pour le compte d'un Etat belligérant se met évidemment au service de cet Etat; il perd dès lors entièrement son caractère de neutre, et le belligérant opposé est en droit de le traiter tout à fait en ennemi (2). »

Des auteurs ont soulevé la question de savoir s'il ne faut pas établir une exception dans le cas où le nombre des soldats et des matelots transportés est insignifiant. De nos jours, il y a tendance à ne condamner que s'il y a connivence entre le capitaine du navire neutre et les passagers.

(1) L. VETZEL, De la contrebande par analogie en droit maritime international, 1901, p. 13.

(2) TH. ORTOLAN, Règles internationales et diplomatie de la mer, t. II, p. 234.

L'interdiction du transport de fonctionnaires civils embarqués par ordre de leur gouvernement pour aller prendre possession de leur charge a été prononcée par des cours de prises britanniques au début du XIXe siècle (1).

La défense de transporter des dépêches officielles a été prononcée à la même époque par les mêmes tribunaux. « La transmission des dépêches, a dit sir William Scott, est un service qui, à quelque degré qu'il existe, peut être considéré comme un acte des plus hostiles. L'offense qui résulte d'un pareil service, fait frauduleusement pour compte de l'ennemi, étant conséquemment plus grande que celle qui résulte du transport de la contrebande, il est absolument nécessaire et équitable de recourir à quelque autre pénalité qu'à la pénalité ordinaire pour les cas de contrebande. La seule confiscation de l'article nuisible, qui constitue la pénalité dans ces derniers cas, lorsque le navire et la cargaison n'appartiennent pas au même propriétaire, serait ridicule lorsqu'il s'agit de dépêches: alors il ne peut être question de cargaison; le navire qui a servi à les transporter doit être confisqué. »

Nous avons examiné quelles règles juridiques sont admises en temps de guerre concernant les câbles sous-marins existant entre le territoire d'un Etat belligérant et le territoire d'un État neutre et concernant les câbles sous-marins établis entre les territoires de deux Etats neutres; nous avons également indiqué quelles règles juridiques sont proposées par la doctrine concernant les appareils de télégraphie sans fil installés sur un territoire neutre (2). Ici, il s'agit du transport de dépêches officielles dont le contenu a trait à la guerre et dont l'expéditeur et le destinataire sont des autorités de la puissance belligérante (3).

Pendant la guerre de sécession s'est produit le cas intéressant du transport de l'agent diplomatique d'un des belligérants par un navire neutre. Le 6 mai 1861, lord Russell, secrétaire d'Etat pour les affaires étrangères, avait déclaré à la chambre des communes que la Confédé

ion du Sud devait être traitée comme partie belligérante et, le

(1) TH. ORTOLAN, ouvrage cité, t. II, p. 235.

(2) E. Nys, Le droit international. Les principes, les théories, les faits, t. III, p. 362 et p. 623.

(3) L. GESSNER, Le droit des neutres sur mer. Deuxième édition, p. 118.

13 mai 1861, le gouvernement britannique avait lancé la proclamation de neutralité. Peu après, la Confédération du Sud qui avait envoyé en Europe des agents ayant pour mission de faire reconnaître son indé pendance politique et de conclure des traités d'amitié et de commerce, fut obligée de remplacer ses délégués dont le choix n'avait guère été heureux; elle désigna James Murray Mason et John Slidell pour la représenter à Londres et à Paris.

Echappant aux croiseurs du gouvernement fédéral, Mason et Slidell, accompagnés de deux secrétaires, parvinrent à gagner Nassau, port de la colonie britannique de New-Providence et à se rendre à la Havane. Le 7 novembre 1861, ils s'embarquèrent à la Havane sur le Trent, paquebot britannique qui faisait régulièrement le voyage entre Vera-Cruz et l'ile danoise de Saint-Thomas. Une ligue de navigation reliait Saint-Thomas à Southampton. C'est alors que le capitaine Wilkes, commandant le navire de guerre fédéral San Jacinto conçut le projet de s'emparer de force des commissaires confédérés durant le voyage du Trent de la Havane à Saint-Thomas. Il l'accomplit le 8 novembre 1861. Antorisant le Trent à continuer sa route, il conduisit ses prisonniers aux Etats-Unis où ils furent internés dans une forteresse (1).

La Grande-Bretagne, la France, l'Autriche et la Prusse protestèrent contre le procédé du gouvernement fédéral qui se décida à relàcher les prisonniers. Dans un rapport au secrétaire de la marine, le capitaine Wilkes avait reconnu n'avoir trouvé ni précédent dans les décisions des tribunaux de prises, ni texte dans les écrits des jurisconsultes, mais il avait tenté de justifier son acte en disant que les deux agents confédérés devaient être considérés comme la personnification de dépêches, embodiment of despatches.

Les auteurs proclament licite le transport de l'agent diplomatique d'un des États belligérants par un navire neutre quand il est accrédité auprès d'un gouvernement neutre; il en est cependant qui admettent l'interdiction de pareil transport quand l'agent est accrédité auprès d'une puissance alliée. Dans l'avant-projet de règlement sur le régime de la neutralité, qu'il a soumis, en 1906, à l'Institut de droit interna

(4) THOMAS L. HARRIS, The Trent affair including a review of english and american relations at the beginning of the civil war, 1896. p. 191 et suivantes.

tional, Richard Kleen s'est prononcé avec netteté contre toute interdiction frappant le transport de diplomates par les neutres. « Depuis, écrit-il, que la diplomatie moderne ne s'ingère plus guère dans les opérations de guerre dans une forme qui pourrait rendre le transport d'agents diplomatiques dangereux pour un ennemi, les explorations et les espionnages n'étant pas de leur ressort et les pourparlers diplomatiques autrefois entretenus sur le théâtre des hostilités étant aujourd'hui concentrés dans les capitales et les ministères, et comme d'ailleurs les lignes du trafic régulier ont été exemptées des poursuites, cette interdiction a perdu sa raison d'être. » Le savant jurisconsulte constate, du reste, que l'interdiction ne figure plus dans les règlements les plus modernes ; il cite les règlements du Japon de 1894 et 1904, de la Russie de 1895 et 1904, de l'Espagne et des Etats-Unis de 1898.

II

Dans le projet adopté, en 1896, par l'Institut de droit international, sont énoncées les règles relatives au « service de transport ». Elles sont conçues en ces termes :

§ 6. « Il est défendu d'attaquer ou empêcher le transport de diplomates ou courriers diplomatiques: 1° neutres; 2o accrédités auprès de gouvernements neutres; 3° naviguant sous pavillon neutre entre des ports neutres ou entre un port neutre et le port d'un belligérant.

« Au contraire, le transport des diplomates d'un ennemi accrédités auprès de son allié est, sauf le trafic régulier et ordinaire, interdit: 1° sur les territoires et eaux des belligérants; 2o entre leurs possessions; 3o entre les belligérants alliés.

§ 7. «Sont interdits les transports de troupes, militaires ou agents de guerre d'un ennemi 1° dans les eaux des belligérants; 2o entre leurs autorités, ports, possessions, armées ou flottes; 3o lorsque le transport se fait pour le compte ou par l'ordre ou le mandat d'un ennemi, ou bien pour lui amener soit des agents avec une commission pour les opérations de la guerre, soit des militaires étant déjà à son service ou des troupes auxiliaires ou enrôlées contrairement à la neutralité, entre ports neutres, entre ceux d'un

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