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que cette inscription soit antérieure à la constitution des gages.

Ainsi, nous paraît-il, seraient à la fois pleinement sauvegardés et utilement servis des intérêts également respectables et si intimément liés les uns aux autres qu'ils ne sauraient, sous peine d'être gravement compromis, être envisagés et traités séparément.

Telles sont, mes chers confrères, les considérations que dès l'apparition de la loi je faisais valoir à la Conférence générale des Présidents de Tribunaux de Commerce de France. L'expérience est depuis venue confirmer nos craintes, et il est pour tous maintenant évident que si la nature même du fonds de commerce ne s'oppose pas en droit à sa dation en gage, elle y répugne et y résiste dans la pratique.

Depuis le jour de sa promulgation, la loi du 1er mars 1898 pesait sur le crédit comme un véritable cauchemar; aussi le monde du commerce a-t-il éprouvé une sorte de délivrance le jour où il apprit que, tenant compte de ses justes critiques, M. le sénateur Cordelet avait, avec quelquesuns de ses collègues du Sénat, entrepris de la faire modifier.

Certes, la loi Cordelet, adoptée par le Sénat le 17 mars 1909, n'est point parfaite. Si on pouvait reprocher à la loi Millerand la simplicité par trop exagérée des formalités à remplir, la loi Cordelet en impose peut-être trop. Elle est d'une pratique compliquée. Mais telle qu'elle est, elle ne rend pas moins d'inappréciables services.

Elle indique comment on pourra faire disparaître l'inscription et par suite dégager le fonds qui restait jusque-là grevé, même après payement de la dette. Elle dit en termes clairs que les marchandises, sauf dans le cas de vente du fonds, ne pourront jamais être comprises dans le nantissement qu'elle organise.

Enfin, elle décrit les formalités qu'il conviendra de remplir pour la vente du fonds et permet au vendeur de conserver un privilège bien naturel et bien juste, puisqu'au moment de la vente il est le seul créancier du fonds par lui vendu.

Les commerçants savent désormais que la constitution de la vente par acte authentique ou sous seing privé enregistré et l'inscription sur les registres du greffe garantissent les droits du vendeur, tandis que de son côté l'acheteur connaît les formalités qu'il doit suivre, les précautions qu'il peut prendre pour ne payer qu'à bon escient le fonds de commerce par lui acquis.

Grâce à la loi Cordelet, le caractère occulte de ventes de fonds de commerce a disparu, l'article 550 n'est plus opposable au vendeur, et les contractants de bonne foi peuvent régulièrement et à l'abri d'une loi se livrer à une opération courante dont la sincérité et la sûreté étaient jusqu'ici garanties insuffisamment par des coutumes.

A. GIRARD,

Président de la Conférence

des Présidents de Tribunaux de Commerce

de France.

ÉTUDE SUR LE PROJET DE LOI

SUR LES

SOCIÉTÉS PAR ACTIONS

Ce que les journaux ont appelé le « Krach Rochette » constitue un de ces incidents périodiques dans le monde des affaires et de la Bourse qui ramènent l'attention publique sur les dangers des grosses sociétés par actions irrégulièrement ou frauduleusement constituées ou adminis

trées.

Malheureuses victimes et habiles coupables se précipitent à la fois dans l'arsenal des lois sur les sociétés par actions pour y découvrir des armes propres à les protéger. Ils constatent alors, avec amertume, que la plupart de ces armes sont rouillées et usées par le temps, car elles remontent à plus de quarante ans, c'est-à-dire à la loi du 24 juillet 1867. Sans doute, elles ont été partiellement améliorées par les lois du 1er août 1893, des 9 juillet 1902 et 16 novembre 1903, et enfin par celle du 30 janvier 1907; mais ces améliorations ont été trop restreintes pour rester efficaces.

Cette situation est d'autant plus regrettable qu'il est devenu banal, et je ne fais que le rappeler, de constater quel essor merveilleux ont pris les sociétés par actions et com

bien elles se sont multipliées durant ces trente dernières

années.

Ces constatations attristées ont été maintes fois faites par tous les hommes qui se préoccupent, au point de vue théorique et pratique, des progrès nécessaires de notre législation commerciale et industrielle. Voici de quelle originale façon exprimait sa pensée sur ce point M. Edouard Lackenbacher, secrétaire général de la Ligue pour la réforme des lois sur les sociétés par actions (Bulletin de la Ligue, no 1 du 1er mars 1908):

« Nous en sommes encore à attendre les modifications «< essentielles à la loi du 24 juillet 1867, réclamées par tous, << modifications capitales pour les progrès de notre com<«<merce et de notre industrie. Pour employer une image

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qui rend bien notre pensée, appliquer la législation exis<< tante sur les sociétés, c'est vouloir soumettre à une loi « faite pour les diligences ou les coucous, la circulation des «< chemins de fer ou des automobiles. >>

Une telle anomalie législative ne peut se prolonger sans dangers considérables pour la protection de l'épargne française et aussi pour le développement fructueux des grandes entreprises commerciales et industrielles auxquelles la constitution de puissantes sociétés par actions est nécessaire.

Tout le monde est d'accord sur ce point et la nécessité d'une réforme législative en matière de sociétés par actions est proclamée par les Chambres de commerce, les Chambres de notaires, les représentants autorisés de la haute finance, les plus hautes notabilités du monde des affaires, des professeurs éminents des Facultés de droit et par tous les auteurs qui ont écrit sur les matières des sociétés commerciales, enfin par bon nombre de membres influents du Parlement.

En 1902, par arrêté en date du 21 juin, M. Vallé, garde

des sceaux, nomma une Commission extra-parlementaire pour étudier la revision des lois sur les sociétés par actions. Cette Commission, présidée par M. Lyon Caen, se mit résolument à l'ouvrage et chargea M. Rodolphe Rousseau de rédiger le rapport. Dès le 3 mars 1903, le Gouvernement déposait sur le bureau de la Chambre des députés un projet de loi rédigé par cette Commission portant modification des lois du 24 juillet 1867, du 1er août 1893 et du 9 juillet 1902, sur les sociétés. Sur ce projet de loi, M. Guillaume Chastenet déposait un rapport très étudié.

Comment se fait-il, dès lors, qu'une telle réforme, si unanimement réclamée, ne soit pas encore effectuée? Aurait-on négligé de préciser ces modifications désirées? de leur donner une forme concrète par la rédaction d'une proposition de loi? Ah! certes, non. Il suffit pour s'en rendre compte. de fouiller les archives parlementaires; on y découvrira un nombre vraiment imposant de propositions et projets de loi oubliés dans les cartons des Commissions et qu'on laisse périmer, puis qu'on reprend avec les nouvelles législatures sans plus de résultats. Nous y trouvons même un projet de loi très complet, déposé le 6 décembre 1883 au Sénat et voté par cette assemblée en 1884. Mais ce projet, qui avait été sagement élaboré par une Commission extraparlementaire composée d'hommes fort compétents, resta déposé sur le bureau de la Chambre des députés sans obtenir jamais les honneurs de la discussion.

Les nouveaux projets de loi de 1902 et 1903 déjà périmés une fois et déposés à nouveau en 1906 vont-ils subir le même sort que celui de 1884?

On peut vraiment le craindre en présence de l'état d'esprit des membres du Corps législatif qui ne semblent se passionner que pour les projets de loi de nature purement politique et se désintéresser systématiquement des lois d'affaires.

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