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DU DIVORCE

(Livre I, Titre VI du Code civil)

PROLEGOMÈNES

1. Dans le titre dont nous abordons l'étude, le législateur ne s'occupe pas seulement du divorce, ainsi que semblerait l'annoncer la rubrique, mais en outre de la separation de corps, qui, pour être un diminutif du divorce, n'en est pas moins une institution complètement distincte. Notre titre devrait donc avoir pour rubrique : Du divorce et de la séparation de corps; il devrait être divisé en deux chapitres consacrés, le premier au divorce, le deuxième à la séparation de corps. Le vice de méthode, qu'on peut reprocher ici au législateur, reçoit une explication historique, qui en atténue la gravité. Le projet du code civil n'admettait que le divorce. Lorsque la séparation de corps y fut introduite après coup, pour donner satisfaction aux consciences catholiques, on conserva le plan primitivement adopté, en se bornant à ajouter au titre Du divorce un chapitre consacré à la séparation de corps, le chapitre V et dernier.

I. Definitions du divorce et de la séparation de corps. Differences qui les séparent.

A. Définitions.

2. Le divorce est la rupture d'un mariage prononcée par l'autorité judiciaire sur la demande de l'un des époux et pour les causes que la loi détermine.

PERS. IV.

1

La séparation de corps est l'état de deux époux dispensés par la justice de l'obligation de vivre ensemble que le mariage leur imposait.

B. Différences entre le divorce et la séparation de corps.

3. Les définitions qui précèdent laissent voir que le divorce dissout le mariage, tandis que la séparation de corps le laisse subsister, et en relâche seulement le lien, en dispensant les époux de l'une des obligations qu'il impose, celle de la vie en commun.

Cette différence fondamentale en engendre plusieurs autres. Nous allons indiquer les principales.

1o Les époux divorcés peuvent, chacun de son côté, contracter un nouveau mariage. Il en est autrement des époux séparés de corps.

2o Les enfants que inef au monde une femme séparée de corps: haissent seus la protection de la règle Pater is est quem nuptiæ demonstrant (arg. art. 312 al. 1), sauf désaveu de la part du mari conformément à l'art. 312 al. 2). Au contraire, les enfants qui naissent d'une femme divorcée sont étrangers à son ancien mari, au moins lorsqu'ils ont été conçus à une époque postérieure à la dissolution du mariage.

3o Le devoir de fidélité cesse ex utroque latere, le mariage une fois dissous par le divorce. Il survit au contraire à la séparation de corps, et reçoit encore une sanction pénale, du moins quant à la femme (C. pén., art. 337).

4° La séparation de corps laisse subsister entre les époux le devoir de secours, qui se résoudra pratiquement dans le droit pour l'époux indigent de réclamer une pension alimentaire à l'autre. Au contraire, l'obligation alimentaire n'existe pas entre époux divorcés. Cependant l'art. 301 permet à l'époux qui obtient le divorce d'imposer à l'autre l'obligation de payer une pension alimentaire; nous verrons plus tard le caractère et l'étendue de cette disposition.

5o Le droit de successibilité cesse d'exister entre époux divorcés. Au contraire il subsiste entre époux séparés de corps, du moins pour l'époux au profit duquel la séparation de corps a été prononcée (nouvel art. 767).

6o D'après l'opinion générale, le divorce met fin à l'obligation alimentaire que la loi établit entre chacun des époux et les père et mère de l'autre ; la séparation de corps laisse subsister cette obligation.

7° Le divorce fait subir aux époux certaines déchéances que n'entraîne pas la séparation de corps, notamment celle dont il est question dans l'art. 386.

Le code civil établissait une autre différenee très importante entre le divorce et la séparation de corps. La femme séparée de corps demeurait soumise à la nécessité d'obtenir une autorisation de son mari ou de la justice pour accomplir les divers actes de la vie civile. Au contraire, la femme divorcée échappait à cette entrave. En restituant à la femme séparée de corps le plein exercice de sa capacité civile, la loi du 6 février 1893 a supprimé cette différence.

2 II. Historique.

A. Droit romain.

A Rome, le mariage pouvait se dissoudre librement, et l'on considérait comme nulles toutes conventions ayant pour objet d'interdire le divorce, soit directement, soit indirectement, en imposant à celui qui provoquerait le divorce l'obligation de payer une somme d'argent à titre de peine. Pendant très longtemps, en fait, le divorce resta sans application pratique; il commence à faire son apparition vers la fin de la République, pour devenir sous l'Empire le mode ordinaire de dissolution du mariage (L. 40, De verb. sign., D., L. 16). On distinguait deux sortes de divorce: le divorce proprement dit ou bona gratia, qui supposait le consentement des deux époux, et n'était assujetti à aucune formalité, et la répudiation ou dissolution par la volonté unilatérale de l'un des conjoints, soumise, au contraire, par la loi Julia de adulteriis à l'observation de certaines règles. L'influence du christianisme n'était pas parvenue à l'abolition du divorce; toutefois elle se manifeste d'une façon sensible à l'époque de Justinien : le divorce bona gratia est d'abord réduit à l'hypothèse où il intervient propter castitatem; puis il est définitivement proscrit; l'ap

plication du divorce par répudiation est peu à peu restreinte à l'hypothèse où les époux ont une cause légitime de se séparer, une cause prévue par la loi.

B. Ancien droit.

4. Notre ancien droit n'admettait pas le divorce. Il était proscrit par la religion catholique, et l'on sait qu'à cette époque les prescriptions de la loi religieuse s'imposaient au législateur civil. Mais aucune religion n'a la puissance d'empêcher les mauvais ménages, et comme il fallait bien, à tout prix, offrir un remède aux époux pour lesquels la vie commune était devenue insupportable, la religion catholique tolérait, et notre ancien droit pratiquait la séparation d'habitation ou séparation de corps, divortium à toro et mensa, qui détend le lien du mariage sans le rompre.

On a remarqué avec raison que la séparation de corps. n'avait pas été créée par l'Eglise comme une institution nouvelle, mais seulement comme une atténuation du divorce. On décida ensuite, et d'assez bonne heure, que la séparation tolérée par l'Eglise devait, à la différence du divorce, réglementé par les lois romaines, être prononcée en justice par les juridictions ecclésiastiques. La nécessité d'une intervention judiciaire a été maintenue plus tard, même pour le divorce quand il a été rétabli dans les lois civiles (1).

Dans notre ancien droit la femme seule pouvait demander la séparation pour se préserver des violences et des abus d'autorité du mari. Ce dernier ne pouvait recourir à la séparation que pour cause d'adultère de la femme (2).

C. Droit intermédiaire.

5. OEuvre de réaction violente contre l'ancien état de choses, la loi du 20 septembre 1792 admit le divorce et proscrivit la séparation de corps.

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Partant de ce principe « qu'il fallait accorder la plus grande

latitude à la faculté du divorce, à cause de la nature du con

(1) V. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, III, n. 684.

(2) V. Planiol, op. cit., n. 685; Pothier, Mariage, n. 508 et 525. n. 303.

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