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tion; lorsque l'on ne peut reprocher aux époux aucune négligence, lorsque leur intention de rendre le jugement définitif est évidente, les tribunaux seraient autorisés à les relever de la déchéance encourue (').

Dans cette opinion, on peut, sans grand inconvénient, refuser aux époux qui ont perdu le bénéfice du jugement de divorce le droit de renouveler leur action; de deux choses l'une, en effet, ou bien la présomption qui motive la déchéance est vérifiée et alors l'action nouvelle devrait être écartée par la fin de non-recevoir tirée de la réconciliation des époux, ou bien cette présomption est démentie par les faits et alors les époux peuvent se faire relever de la déchéance encourue sans avoir besoin de renouveler leur action. Ce résultat, avantageux au point de vue pratique, a dù, sans doute, exercer une influence sur les tribunaux et conduire la jurisprudence à ne pas se montrer trop rigoureuse sur les conditions requises pour écarter la déchéance de l'art. 252.

Cependant, malgré les inconvénients pratiques qu'elle peut offrir, il est une autre opinion qui semble préférable. La déchéance de l'art. 252 repose avant tout sur un intérêt supérieur d'ordre public; elle a pour but de prévenir toute incertitude sur l'état civil des époux et d'enlever à ces derniers la faculté de prolonger ou de faire cesser, à leur gré, la vie commune, en retardant ou en activant la transcription du divorce. Il n'y aurait donc pas à se préoccuper de l'intention des époux, ni à rechercher s'ils ont été ou non négligents; de même que l'expiration du délai d'appel ou du pourvoi en cassation ou encore du délai de l'art. 357 (civ.) en matière d'adoption, entraîne une déchéance fatale sans qu'on ait à se demander si les parties ont pu ou non profiter du temps fixé par la loi, de même la déchéance de l'art. 252 est nécessairement encourue, lorsque le délai de deux mois s'est écoulé sans que la transcription ait été requise (2). Seul,

(1) Paris, 30 mai 1888, S., 88. 2. 197, D., 90. 2. 17. — Alger, 29 mars 1893, La Loi, 1er déc. 1893. Trib, Seine, 7 mai 1879, La Loi. 26 mai 1889; 28 juin 1888, La Loi, 2-3 nov. 1888; 16 juill. 1892, Gaz. Trib., 20 août 1892. - Trib. Langres, 2 avril 1890, La Loi, 27 avril 1890.

(2) Tissier, Notes sous Cass., 5 août 1896, S., 97. 1. 129 et sous Paris, 24 déc. 1895, S., 96. 2. 257.

un véritable cas de force majeure permettrait en matière de divorce, comme en matière d'appel ou de cassation, de relever les parties des conséquences de leur négligence (1); l'erreur ou la négligence, soit des époux eux-mêmes, soit de leur mandataire, ne suffirait pas pour empêcher la déchéance de produire ses effets (2). Comment reconnaître l'existence d'un véritable cas de force majeure? C'est là, évidemment, une question de fait, que le juge appréciera souverainement, suivant les circonstances de la cause (3).

176. Les époux qui ont encouru la déchéance pourront-ils renouveler leur action en la fondant sur les mêmes motifs? Si l'expiration du délai sans transcription ne pouvait être considérée, en fait, comme équivalente à une réconciliation entre les époux, on devrait permettre à ces derniers de reprendre l'instance; pourquoi leur imposer la vie com

(1) Par exception, en effet, en cas de force majeure, les parties peuvent être relevées de la déchéance des délais d'appel ou de cassation. — Cass., 3 juill. 1880, S., 82. 1. 288; 7 mars 1849, S., 49. 1. 343, D., 49. 1. 123.

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(*) Caen, 29 juin 1896, S., 97. 2. 80, D., 97. 2. 326. Il convient de noter toutefois que la jurisprudence paraît avoir une tendance contraire; la déchéance serait fondée sur une présomption de réconciliation ou de renonciation à l'action susceptible d'être combattue par la preuve contraire, notamment par le mandat donné à l'avoué de faire opérer la transcription; la déchéance ne serait donc pas encourue lorsque le défaut de transcription est imputable à un tiers. Trib. Seine, 6 juillet 1899, D., 99. 2. 479; Trib. civ. Bergerac, 3 mars 1904, D., 04. 2. 447; Trib. civ. Marseille, 7 juill. 1904, Jur. civ. Marseille, 1905, 112. - Cpr. Alger, 22 fév. 1905, Gaz. Trib., 9 juillet 1905.

Il est assez difficile de voir, comme l'a fait la cour de Paris (arrêt précité du 30 mai 1888), un cas de force majeure dans cette circonstance que pendant toute la durée du délai utile pour opérer la transcription, la grosse du jugement aurait élé retenue par une tierce personne, laquelle aurait refusé de s'en dessaisir. — Cependant, le tribunal de la Seine a décidé que la déchéance n'était pas encourue lorsque le défaut de transcription était imputable à un tiers qui avait négligé d'exécuter en temps utile le mandat qu'il avait reçu. Trib. Seine, 6 juillet 1899, D., 99. 2. 479. V. dans le même sens Trib. Seine, 1er mai 1902, Gaz. Trib., 19 juin 1902. - La cour de cassation, par un arrêt du 5 août 1896 (S., 97. 1. 129, D., 97. 1. 402), a statué dans une espèce curieuse où il s'agissait bien plutôt de fixer le point de départ du délai de deux mois, que de relever les époux de la déchéance encourue; la transcription avait été opérée indùment, malgré un pourvoi en cassation, sur la foi d'un certificat erroné de non pourvoi; cette transcription, bien que nulle, faisait obstacle à toute transcription nouvelle, d'après la cour de cassation, tant qu'elle n'avait pas été annulée par jugement rendu conformément aux art. 49 et 101 (civ.); dès lors, le délai de deux mois pour opérer une transcription valable ne devait commencer à courir qu'à partir du jugement définitif prononçant la nullité de la première transcription.

mune, alors qu'ils ont des raisons sérieuses (le jugement prononçant le divorce l'a prouvé) de rompre le lien conjugal et alors qu'ils n'ont pas l'intention d'oublier les griefs passés? Sans doute, on les expose ainsi à de nouveaux frais; mais on pourrait les considérer comme la sanction de leur négligence, du moment où le législateur ne veut pas faire produire au jugement de divorce ses effets, sans qu'ils se révèlent par la transcription sur les registres de l'état civil. Toutefois, c'est la solution contraire, si fâcheuse qu'elle soit au point de vue pratique, qui doit prévaloir; les époux déchus du bénéfice du jugement ne peuvent renouveler l'action; l'ancien art. 266 le décidait en termes formels et la règle demeure la même bien qu'elle n'ait pas été reproduite par le législateur de 1886 (1). Par analogie des dispositions contenues autrefois dans cet art. 266, si une cause nouvelle de divorce se produisait après l'expiration du délai de deux mois, les époux, en l'invoquant, pourraient faire valoir les causes anciennes, antérieures au jugement dont ils ont perdu le bénéfice (*).

177. La déchéance est attachée par la loi au défaut de réquisition de la transcription dans les deux mois. Voyez le texte. Il suffit donc que la transcription ait été requise dans le délai, pour que la déchéance ne soit pas encourue. Et il importerait peu que l'officier de l'état civil eût laissé passer le cinquième jour à dater de la réquisition sans opérer la transcription. La négligence de l'officier de l'état civil ou sa résistance injuste ne peut pas être la source d'une déchéance pour les époux; elle ferait seulement encourir à cet officier la responsabilité pénale édictée par notre texte, celle de l'art. 50. C'est la seule sanction établie par la loi, et l'interprète ne peut pas en ajouter d'autre (3). Sans préjudice, bien entendu, des

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(1) Paris, 1er juill. 1886, Le Droit, 8 juill. 1886. Trib. Seine, 27 avril 1899, Le Droit, 7 nov. 1899. Trib. Montdidier, 12 juin 1902, La Loi, 3 sept. 1902. — Contra Pau, 19 juin 1900 (motifs), D., 1901. 2. 199, S., 1901. 2. 34.

(*) Cass., 18 mars 1887, La Loi, 30 mars 1887. · Pau, 19 juin 1900, cilé supra. - Contra Carpentier, op. cit., n. 3256.

Riom, 7 août 1889, sous

(3) Angers, 23 juin 1893, S., 93. 2. 164, D., 94. 2. 76. Cass., 5 août 1890, D., 91. 1. 277. - Trib. civ. Troyes, 9 mai 1500, D., 1903. 2. 477. - V. aussi les notes de M. Tissier, sous Cass., 15 mai 1895, précité, et de M. Valabrègue sous Aix, 23 janv. 1895, S., 95. 2. 217.

dommages et intérêts auxquels pourra être condamné l'officier de l'état civil négligent, par application de l'art. 1382.

178. Il reste à savoir comment devra être réparée la négligence de l'officier de l'état civil qui, régulièrement requis, aurait laissé passer le cinquième jour à dater de la réquisition sans effectuer la transcription. Il nous paraît que la transcription ne pourrait désormais être effectuée qu'en vertu d'un jugement. C'est ce qui résulte, par argument d'analogie, de l'avis du conseil d'Etat du 12 brumaire de l'an XI (').

179. Pour éviter la déchéance de l'art. 252, il suffit d'une réquisition dans le délai de deux mois; les irrégularités commises dans cette réquisition n'auraient pour résultat ni d'entrainer la nullité de la transcription qui aurait été opérée, ni de rendre applicable la déchéance de l'art. 252, si, à raison de l'irrégularité même de la réquisition, l'officier de l'état civil s'était refusé à opérer la transcription; la loi, en effet, n'édicte aucune sanction contre une réquisition irrégulière et il est de règle que les nullités ne se suppléent pas (2). Pour le même motif, le défaut de mention du jugement en marge de l'acte de mariage ne saurait entrainer la nullité de la transcription, ni, par suite, la déchéance de l'art. 252 (3).

180. Dans le cas où l'officier de l'état civil aurait opéré la transcription sans réquisition ou malgré une réquisition tar

(1) Angers, 23 juin 1893, précité. — Amiens, 29 avril 1890, S., 92. 1. 153, D., 92. 2.214. Trib. Brignolles, 7 août 1901, D., 02. 2. 344. Trib. Nantes, 8 déc.

1894, Gaz. Pal., 95. 1. 340. · Contra Trib. Troyes, 9 mai 1900, Pand. fr., 01. 2.

97.

Tissier, Noles sous Cass., 15 mai 1895. S., 96. 1. 17 et Rapport de M. le conseiller Denis. - On en peut logiquement déduire que la réquisition faite à un officier de l'état civil, même incompétent, suffit pour écarter la déchéance de l'art. 252. — Trib. Seine, 7 mai 1888, D., 90. 2. 17; 8 mars 1887, S., 88. 2. 197, D., 90. 2. 17. - Une réquisition prématurée pourrait également produire effet. Trib. Agen, 2 fév. 1900, D., 1900. 2. 321.

On peut se demander si, en pareil cas, l'amende de 50 francs serait applicable à l'officier de l'état civil négligent; la solution affirmative parait préférable; l'art. 50 (civ.) contient une disposition applicable à l'art. 49, texte général, qui vise aussi bien la mention de l'art. 251 que toutes autres mentions à faire en marge des actes de l'état civil; en ce sens, Vraye et Gode, I, p. 413; Coulon, IV, p. 464. Contra Carpentier, n. 3258. L'officier de l'état civil pourrait, en outre, être déclaré responsable envers les tiers si sa négligence leur avait causé préjudice.

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dive, il est évident que la transcription ne produirait aucun effet; l'un ou l'autre des époux, leurs héritiers et même les tiers, dans la mesure où ils auraient un intérêt né et actuel, pourraient faire déclarer que cette transcription est inopérante; les époux et leurs héritiers auraient même le droit de provoquer la radiation de l'acte sur le registre de l'état civil.

A proprement parler, il n'y a pas d'autre action dirigée contre l'existence ou la validité du divorcé que celle dont il vient d'être question; on ne saurait, en effet, lorsque la décision est passée en force de chose jugée, demander la nullité du divorce, sous prétexte d'irrégularités commises dans la procédure suivie devant les diverses juridictions (').

181. Au lendemain de la loi, s'est élevée une question qu'il était facile de prévoir. La loi nouvelle devait-elle s'appliquer aux divorces qui, au moment de sa promulgation, se trouvaient autorisés par une décision judiciaire passée en force de chose jugée, mais n'avaient point encore été prononcés par l'officier de l'état civil? En d'autres termes, supposons qu'une décision judiciaire irrévocable, autorisant le divorce, ait été rendue sous l'empire de la loi du 27 juillet 1884; au moment de la promulgation de la loi du 18 avril 1886, l'époux qui avait obtenu ce jugement ne l'avait point encore exécuté en faisant prononcer le divorce par l'officier de l'état civil, mais les délais n'étaient point expirés. Fallait-il, pour rendre ce jugement efficace, se référer aux prescriptions de la loi sous l'empire de laquelle il avait été rendu, ce qui conduisait à dire que le divorce devait être prononcé par l'officier de l'état civil, sur la réquisition de l'époux qui l'avait obtenu? Ou bien, au contraire, y avait-il lieu de procéder conformément aux prescriptions de la loi nouvelle, d'après laquelle le jugement est rendu efficace par la transcription sur les registres de l'état civil, effectuée à la requête de l'un ou de l'autre des époux?

A première vue, il semble que ce soit la loi nouvelle qui doit être appliquée. L'art. 7 de cette loi ne dit-il pas que :

(1) « Voies de nullité n'ont lieu contre les jugements 1899, Gaz Trib., 6 janv. 1899.

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