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«La présente loi s'appliquera aux instances de divorce com» mèncées sous l'empire de la loi du 27 juillet 1884 » : ce qui n'est qu'une application du principe général en vertu duquel les lois de procédure rétroagissent.

Mais, avec la réflexion, on revient vite de cette impression. L'art. 7 parle d'une instance commencée. Ce n'est pas notre hypothèse. En effet l'instance en divorce est terminée : elle a été couronnée par un jugement définitif; il s'agit d'exécuter ce jugement, et naturellement, il doit être exécuté suivant sa teneur. Or que porte son dispositif? Que le divorce est admis, et qu'en conséquence les parties sont autorisées à se retirer devant l'officier de l'état civil pour faire prononcer le divorce. C'était la formule généralement adoptée. Donc il ne peut être question de faire transcrire ce jugement sur les registres de l'état civil ce serait faire autre chose que ce qu'il ordonne. En vain l'officier de l'état civil requis de prononcer le divorce opposerait-il qu'il ne saurait procéder à une cérémonie que la loi a abolie. Il ne peut refuser d'exécuter une décision judiciaire régulièrement rendue sous la loi alors en vigueur et passée en force de chose jugée. La cérémonie de la prononciation du divorce est abolie, oui; mais seulement pour les divorces que les tribunaux prononceront à l'avenir, non pour ceux sur lesquels ils avaient déjà statué. C'est d'ailleurs en ce sens que la question a été résolue par une circulaire du garde des sceaux en date du 22 avril 1886 (').

SECTION II

MESURES PROVISOIRES ET CONSERVATOIRES

§ I. Mesures provisoires.

A. Diverses catégories de mesures provisoires.

182. Les mesures provisoires peuvent être divisées en quatre catégories: 1° celles que le président du tribunal peut ordonner au moment où il reçoit la requête de l'époux demandeur en divorce; 2° celles ordonnées par ce magistrat à l'issue

(1) Cpr. Trib. Fontainebleau, 17 nov. 1886, S., 87. 2. 221.

de l'essai de conciliation, lorsque cet essai demeure infructueux ; 3° les mesures provisoires qui sont de la compétence du tribunal; 4° enfin celles qui rentrent dans l'office du président du tribunal statuant comme juge des référés.

1° Mesures provisoires de la première catégorie.

183. A partir du moment où la citation en conciliation est lancée, il se peut que la cohabitation devienne intolérable pour les époux ou même dangereuse. Aussi la loi permet-elle de la faire cesser. A cet effet, l'époux demandeur, quel qu'il soit, peut solliciter du président du tribunal, au moment où il comparait devant lui pour obtenir l'ordonnance permettant de citer, l'autorisation de résider séparément de son conjoint (1). Si c'est la femme, le président du tribunal fixera le lieu de sa résidence provisoire : il jouit, pour la détermination de ce lieu, d'un pouvoir discrétionnaire (2). Il en sera autrement, si c'est le mari qui est demandeur, car le mari a le droit de fixer sa résidence où il veut; il suffira donc de l'autoriser à quitter sa femme.

Tout cela résulte dn nouvel art. 236 ainsi conçu : « Le juge » peut, par l'ordonnance permettant de citer, autoriser l'époux » demandeur à résider séparément, en indiquant, s'il s'agit » de la femme, le lieu de la résidence provisoire ».

La résidence assignée à la femme forme pour elle un domicile provisoire où doivent lui être signifiés les actes de la procédure (3). Mais, légalement, la femme conserve le domicile de son mari tant que le divorce ne constitue pas un fait accompli (*).

Il se peut que l'époux demandeur, soit le mari, soit la

(1) Le président ne pourrait d'office assigner une résidence distincle au demandeur, si ce dernier ne réclamait pas, dans sa requête ou dans ses explications orales, le bénéfice de cette mesure.

(2) On s'est demandé si le président pouvait repousser la demande relative à la résidence séparée; en fait, le président ne repoussera jamais cette demande; mais en droit, on doit lui reconnaître un pouvoir souverain pour l'accueillir ou la repousser. Cpr. Carpentier, op. cit., n. 953.

(3) Chambéry, 19 juill. 1887, S., 90. 2. 211, D., 88. 2. 89,

S., 94. 1. 114.

Bastia, 12 juil. 1892,

(*) Paris, 19 juin 1895, D., 96. 2. 378; 20 jany. 1896, Gaz. Trib., 18 mars 1896.

femme, ait un intérêt majeur à ne pas quitter le lieu du domicile conjugal. Peut-il, dans ce cas, obtenir du président du tribunal l'autorisation de rester à ce domicile, l'autre époux devant le quitter? Par exemple, la femme, demanderesse en divorce, exerce au lieu du domicile conjugal l'industrie de tailleuse de robes, à laquelle son mari ne participe pas. Le président du tribunal peut-il ordonner, sur sa demande, qu'elle restera au domicile conjugal et que son mari devra le quitter? Que ce droit appartienne au président du tribunal comme juge des référés, on n'en peut guère douter (arg. art. 806 C. pr.). D'ailleurs le référé implique un débat contradictoire, et la décision du juge est susceptible d'appel. Autant de garanties pour l'époux défendeur. Mais il peut paraître douteux, vu le silence de la loi et malgré l'affirmation contraire du rapporteur de la commission du sénat, que le président puisse rendre une semblable décision en vertu des pouvoirs que lui confère l'art. 236. En effet l'époux défendeur pourrait ainsi se trouver contraint de quitter le domicile conjugal sans avoir été mis en mesure de se faire entendre, et il n'aurait, comme on le verra bientôt, aucune voie de recours contre cette décision. La jurisprudence ne s'est pas arrêtée devant ces raisons (1).

Tout ce qui concerne la résidence des époux pendant le cours de l'instance peut être réglé d'un commun accord entre eux (2). Rien ne s'oppose d'ailleurs à ce que les époux continuent à vivre ensemble pendant la durée de l'instance, si tel est leur bon plaisir. Arg. art. 246 al. 2. Mais, dans la pratique, ils n'useront guère de cette faculté; d'autant plus que le demandeur en divorce peut craindre que sa longanimité ne compromette le succès de son action. Le tribunal penserait peut-être que la vie commune n'est pas aussi intolérable qu'il le prétend, puisqu'il l'a continuée pendant la durée du procès, alors qu'il ne tenait qu'à lui de la faire cesser.

184. Bien que la loi ne le dise pas, le président du tribunal peut aussi, par cette première ordonnance, statuer provi

(1) Cass., 18 janv. 1892, S., 92. 1. 68, D., 92. 1. 124. Cpr. Paris, 25 fév. 1885, S., 85. 2. 87

(*) Cass., 6 fév. 1889, S., 91. 1. 379.

soirement sur la garde des enfants et sur la remise des effets personnels. Arg. des mots à nouveau de l'art. 238 al. 2 ('). Mais la loi lui refuse le droit d'accorder à ce moment une pension alimentaire et à plus forte raison une provision ad litem. Arg. art. 238 al. 2 in fine (2).

2o Mesures provisoires de la deuxième catégorie.

185. Au moment où les parties comparaissent devant lui pour l'essai de conciliation, le président du tribunal peut, par l'ordonnance même qui clôt la séance (c'est la seconde : celle-là est contradictoire), « statuer à nouveau, s'il y a lieu, » sur la résidence de l'époux demandeur, sur la garde des » enfants, sur la remise des effets personnels, et il a la faculté » de statuer également, s'il y a lieu, sur la demande d'ali»ments » (nouvel art. 238 al. 2.). La rédaction de la partie finale de cette disposition semble bien annoncer que le président est appelé pour la première fois à statuer sur la demande d'aliments, ainsi que nous l'avons noté tout-àl'heure.

186. Le président appelé à statuer pour la première fois ou à nouveau sur la résidence de l'époux demandeur a un pouvoir souverain d'appréciation; il n'est pas douteux, cette fois, qu'il puisse, à raison des circonstances particulières de la cause, autoriser la femme à rester au domicile conjugal, en imposant au mari l'obligation de le quitter (3); le débat est devenu contradictoire et l'ordonnance rendue est susceptible d'appel. Rien n'empêcherait le président de fixer la résidence de la femme en dehors de l'arrondissement (*) ou même à l'étranger (5).

(1) Contra Carpentier, op. cit., n. 963.

(*) Paris, 12 janv. 1889, S., 91. 2. 51.

(3) Il en est ainsi, par exemple, lorsque la femme gère un commerce. Trib. civ. Beauvais, 20 mars 1897, Pand. fr., 97.2. 320; Amiens, 14 avril 1899, Rec. Amiens, 99. 190. V. également Cass., 25 févr. 1901, D., 02. 1. 313.

(*) Cette décision serait toute naturelle si les parents de la femme n'habilaient pas dans le même arrondissement que le mari.

(5) Cette décision ne se comprendrait en fait que dans des circonstances très exceptionnelles, dans le cas où les parents de la femme résideraient à l'étranger. Cpr. Chambéry, 6 mai 1891, D., 92. 2. 503.

Ainsi qu'il a été dit, dans les rapports entre époux, les actes de procédure sur l'instance en divorce doivent être signifiés à la femme dans la résidence à elle assignée ('); désormais, cette résidence équivaut pour elle à un domicile légal, dans lequel le mari ne pourrait pénétrer avec violence sans commettre le délit de violation de domicile (2). Cependant, le domicile conjugal, où le mari est maintenu, conserve son caractère, au point de vue de la femme elle-même, vis-à-vis des tiers (3) et au point de vue du mari qui commettrait le délit d'adultère, s'il entretenait une concubine dans ce domicile (*). L'ordonnance du président qui fixe à la femme une résidence distincte conserve son effet tant que l'instance n'est pas périmée (5).

187. La remise des effets personnels à la femme est une conséquence de la fixation d'une résidence séparée. Elle doit comprendre tout ce qui est utile à la femme dans la résidence distincte qui lui est assignée; cette mesure peut être édictée au profit du mari, lorsque celui-ci est obligé de quitter le domicile conjugal. Le président jouit encore d'un pouvoir souverain d'appréciation pour déterminer, suivant les circonstances, ce qui doit être remis à la femme ou au mari, en tenant compte au besoin du régime matrimonial des époux. Ainsi, le président pourrait autoriser la femme à emporter dans la résidence assignée une partie de son mobilier personnel (6). Si le président n'avait pas statué sur ce point, on ne pourrait tenir la solution comme sous-entendue et il faudrait revenir devant le président par voie de référé ou s'expliquer devant le tribunal (").

"V. supra, n. 183.

(3) Amiens, 11 janv. 1873, D., 73. 2. 256. Trib. corr. de Saint-Etienne, 2 mai 1893, Gaz. Trib, 25 mài 1893.

Cpr. supra, 183.

Bordeaux, 18 déc. 1896, Loi, 16 fév. 1897.

(Dès lors, le refus par le mari de recevoir sa femme au domicile conjugal avant que l'instance ne soit périmée ne constitue pas une injure grave.

Cass.,

7 avril 1862, S., 63. 1. 315, D., 63. 1. 199. — Cpr. Trib. Seine, 15 déc. 1888, Gaz. Pal., 12 janv. 1890.

Cass., 15 fév. 1859, S., 59. 1. 201, D., 59. 1. 201.

17 Carpentier, op. cit., n. 1203. Contra Coulon et Faivre, p. 121; Vraye et Gode, p. 455.

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