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un mari serait en droit de soutenir également que le divorce ne peut pas être prononcé contre lui pour des faits, quels qu'ils soient, antérieurs à la promulgation de la loi nouvelle, parce que, d'après la loi en vigueur à l'époque où ils ont été accomplis, ces faits ne pouvaient pas entraîner le divorce, mais seulement la séparation de corps. Enfin nous voyons qu'aux termes de l'art. 4 de la loi nouvelle, les instances en séparation de corps, pendantes au moment de la promulgation de cette loi, peuvent être converties en instances de divorce, et que les jugements de séparation de corps, devenus définitifs avant cette même époque, peuvent être convertis en jugements de divorce conformément à l'art. 310. C'est bien la preuve que le législateur a voulu que la loi nouvelle rétroagit. En un certain sens, elle touche à l'ordre public, et les lois de cette catégorie échappent ordinairement à la règle que la loi ne rétroagit pas (').

34. L'art. 298, 2° partie, tel qu'il est sorti des mains du législateur de 1803, portait : « La femme adultère sera con->> damnée par le même jugement [celui qui admet le divorce], » et sur la réquisition du ministère public, à la réclusion dans >> une maison de correction pendant un temps déterminé, qui >> ne pourra être moindre de trois mois, ni excéder deux >> années ».

Les art. 308 et 309 contenaient des dispositions analogues en matière de séparation de corps : « La femme contre laquelle » la séparation de corps sera prononcée pour cause d'adul» tère sera condamnée par le même jugement et sur la réqui>>sition du ministère public, à la réclusion dans une maison » de correction pendant un temps déterminé, qui ne pourra >> être moindre de trois mois, ni excéder deux années » (art. 308). « Le mari restera le maître d'arrêter l'effet de cette » condamnation, en consentant à reprendre sa femme » (art. 309).

Le législateur de 1884 a supprimé avec raison ces textes dont la place n'était pas dans le code civil. Ils étaient deve

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() Nancy, 12 nov. 1884, S., 85. 2. 83, D., 86. 2. 31. — Cpr. Cass., 12 nov. 1806, S. chr. Contra Carpentier, op. cit., n. 42; Vraye et Gode, op. cit., p. 56. Faivre, Coulon et Jacob, Manuel formulaire du divorce, 3e édit., p. 37.

nus inutiles depuis que leur disposition avait été reproduite avec certaines améliorations par le code pénal de 1810,

art. 337.

II. Excès, sévices ou injures graves.

35. Les excès sont des actes de violence, exercés par l'un des époux contre l'autre, et qui peuvent mettre en danger la santé ou même la vie de celui qui en est victime (').

Les sévices sont un diminutif des excès. Ils consistent dans de mauvais traitements, dans des voies de fait, qui, sans menacer la vie ni même la santé, rendent cependant l'existence en commun insupportable. C'est dire qu'ils doivent être graves pour pouvoir servir de fondement à une demande en divorce le mot graves de l'art. 234 tombe sur les sévices aussi bien que sur les injures.

Il est difficile de donner une définition précise des injures, à cause de l'infinie variété des cas auxquels cette expression s'applique. Elle comprend les insultes, les outrages résultant soit de paroles ou d'écrits (injures verbales), soit de faits, d'actions (injures réelles). Verbales ou réelles, les injures doivent être graves pour pouvoir servir de fondement à une demande en divorce, mais un seul fait peut suffire. C'est au juge du fond qu'il appartient d'apprécier la gravité de l'injure, et il l'appréciera en tenant compte de la condition sociale des époux, du lieu où l'injure a été commise, de la fréquence des faits allégués, de leur publicité et des mille autres circonstances de la cause (2). Aussi bien toutes les questions que les auteurs agitent sur ce sujet sont-elles des questions de fait plutôt que de droit. Cette considération explique les

(1) Montpellier, 5 fév. 1895, D., 96. 2. 101.

(*) Cass., 2 juin 1890, S., 90. 1. 334. - Certains auteurs pensent que les excès constitueraient une cause péremptoire de divorce. Aubry et Rau, V, § 491, n. 177; Demolombe, IV, n. 3947. Même des arrêts décident qu'il en est ainsi des sévices et injures graves. Dijon, 30 juill. 1868, D., 68. 2. 2477. A la vérité, la question est mal posée; le juge a toujours la liberté d'apprécier les faits qui lui sont soumis et de dire s'ils constituent des excès, des sévices ou des injures graves; mais, lorsqu'il a affirmé qu'un fait avait le ceractère d'un excès ou d'une injure grave, il ne peut plus se refuser à prononcer le divorce, puisque l'on se trouve alors dans le cas prévu par l'art. 231.

contradictions apparentes que présentent à cet égard les diverses décisions judiciaires. Elle explique aussi comment les jugements, statuant sur les demandes en divorce ou en séparation de corps pour cause d'injures graves, sont rarement l'objet d'une censure de la part de la cour de cassation, qui ne réprime pas les erreurs de fait (1).

36. Cependant, avant de parcourir les différentes hypothèses dans lesquelles on a pu voir des excès, sévices ou injures graves, il convient d'indiquer certaines règles générales communes à cette seconde cause de divorce.

Les excès, sévices ou injures graves ne sont pris en considération qu'autant qu'ils ont un caractère intentionnel; ils supposent la responsabilité morale en la personne de leur auteur (2).

37. Ils doivent avoir pour auteur l'un des époux et pour victime l'autre époux. Cependant si le fait injurieux émanant d'un tiers avait été suscité ou même toléré par l'un des époux, il pourrait être suffisant pour faire prononcer le divorce (3). De même l'injure adressée directement à un tiers servirait de base à une action en divorce, si, indirectement, elle visait et atteignait l'un des époux (*).

38. En principe, les excès, sévices et injures graves doivent atteindre la personne et non pas seulement les biens. Pour la garantie de leurs intérêts pécuniaires, la loi donne aux époux divers moyens tels que la séparation de biens

(1) Cass., 12 avril 1905, D., 05. 1. 269; 2 juin 1904, D., 04. 1. 474; 10 juillet 1900, D., 01. 1. 471, S., 01. 1. 79; 30 nov. 1898, D., 99. 1. 358; 7 juin 1901, D., 01. 1. 397, S., 02. 1. 176; 6 janv. 1902, D., 02. 1. 32; 10 fév. 1902, S., 02. 1. 437; 24 fév. 1892, S., 92. 1. 367; 3 janv. 1893, S., 93. 1. 251.

[* Cass., 5 août 1890, D., 91. 1. 365. Trib. Seine, 26 mars 1859, sous Cass., 14 janv. 1861, S., 61. 1. 719, D., 61.1.196. - Demolombe, IV, n. 401; Laurent, III, n. 189 et 190. Le divorce ne peut être demandé sur le motif que le conjoint est atteint d'une maladie incurable. Lyon, 30 nov. 1903, D., 04. 2. 136, S., 04. 2. 225. Trib. Seine, 22 mars 1894, le Droit, 28 oct. 1894. Pau, 27 mars 1896, Le Droil, 6 mai 1896. Bordeaux, 23 juill. 1873, S., 73. 2. 291. — V. Fuzier-Herman, C. civ. annoté, art. 231, n. 88.

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() Paris, 27 mars 1896, D., 96. 2. 222. - Ainsi les injures adressées aux parents de l'un des conjoints pourraient alleindre indirectement ce dernier; spécialement le refus obstiné de la part du mari de recevoir sa belle-mère et de permettre toute relation entre elle et sa femme pourrait constituer une injure vis-à-vis de celle-ci. Paris, 13 juill. 1894, sous Cass., 30 nov. 1898, D., 99. 1. 358.

ouverte au profit de la femme; mais elle ne leur permet pas, sur le simple fondement d'un intérêt pécuniaire, d'obtenir le divorce ('). Pour que l'action en divorce puisse réussir, il faut, à côté de l'atteinte portée à l'intérêt pécuniaire, la réalité d'un mal moral ou physique contenant excès, sévices ou injures (2). 39. L'exercice normal d'un droit légitime, quelles qu'en soient les conséquences pour l'un des époux, ne peut servir de base à une action en divorce. Il faut, bien entendu, que ce droit n'ait pas été mis en mouvement par pur esprit de malice et dans la seule intention de nuire. La jurisprudence a fait des applications nombreuses de ces idées, soit en ce qui concerne l'exercice d'un droit quelconque, soit en ce qui touche l'exercice même de l'action en divorce ou en séparation de corps. Ainsi on peut considérer comme l'exercice d'un droit légitime, exclusif de toute idée d'injure, le fait par le mari d'annoncer dans les journaux qu'il ne paiera pas les dettes de sa femme (3), le fait de publier par la voie de la presse le décès de la femme (*), une plainte en adultère déposée entre les mains du ministère public (5), une action en désaveu de paternité (6), une demande d'interdiction (7), une plainte

(1) Ainsi, le fait par un mari de s'être montré mauvais administrateur de la fortune de sa femme (Nancy, 10 mars 1888, La Loi, 16 juin 1888) ou l'oisiveté du mari (Bruxelles, 13 déc. 1887, Journ. Trib., 15 janv. 1888) ne peuvent servir de base à une action en divorce, pas plus que le fait par la femme de se livrer à l'insu de son mari à des dépenses excessives de toilette (Trib. Bruxelles, 2 juin 1888, Journ. Trib., 27 janv. 1889).

(2) Lyon, 11 nov. 1894, Mon. jud. Lyon, 6 mai 1895. - Trib. Seine, 5 mars 1891, Le Droit, 23 mars 1891.

(3) Douai, 14 janv. 1857, D., 57. 2. 133; il en serait autrement si le mari n'avait aucun motif, même apparent, d'agir ainsi. - Lyon, 30 juill. 1891, Mon. jud. Lyon,

22 sept. 1891.

(*) Paris, 5 juill. 1890, D., 91. 2. 284. Il faut supposer que la publication n'a pas été faite de mauvaise foi.

(5) Paris, 13 juill. 1870, D., 71. 2. 129. Il en est ainsi lorsque la plainte n'a pas été dictée par un esprit de vengeance ou d'injure.

(6) Et cela, quand bien même l'action serait écartée par les juges, si la conduite de la femme était de nature à autoriser les soupçons du mari. Paris, 7 mai 1855, S., 55. 2. 770, D., 56. 2. 45. Mais il en serait différemment si l'action ne reposait sur aucune base sérieuse. Caen, 11 fév. 1880, S., 80. 2. 317, D., 81. 2.

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183. V. sur cette question Aubry et Rau, V, § 491, p. 175 et 176; Demolombe, IV, n. 387; Fuzier-Herman, C. civ. annoté, art. 131, n. 125.

(7) Cass., 16 avril 1894, S., 95. 1. 309, D., 95. 1. 85. D., 94. 2. 7.

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Rennes, 18 juill. 1893,

déposée au parquet pour crime contre la personne ('), l'emploi des sanctions que la loi accorde au mari pour déterminer sa femme à réintégrer le domicile conjugal saisie des revenus, recours à la force publique, etc. (2).

40. Le simple fait de demander le divorce ou la séparation de corps est un fait licite, et ne peut constituer par lui seul une injure (3). Les imputations injurieuses ou diffamatoires ne fournissent pas non plus, en principe, une cause de divorce: cela est évident si elles sont justifiées; mais, dans le cas même où de pareilles imputations ne seraient pas établies, elles ne suffiraient pas à faire prononcer le divorce au profit de l'époux contre lequel elles étaient dirigées; si les articulations n'ont pas été formulées dans un but uniquement injurieux et diffamatoire et si leur auteur a pu les croire exactes, elles ne sauraient avoir le caractère d'une injure grave (*). Pour qu'il en soit autrement, il faut qu'elles excèdent les immunités de la défense judiciaire, qu'elles aient été introduites de mauvaise foi aux débats, avec méchanceté (5). C'est à l'époux qui se plaint des articulations dirigées contre lui d'établir la mauvaise foi de son conjoint (*). Toutes ces règles sont applicables aussi bien aux allégations contenues dans les conclusions du demandeur qu'à celles émanées du défendeur (7).

41. Les excès, sévices ou injures graves n'ont pas nécessairement un caractère délictueux. Dès lors, l'acquittement

(1) Anvers, 3 janv. 1882, Belg. jud., p. 286.

(*) Douai, 14 janv. 1857, D., 57. 2. 133. Trib. Lyon, 19 mars 1870, D., 71. 5.

258.

(3) Angers, 13 avril 1896, D., 96. 2. 439.

() Paris, 13 avril 1897, Gaz. Trib., 16-17 août 1897. - Trib. Seine, 4 juin 1897, Gaz. Trib., 6 oct. 1897.

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1) V. en ce sens Cass., 21 déc. 1896, Gaz. Pal., 97. 1. 75; 16 avril 1894, S., 95. 1. 309, D., 95. 1. 85; 24 fév. 1892, S., 92. 1. 367. - Paris, 13 avril 1897, précité. Laurent, III, n. 191; Carpentier, n. 319. - Cpr. Contra Angers, 15 janv. 1896, Gaz. Trib., 29 avril 1896. Lyon, 14 nov. 1885, Gaz. Pal., 86. 1. 611.

(6) Paris, 16 déc. 1889, Gaz Pal., 28 déc. 1889. La preuve de la mauvaise foi ou de la méchanceté peut être puisée dans toutes les circonstances de la cause, notamment dans le fait que l'on n'a même pas essayé d'établir les allégations (Trib. Seine, 14 avril 1891, Droit, 19 mai 1891) ou dans cette circonstance que les écrits diffamatoires ont été répandus dans le public. - Cass., 19 juill. 1894, S., 95. 1. 500, D., 95. 1. 117.

(7) Rennes, 18 juill. 1893, S., 95. 1. 309, D., 94. 2. 7.

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