Page images
PDF
EPUB

trat de mariage qui a pour base principale le consentement des époux, et parce que la liberté individuelle ne peut jamais être aliénée d'une manière indissoluble par aucune convention », le législateur de cette époque multiplia à l'infini les causes de divorce. Il ne se borna pas à admettre le divorce pour causes déterminées (aliénation mentale de l'un des époux; condamnation de l'un d'eux à des peines afflictives ou infamantes; crimes, sévices ou injures graves de l'un des époux envers l'autre; dérèglement notoire des mœurs; abandon du mari par la femme ou de la femme par le mari pendant deux ans au moins; absence de l'un des époux sans nouvelles pendant cinq ans au moins; émigration dans les cas prévus par la loi), il admit en outre le divorce par le consentement mutuel des époux, et même le divorce sur la demande de l'un d'eux pour incompatibilité d'humeur. Les facilités déplorables que cette loi donnait pour le divorce furent encore augmentées par deux décrets des 8 nivôse et 4 floréal an II, que la Convention nationale dut abroger peu de temps après les avoir édictés (16 thermidor an III), sur un rapport de Mailhe qui se terminait par ces mots : « Vous ne sauriez arrêter trop tôt le torrent d'immoralité que roulent ces lois désastreuses ». Sous l'empire de cet état de choses, on vit le nombre des mariages diminuer progressivement à mesure que celui des divorces augmentait. L'an VI eut à enregistrer, à Paris du moins, plus de divorces que de mariages! L'unique bienfait de cette législation a été d'apprendre au législateur de l'avenir que de mauvaises lois portent nécessairement de mauvais fruits.

D. Code civil.

6. Survint le code civil. On y trouve, en cette matière comme en bien d'autres, l'empreinte de l'esprit de conciliation qui est l'un des traits caractéristiques de cette œuvre.

Voici en quelques mots le système du code civil:

Il admet le divorce restreint dans de sages limites, et, parallèlement à lui, la séparation de corps.

Le divorce peut avoir lieu pour causes déterminées, ou par le consentement mutuel des époux..

Les causes déterminées de divorce, qui peuvent servir aussi de fondement à une séparation de corps, sont : 1o l'adultère de l'un des époux, avec cette particularité que l'adultère du mari doit avoir été accompagné d'une circonstance aggravante, l'entretien de la concubine dans la maison conjugale art. 229 et anc. art. 230); 2° les excès, sévices ou injures graves de l'un des époux envers l'autre (art. 231); 3° la condamnation devenue définitive de l'un des époux à une peine infamante (anc. art. 232).

[ocr errors]

- Quant au divorce par consentement mutuel, il n est nullement ce que son nom donnerait à penser. Le législateur du code civil n'admettait pas, comme celui de 1792, que le consentement des parties doit pouvoir dissoudre le mariage, de même qu'il sert à le nouer, conformément à la règle Quæ consensu contrahuntur contrario consensu pereunt. Sur ce point il doit y avoir une différence entre le mariage et les autres contrats, parce que le mariage engendre un état, et que l'état des personnes nous apparaît en principe comme étant irrévocable. Dans la pensée du législateur de 1803, le divorce par consentement mutuel n'était qu'une forme particulière du divorce pour cause déterminée. Il avait été introduit pour certains cas exceptionnels, où l'époux demandeur en divorce semble se trouver dans l'impossibilité morale de révéler publiquement devant la justice la véritable cause du divorce, soit parce que cette révélation pourrait livrer son conjoint aux sévérités de la justice criminelle, comme s'il s'agit par exemple d'une tentative d'assassinat, soit parce qu'elle pourrait avoir pour conséquence de couvrir de ridicule, de honte ou d'opprobre, le demandeur ou sa famille, comme il peut arriver dans certains cas pour l'adultère. Cette pensée apparait bien à la simple lecture de l'art. 233: « Le >> consentement mutuel et persévérant des époux, exprimé de » la manière prescrite par la loi, prouvera suffisamment que » la vie commune leur est insupportable, et qu'il existe, par rapport à eux, une cause péremptoire de divorce ». D'ailleurs toutes les précautions avaient été prises par le législateur de 1803 pour que l'on ne pût pas abuser dans la pratique du divorce par consentement mutuel, et le détourner de sa

[ocr errors]

destination véritable: procédure longue et compliquée; épreuves multiples; sacrifices divers imposés aux époux, notamment obligation, pour chacun d'eux, de faire aux enfants du mariage l'abandon de la moitié de sa fortune (art. 305); interdiction, pour chaque époux, de se remarier pendant trois ans à dater de la prononciation du divorce... Si bien que, lorsque les époux avaient enfin satisfait sans défaillir aux nombreuses exigences de la loi, le juge pouvait se dire en lui-même : « Je suis sûr qu'il existe une cause légitime de divorce, bien que je ne la connaisse pas ».

E. Loi du 8 mai 1816.

7. Nous avons vécu sous ce régime jusqu'au commencement de la Restauration. A cette époque survint une loi dont l'art. 1 porte: « Le divorce est aboli ». C'est la loi du 8 mai 1816, qui fut une œuvre de réaction cléricale. La charte de 1814 avait déclaré la religion catholique religion de l'Etat ; or, la religion catholique n'admet pas le divorce; donc la loi civile devait le proscrire.

Il est remarquable que les articles du code civil relatifs au divorce n'ont pas été abrogés expressément par le législateur de 1816. Celui-ci avait sans doute senti la nécessité de les laisser subsister comme complément de la séparation de corps, respectant ainsi les intentions probables du législateur de 1803, qui, en réglementant la séparation de corps avec une sobriété toute voisine de l'obscurité, avait entendu certainement que les nombreuses lacunes de son œuvre sur ce point seraient comblées par des emprunts faits à la législation du divorce. Effectivement la jurisprudence appliquait en matière de séparation de corps de nombreux articles du titre du divorce. De telle sorte que jusques à hier, «c'est une institution détruite qui a continué à fournir des règles pour l'application d'une disposition devenue non seulement principale, mais unique ». Ce sont les paroles de M. Léon Renault, le rapporteur de la nouvelle loi sur le divorce à la chambre des députés. Il ajoute un peu plus loin : « Le divorce est resté dans le monument de nos lois comme une statue momentanément voilée, mais debout à la place où elle avait été originairement

élevée, et qu'il est toujours facile de découvrir et de mettre en lumière ».

La révolution de 1830 supprima la religion d'Etat. La conséquence logique aurait dû être le rétablissement du divorce, puisqu'il n'avait été supprimé que comme incompatible avec les dogmes de la religion d'Etat. Effectivement de 1831 à 1834, la chambre des députés vota, à quatre reprises différentes, le rétablissement du divorce; mais ses efforts furent paralysés par l'obstination de la chambre des pairs, qui refusa de laisser passer la loi.

En 1848, un projet de rétablissement du divorce fut déposé sur le bureau de l'Assemblée constituante; mais il fut retiré par son auteur et ne vint même pas en discussion.

F. Lois du 27 juillet 1884, du 18 avril 1886 et du 6 février 1893.

8. Enfin le divorce a été rétabli par la loi du 27 juillet 1884 (1), qui a été modifiée sur plusieurs points par la loi du 18 avril 1886.

Une dernière loi, celle du 6 février 1893, en même temps qu'elle a rendu à la femme séparée de corps sa pleine capacité civile, s'est occupée du divorce en ce qui concerne le nom de la femme divorcée, l'appel et la cassation des décisions. rendues en matière de divorce.

III. Appréciation du divorce.

9. Le divorce a des adversaires passionnés; il a aussi des partisans convaincus. Les premiers le considèrent comme mettant en péril l'institution du mariage et par suite l'existence même de la société, dont le mariage est l'une des plus fermes assises. Les autres, au contraire, voient en lui un élément de moralisation, et par suite de perfectionnement social. Qui a raison dans ce débat ? C'est ce que nous allons rechercher.

Les adversaires du divorce sont dans le vrai, quand ils disent que le mariage est contracté dans un esprit de perpé

(1) Cette loi est due à l'initiative et aux efforts persistants de M. Alfred Naquet.

tuité. Ils ont raison encore quand, se plaçant à un point de vue diametralement opposé à celui du législateur de 1792, ils disent que le mariage n'est pas soumis à cette règle qui gouverne les contrats en général, que le consentement des parties peut dissoudre le lien que ce même consentement a servi à former, suivant l'adage quæ consensu contrahuntur, contrario consensu pereunt.

Mais souvent les espérances des époux sont cruellement trompées. Cette union, dans laquelle ils rêvaient le bonheur, devient quelquefois pour eux la source d'affreux tourments. L'épouse a trahi la foi promise! ou bien le mari se livre sur la personne de la femme à de continuels sévices, peut-être à des excès qui mettent son existence en danger. La vie commune est devenue intolérable; sa continuation ne pourrait être envisagée que comme une longue agonie. En pareil cas, le lien du mariage est rompu en fait. La question est de savoir si le législateur peut, dans l'intérêt social, le déclarer indissoluble en droit, offrant seulement aux époux l'expédient de la séparation de corps, ou s'il ne doit pas plutôt, mettant le droit d'accord avec le fait, autoriser la rupture légale du mariage par le divorce. Le législateur de 1884 a considéré ce dernier parti comme préférable.

10. De nombreuses objections ont été soulevées contre le principe même du divorce. Les principales sont tirées : 1o de considérations religieuses; 2° de l'intérêt social; 3° de l'intérêt des enfants. Nous allons les examiner successivement.

11. I. L'objection tirée des considérations religieuses est la plus puissante de toutes. La religion catholique, dit-on, est celle de la majorité des Français; or cette religion proscrit le divorce; l'admettre dans nos lois, c'est donc faire violence à la conscience des époux catholiques qui pourront être obligés de subir les conséquences d'une mesure que leur foi repousse. Nous remarquerons d'abord que l'objection n'a plus aucune valeur au cas d'époux appartenant l'un et l'autre à un culte qui admet la légitimité du divorce. Et, même dans ce cas, l'objection se retourne en partie contre ceux qui la proposent. Car si, au nom de la liberté de conscience, on ne veut pas que le divorce puisse être imposé à des époux catholiques,

« PreviousContinue »