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SECTION PREMIÈRE

COMPÉTENCE ET PROCÉDURE

§ 1. Tribunal competent.

A. Compétence ratione materiæ.

75. La demande en divorce est une demande relative à l'état des personnes, puisqu'elle tend à faire prononcer la dissolution d'un mariage, et par suite à faire cesser l'état d'époux et avec lui les devoirs et les droits qui y sont attachés. Elle est donc de la compétence exclusive des tribunaux civils gardiens de l'état civil des hommes. Arg. art. 326.

L'ancien art. 234 du code civil le disait en termes exprès, et sa disposition n'a pu être supprimée par le législateur de 1886 que comme inutile, en tant qu'elle se bornait à consacrer une application du droit commun (art. 326). Un tribunal criminel ne pourrait donc pas statuer sur une action en divorce, formée incidemment à l'action publique dont il se trouverait saisi. En d'autres termes, si un même fait est de nature à motiver une action en divorce et une poursuite devant les tribunaux criminels, l'action en divorce ne pourra pas être intentée devant le tribunal criminel saisi de l'action publique et incidemment à cette action. L'art. 3, al. 1 C. I. cr. ne contredit pas cette solution. L'action civile dont il parle et qu'il permet d'intenter incidemment à l'action publique, est l'action en dommages et intérêts.

76. Il paraît également sans difficulté qu'un tribunal civil, saisi d'une action en divorce basée sur un fait incriminé par la loi pénale, serait tenu de surseoir jusqu'à ce qu'il eût été statué définitivement sur l'action publique, intentée à raison de ce même fait avant ou pendant la poursuite de l'action en divorce. Ce n'est qu'une application de la règle Le criminel tient le civil en état (C. I. cr., art. 3 al. 2), et le législateur de 1886 a sans doute jugé inutile de reproduire l'ancien art. 235 du code civil, qui se bornait à consacrer cette application. Il ne faut pas que la décision rendue par le juge de

l'action en divorce puisse préjuger la décision du juge criminel, qui est la plus importante.

C'est donc l'action publique qui sera jugée la première. Quelle sera l'influence de la décision du juge criminel sur la sentence du juge civil?

--

La décision du juge criminel peut être, soit un acquittement ou une absolution, soit une sentence de condamnation. a. Si c'est un acquittement ou une absolution, il ne sera permis d'en inférer «< aucune fin de non-recevoir ou exception préjudicielle contre l'époux demandeur » (ancien art. 235 in fine). Ainsi l'époux défendeur, acquitté par le tribunal criminel devant lequel il a été traduit, ne pourra pas dire «< Il a été jugé que je n'étais pas coupable du fait qui m'est imputé, et sur le fondement duquel le divorce est demandé contre moi, par conséquent la demande doit être rejetée ». En effet, les conditions requises pour le succès de l'action publique ne sont pas les mêmes que celles requises pour le succès de l'action en divorce. Etant donné un fait répréhensible, il se peut très bien que ce fait ait été accompli dans des conditions telles que son auteur ne soit pas passible des sévérités de la justice criminelle, et que néanmoins le divorce puisse être prononcé contre lui à raison de ce fait; de sorte qu'il peut n'exister aucune contradiction entre la décision de la justice criminelle, qui acquitte ou absout l'auteur du fait, et la décision de la justice civile, qui prononce le divorce contre lui à raison de ce même fait. Le verdict négatif de la justice criminelle, à raison du fait invoqué comme cause du divorce, ne fait donc nul obstacle à ce que la justice civile statue sur la demande en divorce dans un sens favorable au demandeur; d'autant plus que le fait à raison duquel la justice criminelle a été saisie n'était peut-être pas le seul invoqué à l'appui de la demande en divorce (1).

b.

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Supposons maintenant que la justice criminelle ait rendu une sentence de condamnation. Si la peine prononcée est une peine afflictive et infamante, l'époux demandeur en divorce aura la partie belle, car il existera à son profit

(1) Trib. Seine, 13 août 1885, Loi, 1885, p. 773.

une cause péremptoire de divorce (supra, n. 65). Si la peine. prononcée est moins grave, l'époux demandeur pourra encore invoquer la sentence de condamnation, mais seulement comme moyen de preuve du fait qu'il allègue à l'appui de sa demande, et non, cette fois, comme une cause péremptoire de divorce. Ce fait doit être tenu pour constant par le tribunal civil, sous peine de contredire le jugement rendu par le tribunal répressif (').

B. Compétence ratione personæ vel loci.

77. Il ne suffit pas à celui qui veut intenter une action en divorce de savoir qu'elle est de la compétence d'un tribunal civil, il faut déterminer lequel. Ce sera celui du domicile du défendeur, conformément aux règles du droit commun (C. pr., art. 59 al. 1).

Il valait beaucoup mieux consacrer ces règles en gardant le silence, comme l'a fait le législateur de 1886, que de les formuler dans un texte défectueux, à l'imitation du législateur de 1884. L'art. 234, rédaction de 1884, portait : « La demande » en divorce ne pourra être formée qu'au tribunal de l'arron>> dissement dans lequel les époux auront leur domicile ». Ordinairement les époux ont le même domicile, et pour ce cas il est équivalent de dire que la demande est formée devant le tribunal du domicile commun ou devant celui du domicile de l'époux défendeur. Mais, au cas où la demande a lieu entre époux séparés de corps, le domicile des deux parties ne sera pas nécessairement le même, et alors les deux formules ne sont plus équivalentes. Le rédacteur de l'ancien art. 234 n'avait pas songé à cette hypothèse.

78. En cas d'interdiction de la femme, le domicile conjugal est toujours celui du mari, bien que la tutelle de la femme interdite ait été confiée à un tiers et non au mari (2).

79. Les tribunaux doivent prendre en considération le domicile véritable et non la résidence; mais il leur appartient de rechercher en fait, d'après les circonstances de la cause,

(1) V. supra, n. 26.

(2) Carpentier, op. cit., n. 720.

conformément aux règles ordinaires, quel est le véritable domicile des époux (').

80. Il suffit que le domicile soit légalement établi dans un lieu au jour de la demande, quelque récente qu'en soit la fixation, pour qu'il soit attributif de compétence (2).

81. Si le mari, en dissimulant son domicile, s'efforçait de rendre impuissante l'action de la femme, celle-ci ne serait pas désarmée; après avoir présenté sa requête soit au tribunal du dernier domicile conjugal, soit au tribunal de son domicile propre ou même de sa simple résidence, suivant les cas, elle serait autorisée à suivre sur sa demande et à assigner son mari dans les formes adoptées pour les non-présents (3).

82. L'instance une fois liée, le tribunal devant lequel la demande a été formée en demeure saisi, malgré le changement de domicile des époux. Par ailleurs, le tribunal qui a prononcé le divorce et prescrit les mesures relatives à la garde des enfants est seul compétent pour modifier ultérieurement ces mesures (*). Reste à savoir à partir de quel moment l'instance doit être considérée comme liée, et par suite le tribunal comme définitivement saisi. La question est assez complexe; elle est d'ailleurs délicate à résoudre; la difficulté tient aux règles spéciales qui régissent la procédure du divorce; elle présente des intérêts pratiques nombreux, qu'il convient de faire ressortir tout d'abord : 1° on vient de voir qu'un changement de domicile postérieur au moment où l'instance est liée ne peut modifier la compétence du tribunal

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") Cass., 6 fév. 1884, Gaz. Pal., 84. 2. 611. · Paris, 23 juill. 1896, Gaz. Trib., 2 oct. 1896. Lyon, 17 mars 1891, Mon. jud., 14 mai 1891. - Alger, 28 juill. 1889, Gaz. Trib., 30 oct. 1889. — Trib. Seine, 3 juill. 1886, Gaz. Trib., 22 août 1886.

(2) Cass., 27 juill. 1825, S. chr.

(Paris, 27 nov. 1895, Gaz. Pal., 95. 2. 776. Gaz. Pal., 96, Suppl., 30.

Trib. Roanne, 26 déc. 1895, Trib. Seine, 12 juill. 1886, Gaz. Trib., 22 août 1886. — Trib. Lyon, 26 nov. 1885, Gaz. Pal., 86. 1. 53.

(4) Cass., 8 déc. 1880, S., 82. 1. 103; 17 déc. 1895, S., 96. 1. 340. - D'après ce dernier arrêt, si, par suite de récusations, une affaire a été renvoyée devant une autre cour d'appel, la juridiction de renvoi est dessaisie après qu'elle a rendu son arrêt; dès lors, si l'on veut faire modifier les mesures prescrites pour la garde des enfants, il faut revenir devant le juge normalement compétent.

saisi; il est donc intéressant, à ce premier point de vue, de savoir à partir de quel moment l'instance doit être considérée comme commencée; 2° certaines exceptions, comme celle d'incompétence relative, doivent être proposées in limine litis; il est donc utile, à cet égard, de savoir si l'instance est ou non commencée ; 3° la péremption d'instance commence à courir à partir du premier acte véritable de procédure; quel est ce premier acte en matière de divorce ou de séparation de corps? 4° le désistement d'instance doit être accepté lorsque le tribunal est saisi; à cet égard encore il importe de savoir à quel moment l'instance est liée; 5° le divorce produit dans certains cas un effet rétroactif au jour de la demande; pour l'application de cette règle, il faut savoir quel est l'acte constitutif de la demande; 6o lorsqu'une pension alimentaire a été allouée sans que le tribunal en ait fixé le point de départ, il faut encore se préoccuper du point initial de la demande; 7° enfin, lorsqu'une loi nouvelle contient des dispositions transitoires relatives aux instances commencées avant sa promulgation, on est bien forcé de se demander à quelle condition l'instance est ou non commencée.

83. On a parfois cherché à résoudre la question d'une manière générale, et à formuler une règle applicable à toutes les hypothèses signalées. On a soutenu, dans une première opinion, que dans tous les cas, quel que soit l'intérêt en litige, il fallait prendre l'ajournement comme point de départ de l'instance, conformément aux règles ordinaires de la procédure; suivant un autre système, on devrait, en toute hypothèse, s'attacher à la comparution des parties devant le président pour y voir le point initial du débat.

Il est préférable, croyons-nous, d'examiner la question aux divers points de vue qu'elle présente et de se prononcer séparément sur chacun des intérêts en litige.

84. 1o A partir de quel moment la compétence du tribunal est-elle définitivement fixée, sans pouvoir être modifiée par un changement ultérieur de domicile? La jurisprudence et la grande majorité des auteurs paraissent fixés sur ce point; ce n'est pas l'ajournement qu'il faut considérer; l'instance, à ce point de vue, est liée lorsque le demandeur, après avoir

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