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contraire à l'art. 306; mais la jurisprudence n'abandonnera pas une solution qui a pour résultat d'étendre son pouvoir d'appréciation.

Ce principe posé, on ne comprend guère que la jurisprudence refuse au demandeur le droit de solliciter le divorce à titre principal et la séparation par voie de conclusions subsidiaires (1). Un revirement de la jurisprudence sur cette question n'aurait rien de surprenant.

Il faut, toutefois, tenir compte de la règle qui défend au juge de statuer ultra petita. Saisi d'une demande en divorce, un tribunal ne pourrait, à défaut de conclusions subsidiaires, d'office en quelque sorte, refuser le divorce et se contenter de prononcer la séparation.

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300. Pas plus que le divorce, la séparation de corps « ne » peut avoir lieu par le consentement mutuel des époux (art. 307 al. 1 in fine). Cette proposition ne signifie pas qu'il est interdit aux époux de vivre séparément d'un commun accord et tant que cet accord subsiste, mais bien que le juge ne peut pas, sur le fondement du consentement mutuel exprimé par les époux, prononcer entre eux une séparation de corps. Elle signifie en outre que la convention, que les époux auraient faite de vivre séparément, et toutes les clauses accessoires de cette convention, par exemple celle aux termes de laquelle le mari s'oblige à payer à sa femme une pension alimentaire déterminée, sont nulles et de nul effet. Quand l'une des parties ne voudra plus exécuter la convention, l'autre ne pourra l'y forcer (2).

On devrait seulement maintenir les dispositions indépendantes qui ne sont pas une conséquence de la séparation volontaire, par exemple celles relatives à la liquidation des reprises de la femme, en exécution d'un jugement de séparation de biens (3).

D'autre part, comme nul ne peut être contraint de deman

1) V. infra, n. 357.

(*) Cass., 14 juin 1882, D., 83. 1. 248; 27 janv. 1874, S., 74. 1. 214. — Pau, 20 juin 1894, S., 94. 2. 232, D., 95. 2. 11. — Trib. Seine, 15 mai 1895, Gaz. Trib., 9-10 sept. 1895.

(3) Pau, 20 juin 1894, précité.

der la séparation de corps ou le divorce, il n'est pas douteux qu'une femme, qui aurait été abandonnée par son mari, aurait le droit de réclamer une pension alimentaire ('). Mais, en l'absence de tout grief établi contre le père dans ses rapports avec son enfant, de nature à entrainer la déchéance de la puissance paternelle, la garde de l'enfant ne saurait être, dans cette hypothèse, confiée à la mère (2).

Ainsi le consentement mutuel des parties ne peut servir de base à une séparation de corps prononcée par la justice. Les époux ne peuvent pas non plus faire une convention valable et obligatoire, en vertu de laquelle ils seront séparés de corps.

301. La séparation de corps ne pouvant pas être prononcée sur le fondement du consentement mutuel des époux, il en résulte que le juge ne doit pas considérer les faits allégués par l'époux demandeur comme suffisamment établis par cela seul que le défendeur en reconnaît l'exactitude. L'aveu du défendeur est ici suspect, parce qu'il peut être le résultat d'un concert intéressé. Pour le même motif, la preuve par le serment doit être écartée. Cpr. supra, n. 116-118.

Alors comment le demandeur prouvera-t-il l'existence des causes de séparation de corps qu'il invoque? Par tous les autres moyens de preuve du droit commun, et principalement par témoins, car les écrits feront presque toujours défaut. D'ailleurs il y aurait lieu d'appliquer ici par analogie la disposition du nouvel art. 245 al. 2 aux termes duquel : « Les parents des parties, à l'exception des descendants, et >> les domestiques des époux peuvent être entendus comme » témoins ». Cela résulte de l'art. 239 al. 2, qui prouve que le législateur a assimilé complètement les demandes en séparation de corps et les demandes en divorce au point de vue de la procédure à suivre dans les enquêtes. D'ailleurs, s'il en était autrement, le législateur se trouverait avoir accordé, au point de vue de la preuve, une faveur plus grande à celui qui demande le divorce qu'à celui qui demande la séparation de

(1) Paris, 20 mai 1898, Droit, 12 juin 1898; 24 mai 1897, Gaz. Trib., 14-15 juin 1899; 31 mars 1873, P., 74. 2. 78 et la note de M. Renault.

(2) Paris, 20 mai 1898, précité. — Contra Trib. Seine, 20 janv. 1898, Gaz. Trib.,

18 mai 1898.

corps, ce qui serait inexplicable. Il faut donc admettre que c'est par pure inadvertance que l'art. 245 al. 2 n'a pas été compris parmi les textes que le nouvel art. 307 déclare applicables à la séparation de corps (').

302. L'ancien art. 306 portait : « Dans le cas où il y a lieu » à la demande en divorce pour cause déterminée, il sera libre >> aux époux de former une demande en séparation de corps ». Les mots pour cause déterminée, qui ne peuvent avoir de sens que dans une législation où le divorce par consentement mutuel est admis, ont été supprimés avec raison par le législateur de 1884. Pour le même motif, il a supprimé la partie finale de l'art. 307, qui portait que la séparation de corps <«< ne pourra avoir lieu par le consentement mutuel des époux », et on se demande pourquoi la loi du 18 avril 1886 en a opéré le rétablissement (nouvel art. 307).

Ainsi notre législation actuelle, assimilant à ce point de vue le divorce et la séparation de corps, ne permet pas qu'ils puissent avoir lieu par le consentement mutuel des époux. Au contraire, d'après le code civil, le divorce pouvait avoir lieu par le consentement mutuel des époux, mais non la séparation de corps.

Ce n'est pas qu'il fût bien facile d'expliquer cette différence. Si l'on admet le divorce par consentement mutuel, dans les cas où des motifs d'ordre supérieur peuvent fermer la bouche à l'époux demandeur et l'empêcher de révéler publiquement la cause du divorce, pourquoi ne pas admettre dans les mêmes circonstances la séparation de corps par consentement mutuel, pour ceux dont les convictions religieuses repoussent le divorce? Les explications que les auteurs du code civil ont données à ce sujet ne sont guère satisfaisantes, et celles que les jurisconsultes ont proposées ne le sont pas davantage. Pour nous, voici la vérité : Le législateur de 1803 ne voulait ni du divorce par consentement mutuel ni de la séparation de corps par consentement mutuel. Il s'est laissé arracher le divorce par consentement mutuel par Napoléon, qui avait l'arrière-pensée d'en faire bientôt un usage personnel (supra,

(') Cass., 11 mars 1897, S., 97. 1. 367.

n. 14). Cette influence ne s'étant pas produite au sujet de la séparation de corps, le principe qu'elle ne peut avoir lieu par le consentement mutuel a été maintenu, et il en est résulté une disparate dans notre loi.

II. Par qui la séparation de corps peut être demandée.

303. La séparation de corps peut être demandée par l'un des époux contre l'autre.

Dans notre ancien droit, la femme seule pouvait demander la séparation de corps, sans doute parce que l'on considérait cette mesure comme un secours offert au plus faible contre le plus fort. Cependant le mari pouvait arriver indirectement à une séparation d'habitation, en dénonçant l'adultère de sa femme. Pothier dit à ce sujet, dans son traité du contrat de mariage, n. 527 : « La peine qui est en usage dans notre droit contre la femme convaincue d'adultère est la réclusion dans un monastère, où son mari peut la venir voir et visiter, et au bout de deux ans l'en faire sortir pour la reprendre chez lui; sinon, ledit temps passé, faute par son mari de la reprendre, elle doit être rasée, et rester dans ledit couvent le restant de ses jours. On la déclare en outre déchue de ses dot, douaire et conventions matrimoniales ».

Sous notre législation actuelle, le droit de demander le divorce ou la séparation de corps est réciproque pour les deux époux, même au cas d'excès, sévices ou injures graves, ainsi que le témoigne le mot réciproquement (art. 231).

Mais, en fait, les maris usent, par tous les pays, beaucoup moins souvent que les femmes, du droit de demander le divorce ou la séparation de corps. La statistique judiciaire nous apprend qu'en France, sur 1.000 séparations de corps, il y en a 895 qui sont prononcées à la requête des femmes. Il ne faudrait pas attribuer ce résultat uniquement à ce que les mauvais ménages se font par la faute des maris plus souvent que par celle des femmes. Le mari malheureux par la faute de sa femme recule fréquemment devant le divorce ou la séparation de corps, parce que cette mesure a pour résultat de lui faire perdre la jouissance de la fortune de sa femme;

la

le plus souvent il se contente d'une séparation de fait, que femme accepte, pour éviter le scandale d'un débat judiciaire, si son mari lui offre une pension suffisante.

304. Sur le point de savoir si l'action en séparation de corps peut être exercée par les créanciers ou par les héritiers de l'époux auquel l'action appartient, et quel est l'effet de la mort de l'un des époux survenue pendente lite, il y aurait lieu d'appliquer mutatis mutandis, tout ce que nous avons dit au n. 70 au sujet du divorce.

Rappelons qu'aux termes de l'art. 307 al. 2 (loi du 18 avril 1886): « Le tuteur de la personne judiciairement interdite peut, » avec l'autorisation du conseil de famille, présenter la requête » et suivre l'instance à fin de séparation » (supra, n. 97) (1).

§ III. Causes d'extinction de l'action en séparation de corps.

305. Elles sont les mêmes que les causes d'extinction de l'action en divorce. En effet, le nouvel art. 244, qui organise ces dernières, est applicable à la séparation de corps (nouvel art. 307). En conséquence, nous nous bornons à renvoyer sur ce point à ce que nous avons dit au sujet du divorce. (supra, n. 226 et s.).

IV. Procedure à suivre pour la demande en séparation de corps. Mesures provisoires.

306. L'art. 307 al. 1, remanié par le législateur de 1886, porte « Elle [la demande en séparation de corps] sera » intentée, instruite et jugée de la même manière que toute » autre action civile ; néanmoins les art. 236 à 244 lui seront » applicables ». L'art. 245 est également applicable (supra, n. 301).

-

() V. supra, n. 100. En ce qui concerne la personne aliénée, non interdite, placée dans un établissement, v. supra, n. 98. Dans le cas d'interdiction légale, la demande émane de la volonté de l'interdit; elle est présentée, en son nom, par le tuteur, qui est son représentant; il semble que, dans cette hypothèse, l'autorisation du conseil de famille n'est pas nécessaire, v. Planiol, op. cit., III, n. 696.

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