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D'après cette vue, le juge de la demande en conversion n'a pas à se préoccuper des faits qui ont servi de base à la séparation de corps. Du moins il ne doit les apprécier qu'au point de vue de la probabilité d'une réconciliation entre les époux. En d'autres termes, l'office du juge de la conversion n'est pas de rechercher si les faits, sur le fondement desquels la séparation a été prononcée, ont assez de gravité pour motiver un divorce le premier juge a implicitement résolu cette question dans le sens de l'affirmative, puisque les causes du divorce sont les mêmes que les causes de séparation de corps, et on ne peut la poser de nouveau sans se heurter au principe de l'autorité de la chose jugée, mais bien si ces faits ont creusé entre les époux un fossé assez profond pour que tout espoir de retour à la vie commune soit perdu. C'est une demande en conversion qui est soumise au juge et non une demande en révision (1).

Nous n'avons qu'une objection à formuler contre cette doctrine. Elle nous présente la conversion telle que le législateur aurait dû, peut-être, la concevoir, mais non, à coup sûr, telle qu'il l'a conçue. Qu'on se rappelle l'incident à la suite. duquel la commission a modifié le texte du projet, d'après lequel le juge était obligé de prononcer la conversion lorsqu'elle était demandée par l'un ou l'autre des époux après trois ans de séparation, et les explications données par le rapporteur de la loi au sujet du sens de cette modification, et on verra que le rôle du juge de la conversion est tout à fait autre que celui que lui assigne M. Saint-Marc. La dissertation de notre collègue pourra fournir d'utiles indications au législateur de l'avenir, à l'époque, peut-être prochaine, où il voudra retoucher l'œuvre de 1884 et de 1886; elle a déjà fait son apparition dans l'enceinte législative sous les auspices de M. Naquet; mais nous ne croyons pas que le juge puisse y trouver la ligne de conduite à suivre pour l'application de la loi actuelle.

349. La juridiction saisie de la demande en conversion a-telle compétence pour statuer sur d'autres questions? Il est cer

(1) Cpr. Caen, 25 oct. 1887, S., 89. 2. 102, D., 91. 2. 40.

tain que l'on ne pourrait soumettre à la Chambre du conseil, juridiction saisie de l'instance en conversion, une demande qui n'aurait qu'un rapport assez éloigné avec la conversion de la séparation de corps en divorce; ainsi cette juridiction ne pourrait statuer sur des conclusions tendant à faire prononcer la résiliation d'une convention par laquelle, après la séparation de corps, l'un des conjoints avait abandonné à l'autre la gestion et la jouissance de ses immeubles, à charge de lui servir une pension alimentaire ('), de même elle ne pourrait connaître d'une demande en désaveu d'enfant (2), ni d'une demande tendant à empêcher le mariage de l'épouse coupable avec son complice (3).

Il est d'autres questions qui se rattachent plus étroitement à la demande principale en conversion et qui apparaissent comme l'accessoire de cette demande, telles que la pension alimentaire ou la garde des enfants. Sans aucun doute, l'on peut soumettre ces questions à la juridiction ordinaire, en suivant la procédure habituelle (*); mais est-il possible d'utiliser l'instance en conversion, pour soumettre à la juridiction saisie de cette instance une demande relative soit à la garde des enfants, soit à la pension alimentaire (*)? Si la difficulté à résoudre touchait à l'exécution même du jugement qui a prononcé la séparation de corps, il semble que la chambre du conseil ne serait pas compétente et qu'elle devrait, confor

Nimes, 17 mars 1885, S., 86. 2. 178.

Paris, 8 avril 1886, Le Droit, 16 avril 1886.

3 Trib. Seine, 5 oct. 1884, Gaz. Pal., 85. 1. 131; 6 déc. 1884, Le Droit, 21 déc. 1884. La question ne pourrait plus se représenter depuis l'abrogation de l'art. 298. (Cass., 11 mars 1891, S., 91. 1. 148, D., 91. 1. 175; 7 fév. 1887 (sol impl.), S., 90. 1. 535. — Paris, 16 juin 1888, S., 89. 2. 103, D., 91. 1. 175.

5. Il ne semble guère douteux que la juridiction saisie de l'instance en conversion puisse, le cas échéant, statuer sur une demande de provision ad litem. Celle solution s'impose lorsque l'on rattache la provision ad litem à l'obligation de secours et assistance dont les époux restent tenus malgré la séparation. Paris, 21 nov. 1901; 18 juillet 1885, D., 03. 5. 250. La jurisprudence est divisée lorsqu'il s'agit de statuer sur des conclusions à fin de pension alimentaire. V. dans le sens de la compétence du juge de la conversion. Paris, 4 août 1902, S., 02. 2. 205. — Trib. civ. Angers, 16 mai 1896, Pand. franç., 99. 2. 113. Trib. civ. Tarbes, 2 déc. 1901, Gaz. Pal., 02. 1. 311. Contra Grenoble, 9 juillet 1901, D., 02. 2. 246. Trib. civ. Marseille, 14 mars 1903, Jur. civ. Marseille, 03. 311. Trib. civ. Boulogne-sur-Mer, 27 nov. 1903, Le Droit, 20 déc. 1903.

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mément aux principes généraux, en renvoyer l'examen aux juges qui avaient prononcé la séparation.

En sens inverse, le juge de la conversion pourrait, par une application certaine et non sérieusement discutable du jugement de séparation, décider que la pension alimentaire ayant été allouée en vertu de l'art. 212 et non en vertu de l'art. 301, il n'y avait pas lieu de la maintenir sur le même fondement ('). Le juge de la conversion pourrait admettre la solution contraire et maintenir une pension en la déclarant basée sur l'art. 301 (2).

Pour les autres hypothèses, la controverse subsiste et la jurisprudence, elle-même, ne parait pas encore très bien fixée. On a soutenu que la procédure de la conversion était très spéciale, sommaire et rapide; qu'il fallait, par suite, la limiter à l'instance en conversion et ne pas priver les parties, pour toutes autres questions, des garanties ordinaires de la procédure (3). Il semble préférable d'admettre l'opinion contraire: l'accessoire peut, d'ordinaire, suivre le sort du principal; la chambre du conseil est une véritable juridiction contentieuse, devant laquelle on discute amplement le point de savoir si la conversion sera ou non admise; les parties ont leurs avoués et leurs avocats; quelle utilité vraiment sensible trouverait-on à les renvoyer devant une autre juridiction? Pourquoi les obliger à refaire une procédure, à exposer des frais qui seraient, en vérité, frustratoires ()? La cour de cassation a décidé d'ailleurs que si les parties acceptent le débat au fond, tant en première instance qu'en appel, elles ne peuvent plus ensuite critiquer la régularité de la décision intervenue (5).

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(2) Cass., 2 mai 1900, D., 1900. 1. 382, S., 1900. 1. 436.

Trib. Seine, 24 juill. 1895,

(3) Paris, 17 juin 1896, Le Droit, 26 juin 1896. Aix, 22 juill. 1890, Le Droit, 9 sept. 1890.

- Bordeaux, 2 août 1887, Gaz. Pal., 22 déc. 1887. - Nîmes, 17 mars

1885, S., 86. 2. 178.

Rev. crit., 1890, p. 449.

Orléans, 4 mars 1885, Gaz. Pal., 85. 1. 437. - Massigli,

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(5) Cass., 4 fév. 1889, Gaz. Trib., 4 fév. 1889. — Il semble bien cependant qu'il

350. Ainsi que le nom l'indique, le jugement de conversion transforme le jugement de séparation de corps en jugement de divorce. Le jugement de séparation de corps devient. jugement de divorce. De sorte que la situation respective des époux se trouve être pour l'avenir la même que si le juge avait originairement prononcé le divorce.

Remarquez que le juge, chargé de statuer sur la demande en conversion, n'a pas le droit de modifier le jugement qui a prononcé la séparation de corps. Du moins, il ne peut le modifier que sur un point, en substituant le divorce à la séparation de corps. Les questions résolues par le juge qui a prononcé la séparation de corps ne peuvent plus être débattues à nouveau devant le juge de la demande en conversion.

Les tribunaux peuvent, ainsi qu'il a été dit, rechercher si la demande en conversion est ou non fondée et se préoccuper, dans ce but, de l'importance des griefs, des conditions qui ont amené la cessation de la vie commune; mais ils ne peuvent ni discuter, ni contester l'exactitude des faits souverainement établis dans la procédure de séparation de corps, ni modifier les résultats acquis dans le premier jugement. Notamment, la séparation de corps ayant été prononcée pour injures graves résultant entre autres de relations du mari avec une fille désignée par ses initiales seulement, le juge de la demande en conversion ne peut pas prononcer la conversion pour cause d'adultère, en rétablissant le nom de la complice, de manière à rendre son mariage impossible avec l'époux coupable (1).

De même, si la séparation de corps a été prononcée aux torts des deux époux, la conversion ne peut pas être prononcée aux torts de l'un d'eux seulement (2). A plus forte raison, si la séparation de corps a été prononcée aux torts de l'un des époux seulement, la conversion ne peut pas être pronon

s'agisse d'une incompétence ratione materiæ et non d'une incompétence relative. V. Grenoble, 9 juill. 1901, D., 1902. 2. 246. (Cass., 15 déc. 1896, D., 97. 1. 420.

Caen, 25 oct. 1887, S., 89. 2. 102, D.,

91. 2. 40. Solution sans intérêt depuis la loi abrogeant l'art: 298.
(*) Cass., 25 juil. 1892, D., 93. 1. 411; 11 fév. 1889, S., 89. 1. 225.
une espèce toute particulière, Paris, 10 juin 1888.

Cpr. dans

cée aux torts de l'autre ('). Autrement le jugement de conversion serait un jugement de révision. C'est en ce sens que M. Labiche, rapporteur de la loi au sénat, a expliqué la disposition de l'art. 310.

Il en résulte que le divorce par conversion devra toujours être considéré comme prononcé contre l'époux aux torts duquel la séparation de corps a été prononcée, l'époux coupable, alors même que la demande en conversion aurait été formée par cet époux. En d'autres termes, l'époux qui a obtenu la séparation de corps, l'époux innocent, sera considéré comme ayant obtenu le divorce, alors même que la conversion aurait été prononcée à la requête de son conjoint. Il ne subira donc en aucun cas la déchéance de l'art. 299 (arg. art. 300); les dépens de la demande en conversion ne seront pas à sa charge (2); il conservera seul le bénéfice de l'art. 301 au point de vue de la pension alimentaire (supra, n. 293), et le bénéfice de l'art. 302 au point de vue de la garde des enfants; seul il aura le droit de faire transcrire le jugement de conversion pendant le premier mois (arg. art. 252) (3). Tout cela, nous le répétons, alors même que la conversion aurait été prononcée à la requête de son conjoint (*).

(1) Cass., 11 fév. 1889, précité.

- Bastia, 1er mars 1892, D., 92. 2. 417.- Alger, 2 fév. 1886, S., 86. 2. 177 et note de Labbé. Trib. Angers, 16 mai 1898, Gaz. des Trib., 7 août 1898. V. Massigli, Rev. crit., 1886, p. 222 et la note précitée de Labbé. - Cpr. Montpellier, 4 déc. 1889, D., 91. 2. 53.

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(2) Caen, 13 fév. 1885, sous Cass., 12 août 1885, S.,86. 1. 193. — Angers, 13 avril 1896, S., 96. 2. 440; Carpentier, op. cit., n. 4409; Coulon, III, Certaines p. 545. décisions, assimilant l'instance en conversion à une instance ordinaire, ont tantôt compensé les dépens, tantôt condamné celui qui succombait dans l'instance en conversion.- Paris, 17 déc. 1885, Le Droit, 14 janv. 1886; 4 fév. 1886, Gaz. Pal., 86. 1. 327, 25 mars 1886, Le Droit, 2 avril 1886.

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(3) Nancy, 14 janv. 1888, S., 88. 2. 53. Cette application particulière du principe a cependant soulevé une critique ingénieuse fondée sur celle remarque qu'il ne s'agit plus des effets du jugement de séparation, mais d'un effet direct du jugement de conversion. - V. Carpentier, op. cit., n. 4552.

(*) Il n'en est pas moins vrai que le divorce est prononcé; le conseil d'Etat a pu en tirer cette conséquence que l'art. 16 de la loi du 18 avril 1831 n'accordant de pension qu'aux veuves des militaires, la femme qui aurait obtenu la séparation de corps et vu convertir, à la requête de son mari, la séparation en divorce, n'aurait plus droit de réclamer de pension à la mort de son ancien mari. — Conseil d'Etat, 14 et 21 déc. 1794, Gaz. des Trib., 22 déc. 1894. - Ce peut être là une raison pour les tribunaux de rejeter la demande de conversion.

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