Page images
PDF
EPUB

cette époque, c'était le père qui avait le primitif et proche intérêt. Mais on ne peut opposer le jugement aux enfants déjà nés, car ils ont un intérêt distinct et séparé de celui de leur père. Cependant, ils pourront s'en prévaloir, s'il a été favorable à leur père. D'Argentré n'indique pas les motifs de cette dernière solution qui ne s'accorde guère avec le principe posé par lui.

La mère n'a pas, à l'égard de ses enfants, la qualité de légitime contradicteur, quand il s'agit de la nullité ou de la validité de son mariage. D'Argentré ne distingue pas ici entre les enfants nés antérieurement et ceux qui sont nés postérieurement à la sentence.

Enfin le frère est légitime contradicteur à l'égard de son frère, lorsque le jugement a pour objet une question qui leur est commune, comme, par exemple, l'état du père, sa noblesse ou sa roture. Ici encore le jurisconsulte nous paraît s'être montré peu logique avec lui-même. Car les deux frères ont à la question un égal intérêt.

Telles sont les conditions requises pour que le jugement sur l'état des personnes jouisse d'une autorité absolue. Une de ces conditions faisant défaut, l'autorité du jugement est simplement relative.

417. Le système du contradicteur légitime était done accepté sans contrôle au moment où l'on procéda à la rédaction du code. Une protestation s'éleva cependant. Merlin démontra avec vigueur dans son répertoire (') que jamais cette doctrine n'avait été celle du droit romain. Il fit ressortir l'impossibilité de déterminer d'une manière précise à quelles personnes doit être reconnue la qualité de légitime contradicteur. Le premier, il proposa de distinguer entre les jugements constitutifs d'état ou de capacité et les jugements purement déclaratifs. Le jugement attribue-t-il à une personne un état nouveau ou une capacité qu'elle n'avait pas auparavant? Il doit produire ses effets erga omnes, car autrement le but que le législateur s'est proposé ne serait pas atteint. La loi a confié aux tribunaux la mission de modifier

(1) Vo Question d'état, § 2.

l'état ou la capacité. Il est nécessaire que l'état ou la capacité conférés à la personne soient opposables à tous, comme l'état ou la capacité que cet individu possédait antérieurement. Quant aux sentences qui se bornent à constater l'état ou la capacité, Merlin propose de leur appliquer la règle de l'effet relatif de la chose jugée, écrite dans l'art. 1351 du C. civ. Une exception cependant doit, d'après lui, être admise en matière de désaveu. Le jugement qui statue pour ou contre l'enfant, à la suite d'une action en désaveu, établit l'état de l'enfant à l'égard de tous, parce que, le droit d'intenter l'action en désaveu étant concentré entre les mains de certaines personnes, ce qui est jugé avec elles ne peut plus être remis en question.

418. A quel système les rédacteurs du code se sont-ils attachés? Ils ne semblent même pas avoir soupçonné la question, que Pothier, leur guide habituel, n'avait du reste pas envisagée.

Les travaux préparatoires ne nous fournissent aucun élément de solution. Quant aux textes, nous en trouvons deux dans le code civil qui s'occupent des effets de la chose jugée. C'est d'abord l'art. 1351, qui pose le principe de l'effet relatif, quant aux personnes, .de la chose jugée.

C'est ensuite l'art. 100, qui décide que les jugements rendus en matière de rectification des actes de l'état civil ne peuvent, en aucun temps, être opposés aux parties intéressées qui ne les auraient pas requis ou qui n'y auraient pas été appelées.

Si l'art. 100 fait, sur cette question spéciale, l'application du principe de l'art. 1331, il n'existe pas de texte qui tranche la difficulté pour les questions d'état en général. Le silence gardé par le législateur sur ce point et le rapprochement des art. 100 et 1351 ont fait naître deux systèmes diamétralement opposés, entre lesquels nous aurons à rechercher s'il n'y a pas lieu de prendre une position intermédiaire.

419. PREMIER SYSTÈME : Doctrine du contradicteur légitime. Les premiers commentateurs (') du code ont soutenu que

Toullier, X, p. 312 s.; Duranton, I, n. 346 et III, n. 102, p. 97 et n. 161 Cpr. cep. XIII, n. 526; Marcadé, 1, n. 307, p. 197; Bonnier, Des preuves, II, p. 492; Rodière, De la solidarité et de l'indivisibilité, n. 400 à 407; Proudhon, Etat des personnes, II, p. 109-110, semble admettre cette théorie, qu'il paraît

le législateur de 1803 avait voulu maintenir la théorie traditionnelle. Et ils ont rajeuni cette doctrine, en essayant de la préciser et en lui donnant une ampleur qu'elle n'avait pas dans l'ancien droit. Un certain nombre d'arrêts ont consacré cette manière de voir (').

L'art. 1351, dit-on, ne pose pas une règle générale qui doive en toutes matières recevoir son application. Il ne vise que les jugements rendus sur les questions d'ordre pécuniaire. Les sentences ayant l'état pour objet sont en dehors de son domaine. La preuve que l'art. 1351 ne régit pas les questions d'état résulte de l'art. 100 lui-même. De deux choses l'une, en effet : ou l'art. 1351 s'applique à ces questions, et alors quelle est l'utilité de l'art. 100 du code civil? Ce dernier texte constituerait une pure superfétation! Ou, au contraire, l'art. 1351 doit être écarté en matière d'état. On aperçoit immédiatement l'utilité de notre texte. Il a proclamé, dans un cas particulier, la règle de l'effet relatif de la chose jugée, laissant pour tous les autres cas la question en

suspens.

De ces deux interprétations, il faut, dit-on, adopter la deuxième. C'est la seule qui permette de trouver un sens à la disposition de l'art. 100. Il faut donc admettre que la loi a voulu ne reconnaitre aux jugements de rectification qu'une autorité restreinte aux relations des seules parties en cause (art. 100). Mais, lorsqu'il s'agit de déterminer les effets des jugements rendus sur les autres questions relatives à l'état, c'est à une autre règle qu'il faut se référer. Cette règle n'est autre que celle que l'on suivait dans l'ancien droit.

Du moment, en effet, que le code ne contient pas, sur ce

repousser dans le traité de l'Usufruit, III, n. 1330, 1357 et 1358. Héan, De la paternité, p. 176 s.

Cpr. aussi

() Tribunal de Saint-Calais, 22 mai 1819, S., 22. 2. 177. D., J. G., vis Chose jugée, n. 276. Poitiers, 23 juill. 1806, D., J. G., v's Chose jugée, n. 272 (motifs', S., 9. 1. 49 (sous Cass., 6 janv. 1809). Grenoble, 10 août 1831, D., 35. 1. 267. — Bordeaux, 10 mai 1864, D., 66. 1. 419, S., 64. 2. 179, admet expressément la théorie du légitime contradicteur. La cour de cassation, dans son arrêt du 3 janv. 1866, D., 66. 1. 417, S., 66. 1. 89, a confirmé l'arrêt de la cour de Bordeaux, mais en évitant de se prononcer formellement sur ce point. Cpr. Poitiers, 26 juin 1829, D., 30. 2. 149 (où le ministère public est qualifié de contradicteur légitime en matière de nationalité).

point, de prescription spéciale, c'est à la tradition qu'il faut demander une solution (arg. L. 30 ventôse an XII, art. 7). Les règles de l'ancien droit sont restées en vigueur, puisque le code n'a pas indiqué l'autorité qui doit être attribuée aux jugements rendus sur les questions d'état.

Toullier va même jusqu'à soutenir (') que l'art. 100 aurait consacré la doctrine du légitime contradicteur. Les « parties intéressées », dont parle le texte, seraient celles qui ont à l'affaire « le proche et primitif intérêt », et non pas tout intéressé quelconque. Et le sens du texte serait le suivant le jugement de rectification, s'il est rendu en dehors de leur présence, n'a qu'une autorité purement relative, parce que les débats n'ont pas eu lieu avec le légitime contradicteur. Et, à l'inverse, il sera investi d'une autorité absolue s'il a été prononcé en présence d'un légitime contradicteur. Dans ce cas, il sera opposable aux personnes dont l'intérêt est moins proche, personnes qui ne sont pas comprises dans l'expression «< parties intéressées » employée par le texte.

་་

Les rédacteurs du code, d'ailleurs, ont eu raison de ne pas innover en pareille matière. La théorie ancienne est éminemment rationnelle. Elle repose sur une base juridique solide et est en quelque sorte imposée par la nécessité.

L'état des personnes est un par sa nature; il est indivisible. Il est ou il n'est pas (2). L'esprit se refuse à concevoir qu'une personne ait un certain état à l'égard de quelques-uns et un état différent à l'égard des autres. Est-il possible d'admettre qu'un même individu soit à la fois enfant légitime et enfant naturel? qu'il puisse réclamer les droits d'enfant légitime dans deux familles différentes ? qu'un homme et une femme, dont le mariage a été annulé par décision judiciaire, soient, entre eux et à l'égard des personnes qui ont été parties au procès, considérés comme n'ayant jamais été mariés, et qu'ils aient, dans leurs relations avec les tiers, l'état d'époux légitimes? Ce serait pourtant à ces conséquences inadmissibles qu'aboutirait le système de l'autorité relative.

[blocks in formation]

Ce système est aussi contraire à l'intérêt général. L'ordre public est intéressé à la stabilité de l'état des personnes. Il faut que chacun ait une place nettement marquée dans la famille et dans la société; il faut qu'il sache exactement et que l'on sache quels sont ses droits et ses devoirs. Il est par suite nécessaire que l'état des personnes ne puisse être perpétuellement remis en question. Or, la stabilité de l'état ne serait pas assurée, si l'on ne reconnait pas aux jugements en cette matière une autorité absolue. Celui dont l'état aurait été constaté judiciairement devrait le défendre contre tout venant. Il lui serait impossible de se prémunir contre de nouvelles contestations, en mettant en cause tous les intéressés. Car, comment les connaître ? L'état étant opposable à tous, pouvant préjudicier à une infinité de personnes, comment pourrait-on convoquer aux débats tous ceux dont l'intérêt est en jeu ? Bien plus : admettons que l'on puisse mettre en cause tous ceux qui ont à la question un intérêt actuel, il resterait toujours ceux dont l'intérêt n'est pas encore né. Ceux-là ne pourraient être appelés au procès, et l'état devrait être encore débattu avec eux.

Enfin, il est possible d'assigner à la doctrine de nos vieux auteurs une base juridique sérieuse. Elle repose sur cette idée que certaines personnes représentent tous les autres intéressés. Les personnes ayant le plus proche intérêt représentent celles dont l'intérêt est plus éloigné ou n'est pas encore né. Elles ont, par rapport à celles-ci, la qualité de légitimes contradicteurs. Ainsi, en matière de filiation, les parents les plus proches représentent tous les autres ('). Dès lors, n'est-il pas logique de décider que ce qui est jugé avec les représentants l'est aussi avec les représentés? N'est-ce pas l'application des règles générales du droit?

Etant donné ce principe, il reste à déterminer à quelles personnes appartient ce mandat. C'est là sans doute une tâche délicate, mais non cependant impossible à accomplir (*). Cette détermination, on a effectivement essayé de la faire. Nous

(1) Marcadé, I, p. 197. D'après Rodière, op. cit., p. 322, le légitime contradicteur représente la société tout entière. (2) Rodière, op. cit., p. 321, note.

« PreviousContinue »