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filiation légitime, il les laisse jouir provisoirement du bénéfice de la légitimité. Mais tout intéressé est admis à contester cette légitimité (art. 315).

CHAPITRE II

DES PRÉSOMPTIONS LÉGALES PAR LESQUELLES se déterMINENT LA DURÉE DE LA GESTATION ET L'ÉPOQUE DE LA CONCEPTION.

434. De ce que nous venons de dire, il résulte qu'il est important de déterminer l'époque à laquelle se place la conception. Soit pour faire la preuve de sa légitimité, soit pour établir sa filiation paternelle, l'enfant doit, en principe, prouver qu'il a été conçu pendant le mariage de sa mère. Mais c'est là un fait dont la preuve directe est impossible. La nature n'a pas assigné à la gestation une durée invariable. La date de la conception est incertaine. Dans le doute, que devait faire le législateur? Devait-il abandonner la solution de cette question à l'arbitraire du juge et lui permettre de se prononcer d'après les circonstances de chaque espèce particulière; ou n'était-il pas préférable d'édicter une règle générale s'imposant au tribunal, de fixer les limites entre lesquelles la conception serait réputée avoir eu lieu? Tel était le problème qui se posait devant le législateur. Il a été résolu diversement suivant les époques.

435. Dans le droit romain primitif, au dire d'Aulu-Gelle ('), les XII Tables auraient fixé à 300 jours la durée maxima de la gestation.

Mais on s'accorde à rejeter le témoignage d'Aulu-Gelle. Cet auteur nous rapporte en effet, d'après Pline (2), que le préteur Papirius aurait déclaré légitime un enfant né dans le treizième mois après le décès du mari de sa mère. Une telle décision ne se comprendrait pas s'il avait existé une règle formelle posée

(1) Noct. att., III, 16, § 12.

(2) Hist. natur., VII, 4. Aulu-Gelle, III, 16, § 23.

par les XII Tables. Le préteur ne se serait pas hasardé à la violer. Il est plus probable que les délais ont été introduits par la jurisprudence. Si les renseignements nous manquent pour le droit des premiers temps, nous en possédons pour l'époque classique. La jurisprudence, s'appuyant sur l'autorité d'Hippocrate, décida que les plus courtes gestations ne pouvaient durer moins de 180 jours et que les plus longues ne pouvaient excéder le terme de 300 jours. Telle est la règle que nous trouvons exprimée dans la loi 12. Dig., de statu hominum, I, 5 et dans la loi 3, § 11, Dig., de suis et legit. hered., XXXVIII, 16. Cf. 29, pr., Dig., de liberis et postumis, XXVIII, 2 et 4 Code Just., de postumis hered., VI, 29 (1).

Ces règles ne paraissent pas avoir été absolument obligatoires pour les magistrats, qui semblent avoir été autorisés à s'en écarter. Ainsi s'expliquerait peut-être la décision du préteur Papirius rapportée par Aulu-Gelle. C'est pour la même raison que l'empereur Adrien a pu déclarer légitime un enfant né dans le onzième mois après le décès du mari, en tenant compte de la vie honorable menée par la mère depuis son veuvage et de la chasteté de ses mœurs.

436. Les règles du droit romain passèrent dans notre ancienne jurisprudence. Elles furent fréquemment invoquées par les auteurs et les décisions des Parlements (2). Mais si les juges s'en inspirèrent souvent, ils ne se considérèrent pas comme absolument liés par elles. Leur liberté d'appréciation resta entière et, suivant les circonstances, on les vit assigner à la grossesse une durée ou plus brève ou plus longue que celle qui était déterminée par les textes du droit romain.

Ainsi un arrêt du Parlement de Provence du 4 mai 1779 admit implicitement la légitimité d'un enfant né 172 jours

(Il n'y a aucune divergence entre les textes en ce qui concerne la durée maxima de la grossesse. Mais il semble résulter d'un passage des Sentences de Paul L. IV, tit. IX, § 5) que les plus courtes gestations seraient de sept mois pleins. Ce dernier texte ne nous est parvenu que par l'intermédiaire du bréviaire d'Alaric. il a été probablement altéré par une erreur du copiste. En lisant « aut septimo aut pleno decimo » au lieu de « aut septimo pleno aut decimo », on fait disparaitre la contradiction qui existe entre le passage des Sentences de Paul et la loi 12, Dig., 1, 5, qui est du même auteur. Maynz, Cours de droit romain, III. § 319. V. Merlin, Rép., vo Légitimité, sect. II.

PERS. IV.

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après la célébration du mariage. Le Parlement s'appuya sur l'autorité de certains médecins ('), d'après lesquels un enfant pouvait naître viable après avoir été porté pendant cinq mois dans le sein de la mère.

C'est surtout en ce qui concerne le calcul des plus longues gestations que la jurisprudence des Parlements s'écarta des principes du droit romain. Les cours de justice avaient du reste pour guide l'autorité des médecins. Nombre de ceux-ci (2) admettaient que la grossesse pouvait durer plus de dix mois: certains allaient jusqu'au terme de quinze et seize mois. Les tribunaux suivirent les médecins dans cette voie.

Le Parlement de Paris, en 1475, déclara légitime un enfant né plus de onze mois après la disparition du mari. Le même Parlement, le 2 août 1649, reconnut la légitimité d'un enfant né dix mois et neuf jours après l'absence du mari, bien que la mère eût déclaré que cet enfant était le fruit de l'adultère. Le 6 septembre 1653, le Parlement de Paris, prenant en considération l'honorabilité d'une femme veuve, admit que l'enfant dont elle était accouchée onze mois après le décès du mari avait été conçu des œuvres de celui-ci. Enfin, un arrêt du Parlement de Rouen du 8 juillet 1695 décida implicitement que la grossesse peut durer quinze mois (*).

Ces diverses décisions prêtaient à la raillerie. En 1637 fut imprimé et publié un prétendu arrêt du Parlement de Grenoble, jugeant qu'une femme avait pu concevoir par la seule force de son imagination. Cette publication fut déclarée injurieuse par le Parlement de Paris le 13 juin 1637; et le Parlement de Grenoble condamna le factum à être brûlé par la main du bourreau le 13 juillet de la même année.

437. Il est incontestable qu'il existait en cette matière une complète anarchie. Les rédacteurs du code ne manquèrent pas d'en être frappés. L'absence de règles précises donnait lieu à de nombreux procès. La légitimité était l'objet de contestations continuelles et la jurisprudence variait à l'infini. Le législateur de 1803 voulut mettre de l'ordre dans ce chaos

(1) Merlin, loc. cit., § I, V.

(Merlin, loc. cit.

(3, Merlin, loc. cit., § III, IV.

et résolut d'établir des règles simples auxquelles le juge serait désormais tenu de se conformer (').

Le Conseil d'Etat voulut s'appuyer sur les données de la science physiologique. Fourcroy fut chargé de lui présenter un rapport sur la durée de la gestation. Son rapport fut déposé dans la séance du 14 brumaire de l'an X (2). Il contenait les conclusions suivantes (3): la durée de la gestation ne peut être inférieure à 186 jours, ni excéder 286 jours. Voulant faire à la légitimité la part la plus large possible, les, rédacteurs du code élargirent encore les limites indiquées par le rapport de Fourcroy. Ils fixèrent à six mois la durée minima et à dix mois la durée maxima de la gestation. A cette époque, le calendrier républicain était encore en vigueur; les délais de six et de dix mois comprenaient donc exactement 180 et 300 jours. On revenait ainsi à la règle traditionnelle attribuée à Hippocrate.

Telles sont les données dont le code s'inspira. Il est à remarquer d'ailleurs que les textes de notre code n'indiquent pas d'une manière directe la durée de la gestation. Ils ne disent pas expressément qu'elle est au moins de 180 jours et au plus de 300 jours. Mais ils le laissent à entendre d'une façon très nette.

La loi suppose d'abord que la plus courte gestation est de 180 jours au moins. Cela résulte des art. 312, 313 et 314. Les art. 312 et 313 admettent le désaveu pour cause d'impossibilité physique ou morale de cohabitation. Pour que l'enfant soit rejeté de la famille, il faut que le mari ait été dans l'impossibilité de cohabiter avec sa femme pendant toute la période qui s'étend du 300 au 180 jour avant la naissance. Donc, l'enfant a pu être conçu le 180° jour avant sa naissance. D'après l'art. 314, l'enfant né avant le 180° jour du mariage peut être désavoué par le mari; il ne le peut pas, s'il est né le 180 jour après la célébration du mariage. Qu'est-ce à dire, sinon que l'enfant ne peut naitre viable que le 180 jour au moins après sa conception? En d'autres ter

Locré, Lég. civ., VI, p. 39, n. 8; p. 41, n. 15 et p. 289.

(*) Locré, Lég. civ., VI, p. 50, n. 26.

Conclusions adoptées par les art. 2 et 3 du projet.

mes, un enfant né viable a été conçu au plus tard le 180 jour avant sa naissance.

Nous disons ensuite que, suivant la présomption légale, la plus longue gestation ne peut excéder le terme de 300 jours. Cela résulte d'abord des art. 312 et 313 déjà cités. C'est aussi la présomption sur laquelle repose l'art. 315: La légitimité de l'enfant né 300 jours après la dissolution du mariage pourra être contestée, dit ce texte. Donc, l'enfant né le 300% jour est réputé légitime. Autrement dit, la gestation a pu durer 300 jours au maximum.

438. L'époque de la conception se trouve comprise entre les deux termes extrêmes de la gestation. L'enfant a été conçu, d'après la présomption de la loi, dans la période de 121 jours qui s'étend du 180° jour au 300° jour avant la naissance.

439. Comment doivent se calculer les délais de 180 jours et de 300 jours, qui forment les limites extrêmes de la durée légale de la gestation?

Le mot jour qu'on trouve dans la loi peut être pris dans deux acceptions différentes. Il peut désigner un intervalle de 24 heures consécutives, partant d'un moment quelconque. Il peut aussi signifier un jour plein, c'est-à-dire l'espace de temps compris entre minuit et minuit.

Si l'on s'en tient à la première acception, on calculera les délais de momento ad momentum ou de hora ad horam. La durée maxima sera donc de 299 jours pleins et deux fractions de jour égales ensemble à 24 heures, soit 300 fois 24 heures. Et de même, la durée minima comprendra 180 fois 24 heures, calculées de la même manière.

Si l'on interprète le mot jour dans le second sens, on calculera de die ad diem. Le délai de la gestation comprendra donc 180 ou 300 jours pleins, comptés de minuit à minuit. Mais alors nait une difficulté : Le jour où s'est passé le fait qui sert de point de départ au délai et celui où se produit l'événement qui en marque le terme doivent-ils être compris dans le délai comme équivalant à des jours pleins, ou convient-il de les négliger? Si l'on adopte la première solution, le délai minimum sera de 178 jours pleins et deux fractions de jour considérées comme deux jours pleins. Dans le cas

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