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de la qualité d'enfant légitime et des prérogatives attachées à ce titre. A la possession d'état d'enfant légitime celui qui, en fait, se comporte comme enfant légitime et est considéré comme tel dans la famille et dans le public. Mais comment cela peut-il prouver la filiation de l'enfant ? Le droit est ordinairement d'accord avec le fait, et c'est pourquoi la loi conclut volontiers du fait au droit. Quand un enfant a été traité par un homme et une femme comme leur enfant légitime, quand il a été accepté comme tel par la famille intéressée à méconnaître sa filiation, quand le public enfin, se faisant l'écho de la voix des père et mère et de celle de la famille, lui a toujours réconnu cette qualité, toutes les apparences sont pour lui et, comme il y a toutes chances que ces apparences soient conformes à la réalité, la loi, s'associant à l'opinion de la famille et à celle du public, proclame à son tour la filiation de l'enfant.

La possession d'état, qui peut suppléer l'acte de naissance pour prouver la filiation légitime, ne peut pas en principe suppléer l'acte de mariage pour prouver le mariage. Il y a plusieurs raisons de cette différence. D'abord un enfant n'a pu surveiller ni la rédaction de son acte de naissance, ni l'inscription de cet acte sur les registres de l'état civil, et on ne saurait par suite le rendre responsable de la négligence ou de la fraude par suite de laquelle cet acte n'a pas été dressé ou inscrit. On peut au contraire sans injustice rendre les époux responsables de l'absence de leur acte de mariage, parce qu'ils ont pu veiller à ce que cet acte fùt régulièrement rédigé et inscrit sur les registres de l'état civil. D'autre part, les époux ne peuvent ignorer la commune dans laquelle leur mariage a été célébré; il leur sera done facile de rapporter l'acte de célébration, s'il a été dressé. Au contraire un enfant peut fort bien, surtout après la mort de ses père et mère, ignorer la commune dans laquelle il est né, et se trouver par suite dans l'impossibilité de représenter son acte de naissance. Enfin la possession d'état d'époux légitimes est l'œuvre des époux prétendus: c'est parce qu'ils se sont comportés et traités comme époux que la famille d'abord et le public ensuite leur ont reconnu cette qualité; accepter la

possession d'état comme preuve du mariage, ce serait donc admettre une preuve fabriquée de toutes pièces par les intéressés. Au contraire la possession d'état d'enfant légitime n'est pas l'œuvre de l'enfant ; c'est l'œuvre de la famille, c'est-à-dire de ceux qui seraient intéressés à contester son état; il n'y avait donc pas de motif pour lui interdire ce genre de preuve; bien au contraire (').

La présomption que la loi fait découler de la possession d'état d'enfant légitime n'a pas toujours la même force. Tantôt, la preuve contraire est admise contre cette présomption. Tantôt, elle ne peut être renversée par la preuve contraire. La présomption légale est irréfragable, lorsque les circonstances lui prêtent un caractère particulier de vraisemblance. Il en est ainsi lorsqu'il y a concours du titre et de la possession d'état.

462. Le législateur, avons-nous dit, met la possession d'état au deuxième rang des modes par lesquels se prouve la filiation légitime. Il lui préfère la preuve qui résulte de l'acte de naissance. Quand il y a conflit entre le titre de l'enfant et sa possession d'état, c'est le titre qui l'emporte. L'enfant peut donc invoquer son titre contre sa possession. Et lorsqu'il se prévaut de sa possession d'état, ses adversaires peuvent lui opposer son titre. Pour faire tomber la présomption attachée à la possession d'état, il suffit donc de produire un titre qui la contredise. C'est ce qui résulte de l'art. 320 C. civ. « A DÉFAUT DE CE TITRE, la possession constante de l'état d'enfant légitime SUFFIT ». Donc elle ne suffit pas s'il existe un titre qui attribue à l'enfant une autre filiation. Elle est écartée, si le titre le présente comme l'enfant légitime d'un autre père et d'une autre mère; ou s'il est inscrit sur les registres de l'état civil comme né de parents inconnus. Quels sont alors les droits de l'enfant ? Il peut, dans la première hypothèse, prétendre qu'il a été inscrit sous de faux noms, et il sera alors admis à prouver par témoins sa filiation, s'il satisfait aux conditions exigées par

(1) La possession d'état est également admise, comme mode de preuve de la filiation légitime, par les législations étrangères. — V. Codes portugais (art. 114, 115), espagnol (art. 116), italien (art. 172, néerlandais (art. 316.

l'art. 323. S'il a été déclaré comme né de père et mère inconnus, il ne peut pas, sans doute, invoquer sa possession d'état pour établir sa filiation, mais il pourra, dans les mêmes conditions, en faire la preuve par témoins. Art. 323 (infra, n. 470).

Le système de la loi est éminemment rationnel. Si l'enfant avait réellement la filiation qu'il réclame, pourquoi aurait-il été inscrit sous de faux noms ou comme né de parents inconnus? Sa possession d'état est donc suspecte à juste titre. Il est possible, il est même probable, qu'elle ne répond pas à la réalité. Aussi ne faut-il pas en tenir compte. C'est par d'autres voies que la filiation devra être prouvée (').

Pour que la possession d'état fasse preuve de la filiation, il faut donc qu'il n'y ait pas de titre de naissance. Peu importe la cause pour laquelle le titre ne peut être représenté. L'enfant n'a pas besoin de démontrer l'existence de cette cause, ni même de l'indiquer. Il lui suffit de dire: Je n'ai pas de titre. Mais ses adversaires peuvent prouver qu'il existe un titre et que ce titre est contraire à la prétention de l'enfant ; cette preuve rend inutile celle que l'enfant voudrait tirer de sa possession d'état (*).

Cette solution résulte des termes généraux de l'art. 320. La première rédaction de ce texte était plus restrictive. Le projet soumis au conseil d'Etat par la section de législation portait en effet « Si les registres sont perdus ou s'il n'en a point été tenu, la possession constante de l'état d'enfant légitime suffit >> (3). C'était dire, en d'autres termes, que l'enfant n'était autorisé à faire la preuve de sa filiation par la possession d'état que lorsqu'il se trouvait dans un des cas prévus par l'art. 46. Mais on fit remarquer qu'il y a d'autres cas encore dans lesquels il est impossible à l'enfant de rapporter son titre, par exemple celui où, les registres de l'état

(Cpr. cep. Héan, p. 137.

Delvincourt, 1, p. 213; Toullier, II, n. 871, 872, 880; Duranton, III, n. 127; Demolombe, V, n. 206; Aubry et Rau, VI, § 544, texte el note 13; Laurent, III, n. 407. - Cass., 2 fév. 1870, D., 71. 1. 247, S., 71. 1. 243.

$162, texte et nole 8.

(3) Locré, VI, p. 27.

Contra Zachariæ,

civil ayant été régulièrement tenus, sa naissance n'aurait pas été déclarée à l'officier de l'état civil qui, par suite, n'en aurait pas dressé acte. Aussi remplaça-t-on les mots : « Si les registres sont perdus ou s'il n'en a point été tenu », par ceux-ci qui sont beaucoup plus compréhensifs : « A défaut de ce titre » (').

>>

463. En quoi consiste la possession d'état? « La possession » d'état, dit l'art. 321, s'établit par une réunion suffisante de faits qui indiquent le rapport de filiation et de parenté » entre un individu et la famille à laquelle il prétend appar» tenir ». Après avoir donné en ces termes une définition générale de la possession d'état, le législateur indique les principaux faits qui la constituent. Ces faits peuvent être divisés en trois groupes que la doctrine a depuis longtemps distingués par les expressions: nomen, tractatus, fama.

NOMEN: « Que l'individu a toujours porté le nom du père auquel il prétend appartenir ».

TRACTATUS:« Que le père l'a traité comme son enfant et a pourvu, en cette qualité, à son éducation, à son entretien et à son établissement ».

FAMA: « Qu'il a été reconnu constamment pour tel dans la société; Qu'il a été reconnu pour tel par la famille ». C'est la commune renommée.

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Pour que la filiation soit prouvée par la possession d'état, il n'est du reste pas nécessaire que tous ces faits soient réunis. La formule générale dont les rédacteurs du code se sont servis dans la première partie de l'art. 321 le prouve: « La possession d'état, dit le texte, s'établit par une réunion suffisante de faits qui indiquent... » Le législateur a donc voulu laisser au juge un certain pouvoir d'appréciation.

D'autre part, l'énumération donnée par le texte n'est pas limitative, et le réclamant peut invoquer d'autres faits pour établir sa possession d'état. L'art. 321 dit en effet « Les PRINCIPAUX de ces faits sont ». Les travaux préparatoires sont formels en ce sens. La rédaction primitive (*), qui pouvait

(1) Locré, VI, p. 77 s. Cpr. codes portugais (art. 114); espagnol (art. 116); ilalien (art. 171; néerlandais (art. 316).

(2) Locré, VI, p. 175.

laisser quelque doute sur ce point, fut modifiée sur la proposition du tribunat. Celui-ci demanda que l'article fùt rédigé de manière à bien marquer que le juge ne serait pas lié par l'énumération de la loi. Les divers orateurs ont exprimé cette idée que l'on avait entendu liasser au juge une certaine latitude ('). C'est donc aux tribunaux qu'il appartient de décider si les faits invoqués par l'enfant constituent une possession d'état suffisante. Dans l'exercice du pouvoir que la loi leur a conféré, ils échappent au contrôle de la cour de cassation (2).

464. Ce pouvoir n'est pas cependant absolument arbitraire. Le législateur, par les exemples qu'il a cités comme par la définition générale qu'il a donnée de la possession d'état, a, d'une façon très claire, laissé à entendre que, pour être admis comme preuve de la filiation, les faits allégués par le demandeur doivent présenter certains caractères.

I. Il faut d'abord qu'ils soient publics. La loi ne l'indique pas formellement, mais cela résulte des exemples qu'elle fournit. Les faits qu'elle énumère sont des faits publics. De faits clandestins on ne pourrait tirer aucune présomption en faveur de la filiation réclamée par l'enfant (*).

II. La possession d'état doit, en outre, être constante. L'art. 320 l'exige expressément et l'art. 321 le suppose. Ce dernier texte cite, parmi les faits constitutifs de la possession d'état, le fait que l'enfant a toujours porté le nom du père auquel il prétend se rattacher; le fait que celui-ci a pourvu à son entretien, à son éducation et à son établissement, ce qui embrasse toute la vie de l'enfant depuis le moment de sa naissance jusqu'à celui où il acquiert son indépendance. Enfin la possession d'état, telle que l'entend la loi, résulte encore de ce

Bigot-Préameneu, Exp. des motifs (Locré, VI, p. 200; Lahary, Rapp, au tribunat (Locré, VI, p. 252; Duveyrier, Discours (Locré, VI, p. 303).

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{) Demolombe, V, n. 208; Aubry et Rau, VI, $544, p. 12; Laurent, III, n. 403; Pandectes franç., vo cit., n. 55 s. Nimes, 18 juin 1860, D., 61. 2. 182, S., 61. 2. 325. Cass., 23 juin 1869, D., 71. 1.327, S., 69. 1. 115. Poitiers, 1er déc. 1869, D., 71. 2. 17, S., 71. 2. 161. Cass., 7 mai 1873, D., 73. 1. 303, S., 73. 1. 309. Cpr. Toulouse, 26 avril 1893, D., 94. 2. 556, S., 96. 2. 252. Cass., 8 mai 1894, D.. 94. 1. 400, S., 98. 1. 454.

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Cpr. Cass., 8 janv. 1806, J. G., vo Paternité, n. 331, S., 6. 1. 307.

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