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que le réclamant a été constamment reconnu dans la société comme enfant légitime.

Pour que la possession d'état puisse être considérée comme constante, il faut qu'elle ait commencé dès la naissance de l'enfant. Sinon elle serait justement suspecte. Admettre comme preuve de la filiation une possession dont les premiers actes se sont produits longtemps après la naissance, ce serait consacrer une adoption en dehors des conditions légales (').

Il ne suffit pas que l'enfant ait commencé à posséder son état dès le moment de sa naissance; il faut encore que cette possession se soit poursuivie d'une manière continue. Sa possession ne serait pas constante, si, pendant quelque temps, l'enfant avait eu une possession contraire. Mais, si l'enfant n'a point possédé un autre état, le fait que la possession qu'il invoque a présenté des lacunes ne suffirait pas, croyonsnous, à faire rejeter celle-ci. La possession d'état, une fois acquise, se conserve, a-t-on dit, animo tantum. Il vaut mieux dire que, la loi ayant laissé aux juges une certaine latitude, ceux-ci pourront considérer en fait comme suffisante une pareille possession et la déclarer constante. Les faits ont, en cette matière, une importance prépondérante (2).

III. Pour faire preuve de la filiation, la possession d'état doit exister à l'égard des deux époux à la fois. L'art. 321 nous parait l'exiger très nettement, dans sa partie générale. La possession d'état, nous dit-il, résulte de faits qui indiquent un rapport de filiation entre un individu et la famille à laquelle il prétend appartenir. Or la famille comprend le père et la mère. L'enfant doit avoir la possession d'état d'enfant légitime. La légitimité suppose que l'enfant se rattache aux deux époux en même temps. Il ne peut pas avoir à l'égard de l'un la possession d'état d'enfant légitime, sans l'avoir en même temps à l'égard de l'autre. La possession d'état est indivisible.

On a dit cependant que la possession d'état peut être divisée et qu'il faut l'envisager séparément à l'égard de la prétendue mère et du mari de celle-ci.

(1) Demante, II, n. 47 bis, IV; Demolombe, V, n. 209; Héan, p. 138; Laurent, III, n. 405.

(2) Demolombe, V, n. 210.— Cpr. Laurent, loc. cit.

La possession d'état pourrait donc exister à l'égard de la mère seule. Dans ce cas, a-t-on dit, la maternité seule serait prouvée et la paternité ne le serait pas. La présomption pater is est... devrait être écartée, car la maternité seule a été avouée, et l'aveu est personnel ('). -Cette deuxième proposition nous paraît absolument inadmissible. La présomption de paternité du mari a une portée générale, du moment que la mère est certaine, le père est également connu (2), et, par suite, s'il suffisait à l'enfant, pour prouver sa filiation maternelle, d'établir sa possession d'état à l'égard de sa mère seule, sa filiation paternelle se trouverait nécessairement établie par voie de conséquence. La question se réduit donc à savoir si la possession à l'égard de la mère seule suffit à prouver la filiation maternelle. A notre avis, cette question comporte une solution négative. On dit bien que la femme a fait un aveu de maternité, en se comportant envers l'enfant comme sa mère légitime. Mais, en raisonnant ainsi, l'on oublie qu'en principe la volonté n'a pas d'effet sur la filiation. L'aveu n'est pas, en règle générale, une preuve de la filiation. Il ne dépend pas de la femme de se créer, par sa seule volonté, un enfant légitime. Pour que la filiation soit établie, il faut une possession constante, c'est-à-dire des actes nombreux et répétés de possession d'état, et il faut que ces actes émanent de la famille, c'est-à-dire des deux époux. C'est alors seulement que la reconnaissance de maternité contenue implicitement dans la possession d'état n'est pas suspecte et est susceptible d'être prise en considération.

Il est même très remarquable que la loi, dans les exemples que donne l'art. 321, ne parle pas de la conduite de la mère à l'égard de l'enfant. Et cela se comprend. Le nom que porte l'enfant, c'est celui de son père prétendu. C'est le père qui, normalement, pourvoit à l'entretien et à l'éducation de l'enfant. Si le législateur parait viser uniquement le mari, c'est parce qu'à ses yeux il est le représentant de la famille.

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admis cette opinion, l'a ensuite rejetée (Traité des preuves, n. 208).

(2) Admis implicitement par la cour de Toulouse, arrêt du 4 juin 1842 (motifs), D., 43. 2. 49, S., 43. 2. 507. - Bonnier, op. et loc. cit.

Il ne faut pas en conclure, comme l'ont fait certains auteurs, que la possession d'état à l'égard du mari seul prouve la double filiation maternelle et paternelle ('), ni décider qu'elle prouve seulement la filiation paternelle (2). Une pareille possession d'état ne peut faire aucune preuve.

La possession doit donc exister à l'égard des deux époux pour faire preuve de la filiation (3). Mais il ne faut pas exiger l'impossible. Des actes de possession émanés d'un seul des deux époux suffiront, si l'autre est mort ou dans l'impossibilité de manifester sa volonté. Par exemple le mari est décédé avant la naissance de l'enfant, ou la femme est morte en couches. Le survivant des deux époux représente celui qui a disparu. Il peut y avoir possession d'état suffisante (*).

465. Tels sont les caractères que doit présenter la possession d'état. Si les adversaires de l'enfant contestent les faits mêmes que celui-ci allègue pour établir sa possession, c'est au demandeur qu'il appartient d'en administrer la preuve. Cette preuve peut être faite par tous modes quelconques, puisque la loi ne contient sur ce point aucune règle spéciale. La preuve par témoins est donc admissible, de même que les présomptions simples. Il n'est pas nécessaire qu'il existe un commencement de preuve par écrit, ni que des faits dès lors constants rendent vraisemblable la prétention du demandeur (5). La preuve testimoniale n'offre d'ailleurs pas ici de dangers, car il s'agit de faits extrêmement notoires, et le témoin qui viendrait mentir à la justice trouverait à l'instant même cent contradicteurs (6). Les adversaires de l'enfant ont

(1) Merlin, Rép., vo Légitimité, sect. II, § 4, n. 3; Bonnier, op. et loc. cit. Adde Toulouse, 4 juin 1842, supra (motifs).

(3) Ducaurroy, Bonnier et Roustain, loc. cit.

(3) Nougarède, Lois de famille, I, p. 215; Marcadé, sur l'art. 321, n. 1; Richefort, Etat des familles, I, n. 92 ; Demante, II, n. 47 bis, III; Héan, p. 134; Demolombe, V, n. 211; Arntz, I, n. 550; Aubry et Rau, VI, § 544, p. 11 s., notes 14 et 15; Laurent, III, n. 404; Planiol, I, n. 1387. - Cass., 25 août 1812, S., 12. 1. 406.

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() Valette, Explic, somm., p. 177; Laurent, III, n. 404; Arntz, I, n. 550. (5) Duranton, III, n. 130; Bonnier, Des preuves, n. 209; Demolombe, V, n. 212; Héan, p. 136; Aubry el Rau, VI, § 544, texte et note 18; Laurent, III, n. 405: Pand. franç., vo cit., n. 62 s. Toulouse, 4 juin 1842, supra.

1873, D., 73. 1. 303, S., 73. 1. 309. — Cpr. Code portugais, art. 114. (6) Demante, II, n. 47 bis, IV.

Cass., 7 mai

en effet le droit de faire entendre eux aussi des témoins pour contredire les assertions de ceux qui viennent déposer en faveur de l'enfant. L'enquête appelle la contre-enquête (C. pr., art. 256).

Les tribunaux ont, du reste, à ce point de vue, un pouvoir discrétionnaire. L'admission de la preuve testimoniale est pour eux facultative. Ils peuvent ne pas ordonner l'enquête si les faits allégués ne leur paraissent point pertinents ou s'ils ont par ailleurs des éléments suffisants de conviction (art. 253 C. pr.) (').

466. La possession d'état prouve par elle seule et directement la filiation. Il n'est donc pas nécessaire, lorsque l'enfant a fait la preuve de sa possession d'état, qu'il établisse, en outre, la grossesse et l'accouchement de sa prétendue mère (2). La preuve qui résulte de la possession d'état n'est pas toujours irrécusable. En principe, elle est susceptible d'être combattue par la preuve du contraire. Ainsi l'on pourra démontrer, contre la prétention du réclamant, que la possession d'état dont il jouit est usurpée et mensongère, qu'il n'y a pas eu d'enfant né du mariage, ou que l'enfant qui en est issu est décédé. Les tribunaux apprécieront (3).

Au contraire, l'état de l'enfant est irrévocablement fixé, quand il est prouvé à la fois par le titre et par la possession d'état. C'est ce qui résulte de l'art. 322 ainsi conçu : « Nul ne » peut réclamer un état contraire à celui que lui donnent son » titre de naissance et la possession conforme à ce titre. - Et réciproquement nul ne peut contester l'état de celui qui a » une possession conforme à son titre de naissance » › ('). Dans le cas où l'état possédé par l'enfant est en même temps. prouvé par un acte de naissance, il est très probable que cet état est bien celui de l'enfant, qui le possède ainsi en fait et en droit. La loi érige en certitude cette probabilité, et elle

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(Cass., 19 mai 1830, J. G., vo cit., n. 252. — Cass., 27 nov. 1833, J. G., ibid. Toulouse, 4 juin 1842, supra.

Proudhon, II, p. 84, 85; Marcadé, sur les art. 320, 321, n. 2; Arntz, I, n. 551; Demolombe, V, n. 216; Aubry et Rau, VI, § 544, p. 13. Paris, 10 avril 1874,

D., 75. 2. 10.

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· Cass., 26 fév. 1900, D., 1900. 1. 249.

(*) Codes portugais (art, 117); italien (art. 173); néerlandais (art. 319).

n'admet la preuve contraire ni au profit de l'enfant ni contre lui. L'enfant ne peut pas réclamer un état autre que celui qui lui est attribué par son titre et par sa possession. On ne peut pas non plus lui contester cet état. Cette règle était déjà admise dans notre ancienne jurisprudence, du moins en principe (').

466 bis. Pour que l'art. 322 reçoive son application, il faut que la possession d'état soit conforme à l'acte de naissance (*) et que, par suite, il y ait identité entre la personne à laquelle s'applique le titre et celle qui a la possession d'état. Quand cette identité existe-t-elle ? Deux hypothèses doivent être distinguées :

PREMIÈRE HYPOTHESE. L'enfant ou ses adversaires prétendent que, depuis la rédaction de l'acte de naissance, il y a eu substitution d'enfant. Leur action est, croyons-nous, recevable. Ce que l'on demande à prouver, c'est que précisément celui qui possède l'état en question n'est pas celui qui a été présenté à l'officier de l'état civil. La substitution une fois établie, il sera certain que l'acte de naissance ne s'applique pas à celui qui a la possession d'état et que, par suite, celuici n'a pas un titre et une possession conforme. L'identité n'existe pas. Donc l'art. 322 doit être écarté (3).

Cette solution, admise généralement, a été vivement combattue. La question est justement de savoir, a-t-on dit (*), si l'on peut être admis à prouver la non conformité du titre et de la possession, quand la conformité existe en apparence.

(1) Cochin, OEuvres, IV, p. 345 s.; Denisart, vo Question d'état, n. 4; Merlin, Rép., vo Légitimité, sect. III, n. 4.

(2) Il y aura conformité entre le titre et la possession, lorsque l'enfant ayant la possession d'état d'enfant de telle femme mariée, son acle de naissance le présente comme né de cette femme. Peu importent les énonciations de l'acte de naissance relatives à la filiation paternelle. Cpr. Paris, 6 janv. 1834, S., 31. 2. 131.

(3) Toullier, II, n. 881; Demante, II, n. 48 bis, 1; Valette sur Proudhon, II, p. 85, note b; Bonnier, op. cit., n. 206; Demolombe, V, n. 222, 223; Héan, p. 143: Aubry et Rau, VI, § 544, texte el note 21. — Orléans, 8 juill. 1875, D., 91. 2. 12, S., 75. 2. 268. Paris, 31 juill. 1890 (sol. impl.), D., 91. 2. 129, et la note de M. de Loynes, S., 92. 2. 302. — Cpr. Colmar, 12 fructidor an XI, J. G., vo Paternité, n. 260.

(*) Massé et Vergé sur Zachariæ, I, p. 307, note 15; Laurent, III, n. 412. — Cpr. Planiol, I, n. 1392,

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