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Or le législateur a voulu empêcher cette preuve qui ne pourrait se faire qu'à l'aide de témoignages. Il suffit qu'il y ait possession d'état appuyée sur un titre, pour que l'état soit inattaquable. Un enfant a été présenté à l'officier de l'état civil; un acte de naissance a été dressé qui constate sa filiation. Un individu passe généralement pour être cet enfant; il y a conformité apparente entre le titre et la possession; la loi s'en contente; l'apparence lui suffit; elle ne veut pas qu'on aille au fond des choses. Après tout, l'induction tirée de cette conformité n'est-elle pas plus sûre que la preuve résultant des témoignages? Sans doute ce système peut favoriser des fraudes. Mais des fraudes de cette sorte sont tellement rares que le législateur a pu les négliger. Et d'ailleurs le système généralement reçu a aussi ses dangers. Ne peut-on craindre ici la subornation des témoins?

A cette argumentation, on peut répondre en invoquant le texte de l'art. 322. La loi ne dit pas « le titre », mais « son titre ». La conformité qu'elle exige doit exister entre la possession de l'enfant et son titre, c'est-à-dire l'acte qui a été dressé pour constater sa naissance. La loi suppose que l'identité est constante. Or elle est contestée dans notre hypothèse. DEUXIÈME HYPOTHÈSE. On prétend qu'il y a eu substitution d'enfant avant la rédaction de l'acte. La preuve de cette substitution ne sera pas admise ('). L'art. 322 trouve ici certainement son application. Il y a conformité réelle et non pas seulement apparente entre le titre et la possession d'état. C'est bien la même personne qui possède l'état et qui a été présentée à l'officier de l'état civil. La possession de cet individu est conforme à son titre de naissance. On peut reprocher au système du législateur de couvrir des fraudes. Il peut arriver que deux époux qui n'ont jamais eu d'enfant s'en procurent un et le présentent à l'officier de l'état civil, qui l'inscrira sous leurs noms; puis, cette fraude une fois commise, qu'ils élèvent l'enfant comme leur appartenant auquel cas l'enfant, avant un titre et une possession conforme, se trouvera avoir un état mensonger que ni lui ni personne ne pourra contes

Contra code civ. italien, art. 174.

ter. Mais ce sera là un fait infiniment rare et, dans l'intérêt du repos des familles, la loi a cru devoir accorder à la preuve résultant du titre et de la possession conforme une autorité irréfragable. D'ailleurs, si le législateur avait admis ici la preuve contraire, elle aurait dû nécessairement être faite par témoins, et c'eût été, comme le dit fort bien Laurent, préférer à deux preuves sûres (le titre et la possession une troisième preuve très chanceuse (').

Les mêmes principes doivent être suivis, si, au lieu de contester l'identité, on s'inscrit en faux contre l'acte de naissance (*). Si l'on prétend que l'acte a été falsifié après coup, l'inscription en faux sera recevable; car, en supposant l'altération prouvée, il n'y a plus conformité entre la possession et le titre du possesseur (3). Mais, au contraire, l'acte ne pourra être argué de faux, si l'on se borne à soutenir que le faux a été commis au moment même de la rédaction.

467. Au surplus, l'art. 322 ne signifie pas que la légitimité de celui qui a un titre et une possession d'état conforme ne puisse jamais être contestée; il faut simplement l'interpréter en ce sens qu'elle ne peut pas l'être sur ce fondement que la filiation est mensongère. Il est certain que la légitimité de celui qui a un titre et une possession d'état conforme pourrait être contestée pour la raison que ses père et mère n'ont jamais été mariés, ou qu'il est né trois cents jours après la dissolution du mariage (art. 315) (') ou que sa naissance est antérieure à la célébration de celui-ci.

468. Nous irons même plus loin. La possession d'état, même appuyée sur un titre conforme, ne dispense pas l'enfant de prouver le mariage de ses auteurs prétendus et sa concep

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(1) Duranton, III, n. 133 bis ; Demante, II, n. 48 bis, II; Demolombe, V, n. 224; Aubry et Rau, VI, § 544 bis, p. 22; Laurent, III, n. 412. · Bordeaux, 4 août 1857, S., 58. 2. 202. Poitiers, 1er déc. 1869, D., 71. 2. 17, S., 71. 2. 161. - Paris, 31 juill. 1890 (motifs), supra. Contra Héan, p. 143 et s.

(2) Valette sur Proud'hon, II, p. 85, note b; Duranton, III, n. 133; Demante. Il, n. 48 bis, III; Demolombe, V, n. 226; Aubry et Rau, loc. cit. Poiliers, Cpr. Paris, 26 juin 1883, J. G., Suppl., vo Paternité,

1er déc. 1869, supra.

n. 120.

(3) Contra Laurent, III, n. 411. Cpr. Demante, Programme, I, n. 304. (*) Demolombe, V, n. 217; Héan, p. 151; Laurent, III, n. 413.

tion en mariage, c'est-à-dire sa légitimité. La solution contraire paraît cependant avoir été admise dans notre ancienne jurisprudence ('), et certains auteurs décidaient même que la possession d'état, non confirmée par un titre, suffisait à prouver non seulement la filiation, mais encore la légitimité (2). Elle a été consacrée par quelques arrêts rendus depuis la promulgation du code civil (3). Mais elle est aujourd'hui très généralement rejetée. Les art. 319 et suiv., nous l'avons déjà fait remarquer, s'occupent exclusivement des modes par lesquels se prouve la filiation des enfants légitimes. Ils sont étrangers à la preuve de la légitimité. La loi, dans ces articles, sous-entend que le mariage et la conception en mariage sont prouvés ou reconnus. De même que l'acte de naissance, la possession d'état d'enfant légitime prouve uniquement la filiation maternelle, et elle ne peut être invoquée que par ceux dont la filiation, en la supposant établie, serait une filiation légitime. Cela résulte d'ailleurs, d'une manière non douteuse, de l'art. 197, relatif à la preuve du mariage. L'enfant qui a la possession d'état d'enfant légitime peut, d'après ce texte, prouver le mariage de ses auteurs prétendus, en invoquant la possession d'état d'époux légitimes dont ils ont joui de leur vivant et cela, sous la double condition que les père et mère soient tous deux décédés et que la possession d'état de l'enfant ne soit pas contredite par son titre de naissance. Comme on le voit, dans ces circonstances extrêmement favorables, la loi ne dispense pas l'enfant de prouver le mariage de ses parents; elle lui en facilite seulement la preuve. A plus forte raison, l'enfant est-il tenu, en cas de contestation, de prouver sa légitimité lorsque ses parents sont encore vivants,

Nouveau Denisart, vo Etat (Question d'), § 2, n. 3; Cochin, OEuvres, I, p. 578 s.; d'Aguesseau, II, p. 256. · Cass., 8 janv. 1806, J. G., vo cit., n. 331, Bourges, 4 juin 1823, J. G., vo cit., n. 339. Grenoble, 5 fév. Cpr. cep. Merlin, Rép., vo Légiti

S., 6. 1. 307.
1807, J. G., vo cit., n. 253, S., 7. 2. 84.

mité, sect. I, § 2. n. 8, quest. 1.

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(2) Bourjon, Droit commun de la France, liv. I, tit. III, ch. IV, sect. I, n. II

1. I. p. 20).

Bastia, 28 juin 1865, S., 67. 1. 345, D., 67. 1. 343, sous Cass., 19 juin 1867. — Cpr. Montpellier, 4 fév. 1824, J. G., vo cit., n. 334. — Toulouse, 24 juin 1820, J. G., v cit., n. 333.

et il ne lui suffira pas d'invoquer sa propre possession d'état, même confirmée par son acte de naissance (').

SECTION III

PREUVE PAR TÉMOINS DE LA FILIATION MATERNELLE

469. La loi se défie partout de la preuve testimoniale, mais surtout en matière de filiation, à raison, soit de la gravité des intérêts engagés, soit des facilités particulières que rencontre ici le faux témoignage, vu la difficulté de convaincre les témoins d'imposture. Il fallait garantir les familles contre les entreprises d'audacieux intrigants qui n'auraient pas craint de suborner des témoins pour se faire attribuer une filiation mensongère. Aussi le législateur a-t-il soumis en cette matière l'admission de la preuve testimoniale à de sévères restrictions. L'enfant ne sera reçu à prouver sa filiation par témoins que dans un certain nombre de cas, et sous certaines conditions. 470. I. Dans quels cas ce mode de preuve est admis. Aux termes de l'art. 323, al. 1o : « A défaut de titre et de posses»sion constante, ou si l'enfant a été inscrit, soit sous de faux » noms, soit comme né de père et mère inconnus, la preuve » de la filiation peut se faire par témoins ». - De cet article, combiné avec le précédent, il résulte que la preuve testimoniale est admissible pour établir la filiation légitime dans les quatre cas suivants.

er

1° Quand l'enfant a une possession d'état sans titre (arg. art. 322, al. 1). L'enfant peut alors soutenir que la filiation qui lui est attribuée par sa possession d'état est mensongère et prouver par témoins sa véritable filiation (2).

2o Quand il a un titre sans possession d'état. En supposant

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() Merlin, Rép., vo Légitimité, sect. I, § II, quest., 4, n. 1 in fine; Toullier, II, n. 880, 882; Demolombe, V, n. 214; Héan, p. 128; Laurent, III, n. 408, 409 et 413. Paris, 1er juil. 1861, D., 61. 2. 137, S., 62. 2. 71. - Agen, 19 janv. 1864, D., 65. 2. 17. — Cass. (motifs), 19 juin 1867, D., 67. 1. 343, S., 67. 1. 345 et la nole de M. Labbé. Aix, 10 août 1871, S., 73. 1. 309. 1. 303, S., 73. 1. 309. Bordeaux, 28 mai 1889, S., 18 mars 1868, S., 68. 1. 205 et Lyon, 28 mai 1869, D., 2) Demolombe, V, n. 241; Héan, p. 156; Aubry et Rau, V1, § 544, texte et note 23; Laurent, III, n. 416.

-

Cass., 7 mai 1873, D., 73. 90. 2. 230. Cpr. Cass., 70. 2. 71, S., 70. 2. 14.

que

l'enfant est bien celui auquel le titre s'applique, c'est-àdire que son identité est constante, l'enfant peut prouver par témoins la filiation qu'il réclame, s'il « a été inscrit, soit sous de faux noms, soit comme né de père et mère inconnus ».

Sous de faux noms. Ce qui s'appliquerait, soit à l'inscription sous des noms imaginaires, soit à l'inscription sous le nom personnes déterminées que l'enfant prétendrait n'être pas

de

ses père et mère véritables.

Comme né de père et mère inconnus. Dans ce cas l'acte de naissance de l'enfant n'indique à vrai dire aucune filiation. Certains auteurs enseignent que, dans le cas où l'enfant à un titre sans possession d'état, il doit renverser la preuve résultant du titre avant d'être admis à prouver par témoins sa véritable filiation. L'enfant aurait donc deux preuves successives à administrer. Tant que subsiste le titre, en effet, la preuve testimoniale n'est pas admissible. Elle ne peut être administrée, d'après notre texte, que si l'enfant a été inscrit sous de faux noms, ou comme né de père et mère inconnus, et c'est à lui qu'il appartient de démontrer qu'il se trouve dans le cas prévu par la loi. Cette preuve préalable ne peut se faire que par le moyen de l'inscription en faux, au moins quand l'enfant soutient qu'il a été inscrit sous de faux noms ('). Et l'on à même prétendu que l'inscription en faux est nécessaire si l'enfant a été inscrit comme né de père et de mère inconnus (2).

Cette opinion est généralement rejetée.

Il est certain tout d'abord qu'il n'y a pas lieu de recourir à l'inscription en faux lorsque l'enfant a été inscrit comme né de père et mère inconnus. Il n'est même pas nécessaire de combattre le titre de naissance, puisque celui-ci, n'indiquant aucune filiation, n'est aucunement contraire à la prétention du demandeur. L'art. 323 dispose d'ailleurs que la preuve testimoniale est admissible dans le cas où l'enfant a été inscrit comme né de père et mère inconnus. Cette condition est

*) Merlin, Répert., vo Maternité, n. 6; Quest. de Aroit, vo Question d'état, §3; Duranton, III, n. 139, 140.

(2) Proudhon, II, p. 88.

PERS. IV.

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