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suprême, basée sur l'art. 317, a été vivement critiquée (1). On a fait remarquer, qu'étant donné le point de départ admis par la cour de cassation, il n'y a aucune raison de distinguer entre le mari et ses héritiers. Entre les mains du mari, sans doute, l'action en désaveu a un caractère moral (2), tandis qu'elle n'est accordée aux héritiers que pour la défense de leurs intérêts pécuniaires. Mais, du moment que l'on admet le mari à agir, sur le fondement d'un intérêt moral éventuel, contre un enfant qui n'a pas de titre et qui d'ailleurs ne réclame pas, pourquoi ne recevrait-on pas ses héritiers à agir, dans la même hypothèse, sur le fondement d'un intérêt pécuniaire également éventuel (3).

Si l'on admet que l'action intentée, pour dénier la paternité du mari, contre l'enfant qui ne se rattache pas à celui-ci par son titre de naissance, constitue le désaveu de paternité, il faudrait, semble-t-il, décider logiquement que cette action doit être introduite dans les délais fixés pour le désaveu. Ainsi le mari devrait agir dans les deux mois à partir du moment où il a eu une connaissance positive de l'accouchement de sa femme (art. 316). Cette conséquence semble avoir été admise par certaines décisions de jurisprudence (*). En sens

(1) Laurent, III, n. 439; Demolombe, V, n. 116 bis, III; Aubry et Rau, loc. cit. (*) Cpr. Cass., 18 mai 1897, D., 98. 1. 97.

(3) La cour de cassation, comme cela ressort des considérants rapportés au texte, nous paraît avoir mal interprété l'art. 317. Celui-ci prévoit, non pas le cas où l'enfant est en possession de sa légitimité, mais bien, ce qui est tout différent, celui où il est en possession des biens du mari ou trouble les héritiers du mari dans cette possession.

(*) Riom, 7 juin 1844, J. G., vo cit., n. 177, S., 45. 2. 21. Dans l'espèce, l'enfant n'avait pas été déclaré à l'officier de l'état civil. La cour concilie de la manière suivante les dispositions des art. 316 et 318, d'une part, et de l'art. 325, d'autre part. L'art. 325, dit-elle, suppose que le mari a ignoré l'accouchement de sa femme jusqu'au moment où l'action en réclamation d'état a été intentée contre lui. Les art. 316 et 318 sont applicables dans le cas où, en dehors d'une action en réclamation d'état, le mari apprend, d'une manière positive, la naissance de l'enfant mis au monde par sa femme; le mari doit alors, sous peine de forclusion, exercer l'action en désaveu dans les délais fixés par ces textes. S'il ne l'a pas fait, il ne peut plus contester la paternité, même au cas où postérieurement l'enfant rechercherait son état contre lui. - Cpr. Rouen, 5 mars 1828 (motifs), supra. Cass., 25 janv. 1831, J. G., vo cit., n. 45, S., 31. 1. 81. - Paris, 1er août 1853 el Cass., 14 fév. 1854, D., 54. 1. 89, S., 54. 1. 225. - Dijon, 17 mai 1870, D., 73. 2. 195, S., 71. 2. 243. Ces derniers arrêts décident bien, plus ou moins formellement, que le mari

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contraire, il a été jugé que le mari peut encore exercer son action même après l'expiration des délais légaux. « La déchéance de l'art. 316, dit la cour de Lyon (1), ne s'applique qu'au cas où il a été dressé un acte de l'état civil régulier constatant la naissance de l'enfant... au cas contraire le mari. tout en restant libre de le faire, ne saurait être tenu d'agir; en l'absence de titre, l'action du mari, dont les délais sont impartis par l'art. 316, n'est pas, il est vrai, obligatoire, mais... elle reste facultative ». Il y aurait donc, dans notre espèce, une action en désaveu facultative. Elle serait facultative, en ce sens que le mari ne serait pas tenu d'observer les délais fixés par les art. 316 à 318.

Dans un arrêt de la Cour de cassation du 11 avril 1854, on trouve un autre système encore. Le désaveu, dit la cour de cassation, est nécessaire, quand il s'agit de priver de son état un enfant dont la filiation est constatée par un acte de naissance, et cette action n'est recevable qu'autant qu'elle est intentée dans les délais déterminés par les art. 316 et 318. Le désaveu ne serait pas nécessaire dans le cas où l'enfant n'a pas de titre de naissance. Il serait donc facultatif, en ce sens que, même après l'expiration du délai, il resterait encore au mari la ressource d'attendre la réclamation de l'enfant, pour démontrer sa non-paternité, conformément à l'art. 325 (). Il nous paraît qu'il y a là une contradiction. Si nous sommes dans le domaine du désaveu, le seul moyen pour le mari de combattre la présomption pater is est... consiste dans l'exercice de l'action en désaveu. Il doit donc rester désarmé contre l'enfant, s'il a laissé passer, sans l'intenter, les délais fixés par les textes. Cela résulte du système général adopté par le législateur. Comment peut-on

ne peut plus désavouer l'enfant après l'expiration des délais des art. 316 et 318; mais ils ne statuent pas sur le point de savoir s'il serait recevable à invoquer les dispositions de l'art. 325, au cas de réclamation ultérieure de l'enfant. — Adde Massé et Vergé sur Zachariæ, I, § 162, note 28; Devilleneuve, note dans S., 54. 1. 289.

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Adde Bordeaux, 5 juill.

(1) Lyon, 21 janv. 1886, D., 87. 2. 1, S., 88. 2. 77. 1843, J. G., vo cit., n. 45 (5o espèce), S., 44. 2. 185. (2) Cass., 11 avril 1854, D., 54. 1. 92, S., 54. 1. 289. Dalloz, J. G., vo cit., n. 136 et 137. Cpr. Cass., 9 mai 1864, D., 64. 1., 409, S., 64. 1. 305.

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concilier les règles édictées en matière de désaveu et celles qui sont écrites dans l'art. 325, si l'on admet que ces deux textes se réfèrent à la même hypothèse? Comment admettre que la loi ait organisé en même temps deux moyens si différents de combattre la présomption de paternité? A quoi servirait d'avoir enfermé dans des limites si étroites le droit de désavouer l'enfant, si ensuite le mari, sur la réclamation de celui-ci, pouvait contester sa paternité par tous modes quelconques?

538. Que faut-il décider pour le cas où c'est le mari luimême qui, en menaçant sa femme de désavouer l'enfant qu'elle a mis au monde, l'a forcée à faire inscrire cet enfant sous de faux noms ou comme né de père et mère inconnus, ou qui a empêché la déclaration de la naissance? On a soutenu que, dans une pareille hypothèse, le mari n'a qu'un seul droit c'est celui de désavouer l'enfant, suivant les formes et dans les conditions fixées par la loi pour l'action en désaveu. Le désaveu serait alors nécessaire, pour employer la terminologie adoptée par la jurisprudence. Par conséquent, les délais des art. 316 à 318 une fois expirés, le mari ne pourrait même pas, si l'enfant réclamait son état, user de la faculté que lui reconnaît l'art. 325. En effet, dit-on, c'est le mari luimême qui a privé l'enfant de son titre de naissance. Il a commis un acte délictueux. Il n'est pas admissible qu'il en tire parti au détriment de celui qui en a été victime. Or, si l'enfant avait été régulièrement déclaré, le mari, s'il avait voulu répudier sa paternité, n'aurait pu recourir qu'au désaveu. Il ne peut avoir acquis par son fait une situation meilleure (1). Ces considérations, quelque puissantes qu'elles soient, ne peuvent prévaloir contre un texte. L'art. 325 permet au défendeur à l'action en réclamation d'état de contester la filiation paternelle par tous moyens quelconques, et cela sans distinguer quelle est la cause pour laquelle l'enfant a été privé de son titre. Là où la loi ne distingue pas, l'interprète n'a pas le droit d'établir de distinction (2).

(1) Dalloz, J. G., v° cit., n. 140; Devilleneuve, Note dans S., 54. 1. 289. (*) Demolombe, V, n. 146.

Cpr. Bordeaux, 12 fév. 1838, D., 38. 2. 238, S., 38.

539. L'enfant prouve, conformément à l'art. 46, que les registres de l'état civil n'ont pas été tenus, ou qu'ils ont été détruits ou perdus. Cette preuve préalable une fois faite, il établit sa filiation soit par témoins, soit à l'aide des registres et papiers domestiques des père et mère décédés. Quels sont les droits du défendeur? Nous croyons que nous nous trouvons ici dans le domaine du désaveu, dont par conséquent les règles doivent être suivies. L'enfant a eu un titre; mais ce titre a été détruit ou a été perdu. Ou bien encore les registres n'ont pas été tenus; l'enfant justifie l'absence de son titre de naissance. Dans la première hypothèse, l'enfant est entré dans la famille du mari sous le couvert de la présomption pater is est. La disparition postérieure du titre ne peut avoir eu pour effet de rendre sa condition pire au point de vue du désaveu. Or, la loi assimile le second cas au premier et lui applique les mêmes principes. Il faut donc décider que, bien que l'enfant n'ait pas de titre, il ne pourra être exclu de la famille légitime que par le désaveu. L'absence de titre n'est pas en effet de nature à rendre suspecte la conception de l'enfant, et il semble que la présomption pater is est conserve ici toute sa force et ne puisse être combattue que par l'action en désaveu. La loi fait, il est vrai, au mari une situation meilleure dans le cas de l'art. 325. Mais nous avons montré que les hypothèses prévues par ce texte diffèrent essentiellement de celles que le législateur a visées dans l'art. 46 (supra, n. 476).

No 2. Des personnes auxquelles appartient l'action en désaveu.

540. La commission du gouvernement, dans le projet présenté par elle le 24 thermidor an VIII, avait proposé le système suivant le droit de désavouer l'enfant n'appartiendra qu'au mari, tant qu'il vivra; s'il meurt sans avoir exercé l'action en désaveu, mais ayant encore le droit de l'intenter, le désaveu pourra être formé par toute personne intéressée ('). Ce projet souleva des réclamations. La section de législation proposa alors de réserver le droit d'agir au mari seul, durant

(1) Fenet, II, p. 63.

la vie de celui-ci; quant aux héritiers du mari, ils ne devaient être admis à désavouer l'enfant que si leur auteur avait intenté l'action avant son décès (').

A l'appui de ce système, on fit observer qu'il convient de laisser le mari seul juge de la question. S'il meurt sans avoir désavoué l'enfant, son silence peut être interprété comme une reconnaissance de sa paternité ou comme une adoption de l'enfant mis au monde par sa femme. D'ailleurs la mort du mari enlève à la femme le bénéfice des aveux qu'il aurait pu faire (). Sur les critiques formulées par Cambacérès, par le premier consul et par Tronchet, le projet fut remanié une fois de plus. Les art. 317 et 318 énumèrent limitativement les personnes auxquelles l'action appartient: ce sont le mari et, dans certains cas, ses héritiers.

541. Tant que le mari est vivant, lui seul a la faculté de désavouer l'enfant. Entre ses mains, l'action est fondée surtout sur un intérêt moral. Aussi faut-il la considérer, quant à son exercice, comme exclusivement attachée à la personne du mari. Elle ne pourrait pas être exercée de son chef par ses créanciers (arg. art. 1166 in fine) (3).

542. Si le mari est interdit, l'action en désaveu peut elle être exercée en son nom par le tuteur? La jurisprudence admet généralement l'affirmative (*). La doctrine est divisée (5). La question sera examinée à propos de l'interdiction. (BaudryLacantinerie et Bonnecarrère, Des Personnes, V, n. 863).

(1) Locré, VI, p. 26.

(2) Locré, VI, p. 47 s.

(3) Laurent, III, n. 436; Demolombe, V, n. 114; Aubry et Rau, VI, § 545 bis, p. 53; Baudry-Lacantinerie et Barde, Des obligations, I, n. 593. - Les législations étrangères réservent également au mari seul, tant qu'il vit, le droit de désavouer l'enfant. V. codes civils italien, art. 161 à 167; portugais, art. 106; espagnol, art. 111; néerlandais, art. 306 et s.; Bas-Canada, art. 219 et s.; allemand, § 1593 et s. (*) Cass., 24 juill. 1844, S., 44. 1. 626. Caen, 14 déc. 1876, D., 77. 2. 146, S., 77. 2. 54. Grenoble, 5 déc. 1883, J. G., vo cit., n. 87, S., 84. 2. 73. Lyon,

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5 juin 1891, J. G., Suppl., vo cit., n. 17. — Chambéry, 28 janv. 1862, S., 62. 2. 481 (pour l'interdit légal). Contra Colmar, 21 janv. 1841, J. G., v° cit., n. 115. (5) Pour l'affirmative: Pont, Rev. de dr. fr. et étr., 1845, II, p. 347; Demante, II, n. 43 bis, II; Demolombe, V, n. 116; Héan, p. 26, 92. Contra: Proudhon, II, p. 43; Zachariæ, I, § 161, p. 303, note 43; Duranton, III, n. 68; Marcadé, sur l'art. 316, n. 1; Dupret, Rev. de dr. fr. et étr., 1844, I, p. 739; Aubry et Rau, VI, $545 bis, texte et notes 6 et 7; Laurent, III, n. 436.

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