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543. Si le mari est absent, qui peut exercer l'action en désaveu? L'enfant est, par hypothèse, né moins de 300 jours après la disparition du mari. Il est donc né, sans contestation possible, sous le couvert de la présomption pater is est quem nuptiæ demonstrant.

Les envoyés en possession provisoire ne peuvent exercer l'action en désaveu. Ils ne peuvent pas agir en qualité d'héritiers, car la mort du mari n'est pas démontrée et sa succession n'est pas ouverte (arg. art. 317). Ils ne peuvent pas non plus exercer l'action au nom du mari absent et en vertu de l'envoi en possession provisoire; car cela excèderait les limites de leur mandat ('). Il y a là une question dont le mari doit rester seul juge. Il est vrai que la loi permet aux héritiers du mari d'exercer l'action en désaveu, lorsque leur auteur est mort ayant encore le droit de l'intenter. Mais la situation est toute différente. Aucune contradiction n'est à redouter entre la volonté des héritiers et celle de leur auteur. Il en est autrement dans le cas d'absence (*).

Quant aux envoyés en possession définitive, il semble qu'il faille leur reconnaître le droit d'exercer l'action (3). Contre cette solution, on a dit qu'il est singulier de permettre de désavouer un enfant qui est resté pendant trente ans en possession des biens du mari; que, d'autre part, le droit des envoyés en possession définitive a la même nature que celui des envoyés en possession provisoire. L'envoi en possession définitive, comme l'envoi en possession provisoire, ne concerne que le patrimoine de l'absent. Or le désaveu n'est pas compris dans le patrimoine du mari (*). Mais on peut faire observer, en sens contraire, que le droit des envoyés en possession est transformé par l'envoi en possession définitive.

(1) Cpr. Baudry-Lacantinerie et Houques-Fourcade, Des personnes, II, n. 1124 s. (*) Dupret, op. cit., p. 729. Cpr. Toulouse, 29 déc. 1828, D., 29. 2. 221, S., 29.2.157. Contra Massé et Vergé sur Zachariæ, I, § 161, note 46; Demante, II, n. 43 bis, VI; Demolombe, II, n. 268; Héan, p. 101. — D'après Aubry et Rau, VI, § 545 bis, texte et note 10, les envoyés en possession provisoire peuvent désavouer l'enfant ; mais le retour du mari fera de droit tomber le jugement qu'ils auront obtenu.

(3) Massé et Vergé, Demante, Aubry el Rau, Demolombe, loc. cit. () Dupret, op. cit.

Ils sont désormais, au regard des tiers, assimilés à des héritiers (1). Peu importe, au point de vue du désaveu, que l'enfant, contre lequel il est dirigé, ait joui des biens du mari pendant trente ans et davantage. Si le mari reparaissait, il est bien certain qu'il pourrait désavouer cet enfant. Dès lors, l'argument ne porte pas.

544. Après le décès du mari, l'action en désaveu passe à ses héritiers, s'il est mort maître de son action, c'est-à-dire étant encore dans le délai utile pour l'intenter et sans y avoir renoncé. A plus forte raison, les héritiers du mari pourraientils continuer l'action en désaveu intentée par le mari, si celuici était mort pendente lite.

En passant aux héritiers, l'action en désaveu se transforme. Dans les mains du mari, elle constituait un droit moral; des intérêts pécuniaires, il est vrai, pouvaient s'y trouver mêlés aux intérêts moraux, mais ceux-ci dominaient et absorbaient ceux-là. Entre les mains des héritiers du mari, au contraire, l'action en désaveu devient un droit exclusivement pécuniaire; on n'en peut douter en lisant l'art. 317, qui nous représente les héritiers du mari comme exerçant l'action en désaveu pour sauvegarder un intérêt pécuniaire menacé par la prétention de l'enfant qui se dit légitime. De ce principe il résulte que l'action en désaveu peut être exercée, s'il y a lieu, par les créanciers des héritiers du mari, agissant du chef de ceux-ci en vertu de l'art. 1166 (2). Si les héritiers du mari sont mineurs ou interdits, il n'est pas douteux que leur tuteur ne puisse agir en leur nom.

545. L'action en désaveu passe, aux termes des art. 317 et 318, aux héritiers du mari (3). Il faut entendre par là tous ceux qui succèdent au mari in universum jus, tous ceux qui sont appelés à titre universel à recueillir sa succession. Les successeurs universels du mari trouvent, dans le patrimoine de

(') Baudry-Lacantinerie et Houques-Fourcade, op. et loc. cit.

(5) Aubry et Rau, VI, § 545 bis, texte et note 8; Demolombe, V, n. 137; Laurent, IV, n. 437.

(3) Mêmes principes dans les législations citées supra, p. 475, note 3. Cependant le code civil allemand permet en termes généraux de contester la légitimité de l'enfant après la mort du mari (§ 1593).

leur auteur, le droit de désavouer devenu désormais un droit pécuniaire. L'action en désaveu appartient donc :

1° Aux héritiers légitimes du mari, c'est-à-dire aux personnes auxquelles leur qualité de parents légitimes donne vocation à la succession et qui ont accepté cette succession. La règle ne souffre même pas d'exception en ce qui regarde les enfants issus du mariage. Leur qualité de fils de la femme dont l'honneur sera compromis par l'action en désaveu et de frères, au moins utérins, de l'enfant qu'il s'agit de désavouer, pourra, dans bien des cas, élever, en ce qui les concerne, un obstacle moral, mais non un obstacle légal à l'action en désaveu; car, la loi ne distinguant pas, sa disposition comprend nécessairement tous les héritiers du mari (1).

2° Aux héritiers naturels et aux successeurs irréguliers du mari (2).

3° Aux donataires ou légataires universels ou à titre universel du mari. Ils sont ordinairement compris sous la dénomination d'héritiers, et les travaux préparatoires prouvent, à n'en pas douter, que telle a bien été ici l'intention du légis lateur (3).

546. D'ailleurs les héritiers ou autres successeurs universels du mari peuvent exercer l'action en désaveu pour les mêmes causes que lui; car c'est son action qui leur est transmise, par conséquent l'action telle qu'elle lui appartenait (*). Cette proposition n'est pas cependant unanimement admise.

(1) Proudhon, et Valette sur Proudhon, II, p. 62 et 63; Duranton, III, n. 70; Aubry et Rau, VI, § 545 bis, texte et note 1; Demolombe, V, n. 125; Héan, p. 99. (2) Aubry et Rau, loc. cit.; Demolombe, V, n. 127 el 128; Héan, loc. cit.: Laurent, III, n. 438.

(3 Proudhon, et Valette sur Proudhon, Il, p. 66; Toullier, II, n. 834; Duranton, III, n. 80; Allemand, II, n. 728 et s.; Marcadé, sur l'art. 317; Zachariæ, et Massé et Vergé sur Zachariæ, I, § 161, texte et note 37; Demolombe, V, n. 129: Héan, loc. cit.; Aubry et Rau, VI, § 545 bis, p. 53 s.; Laurent, III, n. 438. 15 fév. 1873, D., 73. 2. 174, S., 74. 1. 201. Cass., 3 mars 1874, D., 74. 1. 317. S., 74. 1. 201.

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Bourges,

(*) Aubry et Rau, VI, § 545 bis, texte et notes 12 à 14; Demolombe, V, n. 121: Laurent, III, n. 441. D'après l'art. 313 du code civil néerlandais, si le mari est mort sans avoir intenté l'action en désaveu, mais étant encore dans le délai utile pour le faire, les héritiers ne seront admis à désavouer l'enfant que dans le seul cas de l'art. 307, c'est-à-dire pour cause d'impossibilité physique de cohabi

lation.

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Certains auteurs (1) décident que les héritiers du mari ne peuvent désavouer l'enfant pour la cause prévue par l'art. 313, al. 1, que si la femme a été condamnée pour adultère sur la plainte du mari; car le mari seul a le droit de dénoncer l'adultère de sa femme, d'après l'art. 336 du code pénal. Cela serait vrai, si la condamnation préalable de la femme pour cause d'adultère était la condition de l'exercice de l'action en désaveu; mais nous savons qu'il n'en est rien. La disposition de l'art. 336 C. pén. signifie seulement que la dénonciation du mari est nécessaire pour que l'adultère de la femme puisse être l'objet d'une répression pénale. D'ailleurs, à ce compte, les héritiers du mari ne pourraient presqu'en aucun cas exercer l'action en désaveu, puisque cette action, sauf dans l'hypothèse de l'art. 314, implique toujours un adultère de la mère. Enfin le tribunat avait proposé de refuser aux héritiers le droit de désavouer l'enfant pour cause d'adultère, et cette proposition fut rejetée (2).

On a soutenu que les héritiers ne peuvent pas exercer l'action en désaveu pour cause d'impuissance accidentelle du mari, si celui-ci est mort sans avoir fait constater son état (3). On invoque en ce sens l'autorité de Merlin (*). Mais Merlin s'est borné à exposer les règles admises dans l'ancien droit en ce qui concerne l'impuissance naturelle du mari. Or le code a répudié cette cause de désaveu, et il n'exige pas que l'impuissance accidentelle dont le mari est atteint soit constatée par une visite corporelle. Cette impuissance peut être prouvée d'une manière quelconque; les héritiers peuvent donc en faire la preuve après la mort du mari (3).

Les héritiers auront également la faculté de désavouer

(1) Proudhon, II, p. 55, 56; Richefort, I, n. 61.

173. p.

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(*) Locré, VI, - En notre sens : Valette sur Proudhon, II, p. 56, nole a; Duranton, III, n. 73; Toullier, II, n. 840; Massé et Vergé sur Zachariæ, I, § 161, notes 37 et 50; Marcadé, sur l'art. 317, n. 1; Demolombe, V, n. 121; Héan, p. 87; Aubry et Rau, VI, § 545 bis, texte et note 13; Laurent, III, n. 441; Demante, II, n. 43 bis, IV. · Cass., 8 déc. 1851, D., 52. 1. 5, S., 52. 1. 161.

(3) Richefort, I, n. 61.

(*) Rép., vo Légitimité, sect. II, § 2, n. 4.

(5) Demolombe, V, n. 122; Héan, p. 88; Aubry et Rau, VI, § 545 bis, texte et Note 12.

l'enfant, alors même que le mari serait mort après la conception, mais avant la naissance de celui-ci. On objecte que l'enfant simplement conçu ne peut être l'objet d'une action en désaveu ; que le mari, étant mort avant la naissance de l'enfant, n'a jamais eu le droit de le désavouer; et que, par suite, ses héritiers ne peuvent exercer une action qu'ils n'ont pas trouvée dans le patrimoine de leur auteur. Cela n'est pas exact. L'action en désaveu existait en germe dès le moment de la conception de l'enfant ; le mari avait le droit de désavouer celui-ci, sous la condition qu'il naquit viable. Ce droit passe à ses héritiers sous la même condition (').

Les héritiers, dans l'hypothèse que nous venons d'exposer, pourront désavouer l'enfant même pour la cause prévue à l'art. 313, al. 1. Sans doute, la loi veut que la naissance de l'enfant ait été cachée au mari, et il semble que cette condition n'ait pas été remplie, puisque le mari est mort avant l'accouchement. Mais l'art. 313, en exigeant que la naissance ait été cachée au mari, suppose que le désaveu est formé par le mari lui-même; il ne s'occupe pas de l'action exercée par les héritiers. Pour déterminer les conditions auxquelles ceux-ci doivent satisfaire, il faut rechercher quel est le sens du texte. Or, il ne nous paraît pas douteux que la loi a voulu dire que, pour que l'action soit recevable, il faut que la naissance ait été cachée à ceux qui, au moment de la naissance, auront le droit de désavouer l'enfant. Car c'est précisément ce fait qui implique l'aveu tacite de la mère dont nous avons parlé (supra, n. 490). Dès lors, il suffira que la naissance de l'enfant ait été cachée aux héritiers du mari, si l'accouchement a eu lieu après la mort de celui-ci (2).

547. Les héritiers ont d'ailleurs chacun le droit individuel d'exercer l'action en désaveu et ne se représentent pas les uns les autres à cet égard. Par conséquent, la renonciation que l'un d'eux aurait faite, ou la déchéance qu'il aurait encourue ne serait pas opposable aux autres.

548. Telles sont les seules personnes qui peuvent intenter

(1) Cass., 8 déc. 1851, D., 52. 1. 5, S., 52. 1. 161. — Aubry et Rau, VI, § 545 bis, texte et note 14. Cpr. code civil espagnol, art. 112.

(2) Cass., 8 déc. 1851, supra.

Héan, p. 37, 88, Aubry et Rau, loc. cit.

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