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que la nomination du tuteur ad hoc doit être faite par le tribunal. Le conseil de famille est sans doute compétent pour la désignation du tuteur ordinaire; mais il en est autrement lorsqu'il s'agit d'un tuteur ad hoc. Lorsque la loi entend lui conférer le pouvoir de nommer un tuteur de cette nature, elle le dit expressément (Cpr. 968 C. pr.). N'est-il pas d'ailleurs étrange de confier le droit de choisir à l'enfant un protecteur à un conseil de famille qui, s'il est régulièrement constitué, se composera peut-être uniquement de personnes intéressées au succès du désaveu (')? Cpr. Baudry-Lacantinerie et Houques-Fourcade, Des personnes, III, n. 1481).

Il a été jugé que la nomination du tuteur ad hoc par le conseil de famille est requise à peine de nullité de la procédure (*). La nullité de la nomination constitue une fin de nonrecevoir fondée sur l'ordre public, qui peut être invoquée en tout état de cause (3) et par le tuteur lui-même (*). La mère a également le droit de se prévaloir de cette nullité en tout état de cause (3).

551. L'enfant peut-il être désavoué avant sa naissance? On est d'accord pour admettre la négative (6). Tant que l'enfant.

(') Delvincourt, I, p. 89, note 12; Valette sur Proudhon, II, p. 59, note a; Ducaurroy, Bonnier et Roustain, I, n. 447; Demolombe, V, n. 166; Laurent, III, n. 453; Demante, II, n. 44 bis, V; Arntz, I, n. 540; Huc, III, n. 27. - Cpr. Paris, 4 juill. 1853, D., 53. 2. 201, S., 53. 2. 371. Cet arrêt a décidé que, lorsque la malernité de la femme du désavouant est incertaine, la nomination du tuteur doit être faite par le tribunal. L'art. 168 du C. civ. italien confère au tribunal la mission de déléguer le curateur spécial qui, au cas de minorité ou d'interdiction de l'enfant, sera chargé de représenter celui-ci.

(*) Cass., 24 nov. 1880, D., 82. 1. 52, S., 81. 1. 65, et la note de M. Demante. Douai, 30 mars 1882, D., 82. 2. 148, S., 82. 2. 108. En effet, dit M. Demante, si la loi n'a pas prononcé la nullité des délibérations du conseil de famille, à raison des irrégularités commises dans la composition de celui-ci, encore faut-il qu'une délibération ait été prise. Cpr. Cass., 10 mai 1887, D., 87. 1. 412, S., 88. 1. 97. (3) Trib. Tours, 13 mai 1875, et Cass., 18 août 1879, D., 80. 1. 271, S., 80. 1. 342. Grenoble, 14 fév. 1883, J. G., Suppl., vo cit.,

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Cass., 24 nov. 1880, supra.

n. 87, S., 84. 2. 73.

(*) Cass., 24 nov. 1880, supra.

(5) Cass. Belg., 29 fév. 1872, D., 72. 2. 9.

(6) Massé et Vergé sur Zachariæ, 1, § 161, note 52; Demolombe, V, n. 161; Aubry et Rau, VI, § 545 bis, texte et note 31; Laurent, III, n. 447. Contra Zachariæ, I, § 161, p. 303. Liège, 12 fructidor an XIII, J. G., vo Paternité,

n. 151, S., 6. 2. 24.

n'est pas né, il ne constitue pas encore une personne et ne peut, par suite, être désavoué. La loi considère bien quelquefois l'enfant simplement conçu comme étant déjà né, mais seulement lorsqu'il s'agit de ses intérêts. Infans conceptus pro nato habetur QUOTIES DE COMMODIS EJUS AGITUR. L'enfant peut d'ailleurs ne pas naître viable, auquel cas l'action intentée prématurément se trouverait avoir causé un scandale inutile. Enfin, il y a des cas où il est nécessaire de connaître le jour de la naissance pour savoir si le désaveu est possible; il en est ainsi notamment dans l'hypothèse prévue par l'art. 314. 552. Il se peut que l'enfant décède au cours de l'instance en désaveu. Nous croyons que l'instance ne sera pas éteinte par la mort de l'enfant. La solution contraire a été cependant adoptée par certaines décisions de jurisprudence, qui se fondent sur les considérations suivantes : dans les mains du mari, a-t-on dit, l'action en désaveu a surtout pour but de sauvegarder les intérêts moraux de celui-ci. Or, quel intérêt le mari peut-il avoir à désavouer un enfant actuellement décédé ? Il ne peut pas alléguer qu'il importe pour son honneur de faire disparaître les mentions portées sur les registres de l'état civil, d'où résulte l'indication d'une paternité qu'il répudie. L'art. 314 prouve que la loi n'a pas considéré cet intérêt comme suffisant, puisqu'elle n'a pas permis de désavouer l'enfant qui n'est pas né viable. Le mari ne peut non plus invoquer un intérêt pécuniaire. Enfin l'action en désaveu est une action d'état; elle ne peut être intentée que contre une personne vivante, dont la présence dans la famille lèse les intérêts du mari. Donc le décès de l'enfant survenu au cours de l'instance entraîne l'extinction de l'action ('). Cette argumentation ne nous parait pas décisive. Sans doute, l'art. 314 ne permet pas de désavouer un enfant qui n'est pas né viable; mais cela tient à ce que cet enfant n'a jamais constitué une personne, qu'il n'a jamais pu acquérir ni trans

(Rouen, 15 mai 1895, D., 98. 1. 98.

désaveu avait été intentée par le mari.

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Dans l'espèce de cet arrêt, l'action en Dans le même sens, trib. Pont-l'Evêque, 17 janv. 1878, D., 78. 3. 87, S., 97. 1. 433, d'où il semblerait résulter cependant que l'instance pourrait être poursuivie si le demandeur était en mesure de justifier d'un intérêt pécuniaire.

mettre aucun droit. Ici la situation est toute différente. L'enfant a vécu; il a acquis des droits; il laisse peut-être des représentants qui viendront les réclamer. L'intérêt que les héritiers du mari ont à continuer l'instance, engagée par eux ou par le mari, est évident. Mais le mari lui-même y a intérêt. Il est le gardien de l'honneur de la famille; si l'enfant a laissé des descendants, le mari ne peut-il pas demander qu'ils soient exclus de la famille ? Ne peut-on pas supposer même telles hypothèses où il aurait un intérêt pécuniaire direct à poursuivre l'exercice du désaveu? Enfin et surtout la loi a énuméré soigneusement les fins de non-recevoir qui peuvent être opposées à l'action en désaveu. Or le décès de l'enfant ne figure pas dans cette énumération (').

Pour les mêmes motifs, il faut, à notre avis, décider que l'action en désaveu pourra être intentée si l'enfant, né d'ailleurs viable, est décédé avant l'ouverture du procès (). Cet enfant a eu une personnalité juridique; il a pu être investi de droits.

Contre qui l'action sera-t-elle introduite ou l'instance continuée? Si l'enfant a laissé des héritiers, ceux-ci seront défendeurs à l'action en désaveu, pourvu qu'ils soient majeurs et capables. Il a été jugé que l'action doit être poursuivie contre le tuteur ad hoc (). La cour de cassation, qui a admis cette solution, se borne à dire que « le tuteur ad hoc étant l'organe nécessaire institué par l'art. 318, avec la mission spéciale et unique de contredire à l'action du mari, sa fonction persiste aussi longtemps qu'elle a occasion de s'exercer ». — Cette argumentation ne nous paraît pas décisive. Nous pensons au

(1) Demolombe, V, n. 111.

Nimes, 20 oct. 1894, D., 95. 2. 259, S., 97. 1. 434. Cass., 18 mai 1897, D., 98. 1. 97, et la note de M. Guénée, S., 97. 1. 433, et la note de M. Lyon-Caen. La Cour suprême invoque l'intérêt moral qu'a le mari à faire disparaître des registres de l'état civil la mention de sa paternité. Aurait-elle permis au mari de continuer l'instance, si l'enfant n'avait pas été inscrit sous le nom de sa femme?

(*) Trib. Seine, 22 mars 1887, D., 95. 2. 259 (en note).

(3) Trib. Nîmes, 20 oct. 1894. — Cass., 18 mai 1897, supra. Cpr. Trib. Seine, 22 mars 1887, précité. Le tribunal décide que l'action est régulièrement intentée contre la mère seule. Cette solution nous paraît difficilement admissible, car c'es! faire jouer à la mère un rôle tout différent de celui que la loi lui confère dans l'instance en désaveu.

contraire que les pouvoirs du tuteur cessent par le décès de l'enfant qu'il était chargé de représenter. C'est l'enfant, et non le tuteur, qui est le véritable défendeur à l'action en désaveu. D'autre part, il se peut qu'il n'ait pas été nommé de tuteur ad hoc, ce qui arrive, soit au cas où l'enfant décède avant l'ouverture de l'instance, soit au cas où l'action a été intentée contre l'enfant lui-même, majeur et non interdit. Il nous semble donc plus juridique de décider que l'action sera intentée ou l'instance reprise contre les représentants de l'enfant, s'il en a laissé.

553. L'enfant ou ses représentants sont les seules personnes contre lesquelles l'action en désaveu puisse être exercée. L'art. 318 dit que l'action sera dirigée «< contre un tuteur ad hoc donné à l'enfant, et en présence de sa mère ». La mère doit être entendue, parce que son honneur est en jeu ; elle figure donc à l'instance pour son propre compte, et c'est peutêtre bien pour ce motif que la loi n'a pas voulu lui confier le soin d'y figurer en même temps pour le compte de son enfant. Cela suppose bien entendu que la mère est vivante. Si elle est décédée, il n'y a pas lieu de mettre en cause ses héritiers; ceux-ci n'ont à la question qu'un intérêt pécuniaire, et cet intérêt est précisément opposé à celui de l'enfant.

La mère joue au procès un rôle distinct de celui de l'enfant : elle y est présente; mais elle n'y est point partie ('). Sans doute, il s'agit de savoir si sa maternité, qui est certaine, est une maternité légitime ou une maternité naturelle, et le jugement à intervenir l'intéresse personnellement. Mais cependant, la loi lui fait jouer un rôle secondaire; ce n'est pas contre elle que l'action est intentée; elle n'est point partie au procès dans le sens strict du mot. En conséquence, il suffit qu'elle ait été mise en cause avant l'instruction de l'affaire. Il n'est pas nécessaire qu'elle ait été assignée dans les délais impartis par les art. 316 à 318. La loi veut que le désaveu soit formulé dans les délais qu'elle fixe. Or c'est contre le tuteur ad hoc (ou contre l'enfant ou ses représentants) qu'est faite la réclamation du mari; ce n'est pas contre la mère.

(1) Contra: Demolombe, V, n. 168 s.; Vigié, I, n. 531.

Celle-ci est seulement présente aux débats, ce qui suppose l'instance déjà engagée. Ajoutons que le domicile de la mère peut être inconnu ou éloigné; s'il fallait la mettre en cause dans les délais légaux, ceux-ci pourraient s'écouler avant que l'action pût être introduite, car ils ne sont pas susceptibles d'être augmentés à raison de la distance (1).

la

Mais, pour que la procédure soit régulière, il faut que mère assiste à l'instruction du procès. Sinon celle-ci devrait être annulée (*).

N° 4. Du délai et de la forme dans lesquels le désaveu doit être

formulé.

554. Dans notre ancien droit, le désavouant n'était astreint à l'observation d'aucun délai spécial (). Il n'en est pas de même sous l'empire du code. La loi a fixé un délai dans lequel l'action en désaveu doit être exercée sous peine de déchéance. Ce délai devait être très bref, pour que l'état de l'enfant ne fût pas tenu trop longtemps en suspens. Sa durée varie, suivant que l'action est intentée par le mari ou par ses héritiers après sa mort (*).

555. I. L'action est intentée par le mari. Le projet de la commission du Gouvernement lui assignait un délai de six mois à dater de la naissance, s'il s'était trouvé sur les lieux au moment de l'accouchement, et de huit mois après son retour dans le cas contraire (). Sur les observations qui furent présentées, notamment par les cours de Nancy et de Toulouse, ces délais furent considérablement réduits. Aux termes de l'art. 316: « Dans les divers cas où le mari

(1) Allemand, II, n. 763; Massé et Vergé sur Zachariæ, I, § 161, note 61; Héan, p. 123; Aubry et Rau, VI, § 545 bis, p. 60; Laurent, III, n. 455; Huc III, n. 30. Caen, 31 janv. 1836, J. G., v° Paternité, n. 169, S., 38. 2. 482. — Caen, 14 déc. 1876, D., 77. 2. 146, S., 77. 2. 54. - Contra: Demante, II, n. 44 bis, III; Vigié, loc. cit.

(2) Caen, 31 janv. 1836, supra.

S., 40. 1. 167.

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(3) Toulouse, 28 juil. 1808, J. G., vo cit., n. 34.

(4) Cpr. codes civ. néerlandais, art. 311 à 314; portugais, art. 107 et 109; italien, art. 166, 167. - Les codes civ. allemand (§ 1594), et espagnol (art. 113) fixent le délai d'une manière uniforme pour le mari et pour ses héritiers.

(5) Fenet, II, p. 63.

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