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qualité pour soutenir le procès, soit en demandant, soit en défendant. Par exemple, la demande n'a été formée que par quelques-uns seulement des héritiers du mari ou contre quelques-uns seulement des héritiers de l'enfant. Dans ce cas, le jugement n'aura pas d'autorité à l'égard des autres ('). Ceux-ci en effet tiennent de la loi des droits qui ne peuvent être lésés par un jugement auquel ils sont demeurés étrangers. Ils n'auront pas besoin d'attaquer cette sentence par la voie de la tierce-opposition. Il leur suffira d'opposer l'exception rei judicatæ inter alios. Quant à ceux auxquels la loi ne permettait pas de prendre part aux débats, il faut décider de même qu'ils ne peuvent ni invoquer, ni se voir opposer la décision judiciaire qui a admis le désaveu. L'enfant est né, en effet, sous le couvert de la présomption pater is est quem nuptiæ demonstrant. Cette présomption n'est pas détruite, puisque le procès peut être renouvelé (1).

De ce que nous venons de dire, il résulte que, si des jugements en sens divers ont été rendus sur l'état de l'enfant, à la suite d'actions en désaveu intentées successivement, cet état sera fixé de la manière suivante. L'enfant sera réputé enfant adultérin ou naturel simple de sa mère, suivant les cas, à l'égard de ceux de ses adversaires qui ont triomphé dans leur demande. Il conservera la qualité d'enfant légitime de la femme et du mari, dans ses relations avec ceux dont le désaveu a été rejeté. C'est cette même qualité qu'il aura également à l'égard des autres intéressés. N'ayant pas été complètement exclu de la famille légitime, il est censé y être demeuré dans ses rapports avec ceux-ci. Il pourra donc se prévaloir contre eux des droits attachés à l'état d'enfant légitime.

Une pareille situation présente des inconvénients qu'il est superflu de faire ressortir. Aussi le tribunal devra-t-il appeler en cause, autant que possible, tous ceux qui, aux termes de la loi, ont qualité pour prendre part aux débats.

(1) Valette sur Proudhon, II, p. 60, note; Demante, II, n. 43 bis, IX; Aubry el Rau, VI, § 545 bis, texte et note 43; Demolombe, V, n. 177; Laurent, III, n. 458; Huc, III, n. 32; Planiol, loc. cit.

(2) Valette sur Proudhon, loc. cit.; Demante, loc. cit.; Demolombe, V, n. 178; Laurent, III, n. 458. — Cpr. Aubry et Rau, VI, § 545 bis, texte et notes 45 et 46.

569. Il nous paraît certain, bien que le contraire ait été jugé ('), que le mari ne peut rendre à l'enfant le bénéfice de la légitimité, en renonçant au jugement qui a admis le désaveu. Cette sentence, produisant ses effets erga omnes, a créé pour les tiers des droits acquis, dont ils ne peuvent être désormais privés par la volonté du mari. D'ailleurs, elle a fixé définitivement l'état de l'enfant, et l'état est au-dessus des volontés particulières (2). Le mari ou ses héritiers peuvent seulement renoncer aux avantages pécuniaires que le jugement leur procure.

§ II. De l'action en contestation de légitimité.

570. L'action en désaveu, dont nous venons de nous occuper, ne s'applique qu'à un enfant qui peut invoquer la présomption pater is est, puisqu'elle a pour but de faire tomber l'autorité de cette présomption. L'action en contestation de légitimité, au contraire, est dirigée contre un enfant qui n'est pas né sous la protection de la règle pater is est. C'est celle par laquelle on soutient qu'un enfant n'est pas légitime, parce que sa conception se place en dehors du mariage, ou parce que, en supposant qu'il s'agisse d'un enfant né dans les 179 jours de la célébration du mariage, la conception de cet. enfant est entachée d'un vice qui l'empêche de bénéficier de la fiction établie par l'art. 314 (supra, n. 519). L'action en contestation de légitimité suppose d'ailleurs, comme l'action en désaveu, la filiation de l'enfant établie par rapport à sa

mère.

571. A qui appartient-elle ? La loi garde le silence sur ce point; c'est donc le droit commun qui doit être appliqué. Or il conduit à décider que l'action appartient à toute personne intéressée (3). L'intérêt qui sert de fondement à l'action peut être d'ailleurs soit un intérêt pécuniaire né et actuel, soit

(1) Lyon, 7 fév. 1839, J. G., vo cit., n. 201.

(*) Demolombe, V, n. 181; Laurent, III, n. 459; Huc, III, n. 32.

(*) Duranton, III, n. 75; Toullier, II, n. 833; Allemand, Du mariage, II, n. 752; Ducaurroy, Bonnier et Roustain, I, n. 440; Zachariæ, I, § 161, p. 298; Aubry et Rau, VI, § 545 bis, texte et note 47; Laurent, III, n. 460; Huc, III, n. 18. Cpr. code civil italien, art. 169.

même un simple intérêt moral (1). Ainsi l'action pourrait être exercée :

1° Par le mari lui-même, au cas de divorce. Il peut, le cas échéant, contester la légitimité de l'enfant né de sa femme trois cents jours après le divorce légalement prononcé.

2o Par les héritiers du mari, au cas où l'enfant élèverait des prétentions à la succession du mari, ou par ceux de la mère, en vue de réduire l'enfant, dans la succession maternelle, aux droits d'un enfant naturel.

3o Par la mère elle-même, si elle a un intérêt pécuniaire né et actuel. C'est ce qui arriverait notamment dans l'espèce suivante un mari meurt sans enfants, laissant un testament par lequel il institue sa femme légataire universelle; plus de trois cents jours après son décès, sa veuve devient mère; un jour l'enfant se prétend légitime et réclame à ce titre ses droits dans la succession paternelle. La mère pourra repousser cette demande en opposant l'illégitimité du récla

mant.

4o Par les parents, soit du mari, soit de la mère, agissant, non comme héritiers de ceux-ci, mais en vertu de leurs droits propres de membres d'une famille déterminée; comme s'il s'agit d'écarter l'enfant de la succession d'un parent du mari ou de la mère. Les parents du mari seraient même recevables à contester la légitimité de l'enfant né trois cents jours après le décès du mari, dans l'unique vue d'empêcher cet enfant de prendre le nom de leur famille. Leur action serait alors fondée sur un intérêt exclusivement moral.

5° Enfin l'enfant lui-même aurait le droit d'opposer son illégitimité, par exemple pour faire déclarer non recevable une demande d'aliments formée contre lui par les ascendants de sa mère. Il le pourrait même en dehors de tout intérêt pécuniaire. Il peut arriver, dit très justement Duranton (III, n. 79), que la condition d'enfant naturel simple soit préférable à la qualité d'enfant légitime de tel homme, même décédé. 572. L'action en contestation de légitimité est-elle suscep

(1) Il en est de l'action en contestation de légitimité comme de l'action en contestation d'état (infra, n. 608).

tible de s'éteindre par la prescription? La loi est muette sur ce point. C'est donc aux principes généraux que nous devons nous référer. Or, en matière d'état des personnes, il importe de distinguer deux choses d'une part, l'état envisagé en lui-même et indépendamment de ses conséquences, et d'autre part, les droits pécuniaires qui y sont attachés (supra, n. 408). En tenant compte de cette distinction, nous sommes amenés aux conclusions suivantes :

1o Dans le cas où l'action en contestation de légitimité ne peut être intentée que sur le fondement d'un intérêt pécuniaire né et actuel, cette action doit être envisagée comme l'auxiliaire de cet intérêt pécuniaire, et par suite sa durée se mesurera exactement sur celle de l'intérêt pécuniaire auquel elle se rattache. L'extinction de ce dernier, notamment par la prescription, entraînerait donc par voie de conséquence l'extinction de l'action en contestation de légitimité, qui devra désormais être déclarée irrecevable pour défaut d'intérêt (').

2o Mais, en admettant que la prescription n'ait pas fait disparaître l'intérêt qui sert de base à l'action en contestation de légitimité, celle-ci sera-t-elle susceptible de se prescrire directement? On a prétendu (2) que, dans certains cas tout au moins, notre action peut se prescrire par trente ans, conformément à l'art. 2262 C. civ. Cette opinion nous paraît inadmissible, et la question, dans les termes dans lesquels. nous l'avons posée, doit, à notre avis, être résolue par la négative. La prescription ne peut être opposée aux adversaires de l'enfant, ni lorsqu'ils excipent de l'illégitimité de celuici sur une réclamation d'état formée par lui, ni lorsqu'ils exercent contre lui, en qualité de demandeurs, une action en contestation de légitimité. D'une part, en effet, l'action en `réclamation d'état est imprescriptible à l'égard de l'enfant (art. 328). L'enfant pourrait donc, même après trente ans, exercer une action tendant à faire reconnaître sa filiation. légitime, et alors, bien évidemment, ceux contre lesquels il

() Cpr. Aubry et Rau, VI, § 545 bis, texte et note 51.

(1) Aubry et Rau, VI, § 545 bis, texte et notes 49, 50 et 51.

intenterait l'action seraient reçus à contester sa légitimité; car tant qu'une action peut être exercée, il faut que celui contre qui elle est dirigée puisse contredire la prétention du demandeur. D'autre part, alors même que l'enfant aurait joui, en fait, pendant trente ans, d'une légitimité usurpée par lui, il faudrait reconnaître aux parties intéressées le droit de contester sa légitimité par voie d'action. Décider le contraire serait admettre que l'enfant peut acquérir par la prescription un état qui ne lui appartient pas. Or l'état ne peut pas plus s'acquérir que se perdre par la prescription (').

573. De même que l'exercice de l'action appartient à tous les intéressés, de même l'enfant n'est pas le seul qui puisse y défendre. Tous ceux qui ont intérêt à ce que la légitimité de l'enfant soit reconnue peuvent jouer dans une instance de ce genre le rôle de défendeurs.

574. Les mots réclamer, réclamation, contester la légitimité, qu'on trouve dans les art. 316 et 317 pourraient faire croire au premier abord que ces textes sont applicables à l'action en contestation de légitimité; mais l'art. 318 prouve d'une manière péremptoire qu'ils sont exclusivement écrits en vue de l'action en désaveu. Du reste, les autres règles exceptionnelles qui gouvernent cette dernière action ne sont pas applicables à l'action en contestation de légitimité. Nous venons de constater que, tandis que l'action en désaveu n'appartient qu'à certaines personnes limitativement désignées par la loi et ne peut être dirigée que contre certaines personnes, l'action en contestation de légitimité appartient à tout intéressé activement et passivement. Nos deux actions diffèrent encore aux points de vue suivants :

1° L'action en désaveu doit être intentée dans les délais très brefs déterminés par les art. 316 à 318; tandis que l'action en contestation de légitimité reste soumise au droit commun en ce qui concerne le délai dans lequel elle doit être intentée (2).

( Huc, III, n. 18. Agen, 19 janv. 1864, D., 65. 2. 16. L'arrêt a été rendu sur une action en contestation de légitimité, bien qu'il la qualifie d'action en contestation d'état.

(*) Toullier, I, n. 833; Duvergier sur Toullier, I, n. 834, nole 1; Duranton, III,

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