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voir son application. L'action peut être dirigée contre tous ceux qui ont intérêt à contester les droits de l'enfant (').

580. Il semble au contraire, si nous nous plaçons au point de vue actif, que le législateur ait réservé à certains intéressés seulement le droit d'exercer l'action en réclamation d'état.

581. L'action appartient d'abord à l'enfant (*).

Dans les mains de l'enfant, quels que soient les intérêts qui le déterminent à agir, l'action en réclamation d'état a un caractère essentiellement moral. Elle a en effet pour objet direct la qualité d'enfant légitime. Le demandeur a le droit de revendiquer sa place dans la famille légitime, alors même qu'il n'aurait pas l'intention de se prévaloir des avantages pécuniaires qui y sont attachés. De ce principe et de la règle que l'état des personnes, étant d'ordre public, est au-dessus des conventions privées, résultent les conséquences sui

vantes.

1° L'enfant ne peut valablement ni compromettre, ni transiger sur sa réclamation (').

2° Il ne peut renoncer à son état. Il sera donc admis à le

(1) Proudhon, II, p. 108, 109; Zachariæ, I, § 160, note 7.

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(2) Il n'est pas douteux, bien que la loi soit restée muette sur ce point, que l'homme ou la femme qui se prétend le père ou la mère légitime d'un enfant peut intenter, soit contre celui-ci, soit contre toute autre personne intéressée à contester la prétention du demandeur, une action tendant à établir sa paternité ou sa maternité. Il y a là une sorte d'action en réclamation d'état de filiation (lato sensu). La cour de Bordeaux (arrêt du 26 juin 1860, D., 62. 1. 115, S., 61. 1. 929), et, sur pourvoi, la cour de cassation (arrêt du 22 août 1861, D., 62. 1. 115, S., 61. 1. 929), ont décidé que la preuve de la paternité réclamée doit se faire sous les conditions prescrites par l'art. 323 C. civ. — Cpr. Paris, 12 juil. 1856, D., 57. 2. 4, S., 56. 2. 588, et Cass., 27 janv. 1857, D., 57. 1. 196, S., 57. 1. 777. Rouen, 14 mars 1877, D., 77. 2. 193, S., 80. 1. 241 (Cpr. supra, n. 534 s.). Cette solution paraît logique, car, en définitive, l'action intentée par le prétendu père ou la prétendue mère aboutira à la preuve de la filiation de l'enfant. Y aurait-il lieu cependant d'appliquer à cette action les règles qui gouvernent l'action en réclamation d'état exercée par l'enfant ou par ses héritiers? La question nous paraît très douteuse. Les règles posées par la loi, en ce qui concerne l'exercice de l'action en réclamation d'état, ont été édictées dans le but de protéger les familles légitimes contre les réclamations d'individus sans scrupules. Ces motifs ne peuvent guère s'appliquer dans l'hypothèse que nous avons supposée. Dès lors, les art. 329 et 330 devraient peut-être être écartés. — Cpr. Héan, p. 170 s.; Vigié, I, n. 544.

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(3) Proudhon, II, p. 116; Duranton, III, n. 144; Massé et Vergé sur Zachariæ, I, § 161, note 8; Demante, II, n. 54 bis, II; Planiol, I, n. 1402.

réclamer, alors même qu'il se serait reconnu enfant naturel (').

3o S'il a acquiescé au jugement rendu contre lui, cet acquiescement est frappé de nullité, et ne peut avoir pour effet de le priver des voies de recours que la loi met à sa disposition. Il est vrai qu'il peut acquiescer tacitement à la sentence en laissant s'écouler les délais légaux. Mais alors le jugement tire sa force, non pas directement de la volonté de l'enfant, mais bien de l'expiration des délais (2).

Ce que nous disons de l'état lui-même ne s'applique pas aux conséquences pécuniaires qu'il produit. Ces dernières sont dans le commerce et l'enfant a le droit d'en disposer (3).

Les créanciers de l'enfant peuvent-ils intenter l'action en réclamation d'état du chef de celui-ci? La question ne peut évidemment se poser que s'il s'agit pour eux de faire bénéficier le patrimoine de leur débiteur d'avantages pécuniaires immédiats. Car l'état en lui-même n'est pas susceptible d'être estimé en argent et n'est point par suite compris dans leur gage général (art. 2092). Lorsque les créanciers ont un intérêt pécuniaire à faire constater l'état de l'enfant, la loi leur donne-t-elle le droit d'agir? L'affirmative est généralement admise. L'art. 1166, dit-on, réserve bien au seul débiteur les droits et actions exclusivement attachés à la personne. Mais, par droits exclusivement attachés à la personne il faut entendre ceux qui sont héréditairement intransmissibles. Or l'action en réclamation d'état n'est pas comprise dans cette catégorie, puisqu'elle passe aux héritiers de l'enfant (*). Alors même que l'on devrait se rattacher à un autre critérium pour déterminer les droits qui sont exclusivement attachés à la personne, on devrait, ajoutent certains auteurs, admettre la même solution. Car, si les créanciers demandent à

(1) Valette sur Proudhon, II, p. 117, note a; Massé et Vergé, loc. cit.; Héan, p. 206; Demante, loc. cit.; Arntz, I, n. 564. Montpellier, 20 mars 1838, J. G.,

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vo cit., n. 66, S., 39. 2. 279. Cpr. Richefort, I, n. 161.

(2) Duranton, loc. cit.; Héan, p. 207, 224.

(3) Allemand, II, n. 819; Demolombe, V, n. 279-281; Héan, p. 206; Aubry et Rau, VI, § 544 bis, p. 21; Laurent, III, n. 464; Arntz, loc. cit.; Planiol, loc. cit. (*) Richefort, I, n. 173; Merlin, Quest. de droit, vo Hypothèque, § 4, n. 4; Toullier, VI, n. 372; Valette sur Proudhon, II, p. 122, note a; Héan, p. 217 s.

prouver l'état de leur débiteur, c'est uniquement dans le but de faire bénéficier d'un avantage pécuniaire le patrimoine de celui-ci, qui est leur gage commun; de telle sorte que l'on peut dire que leur action n'est pas en réalité une réclamation d'état. L'état de l'enfant n'est pas l'objet de cette action; la preuve de la filiation en est seulement le moyen (').

Nous pensons au contraire que le droit d'agir doit être refusé aux créanciers de l'enfant. Bien que ceux-ci n'exercent l'action qu'en vue d'un intérêt pécuniaire, la preuve de l'état de l'enfant n'en est pas moins l'objet de leur action. C'est l'état de l'enfant qu'ils réclament. Leur action est bien une action en réclamation d'état, de même que l'action que les héritiers de l'enfant sont, sous certaines conditions, autorisés à intenter après le décès de celui-ci. Or la réclamation d'état nous paraît être un de ces droits qui sont exclusivement attachés à la personne. Cette action, dans les mains de l'enfant, comme l'action en désaveu dans celles du mari, a pour base un intérêt moral bien plus qu'un intérêt pécuniaire. A ce titre, comme on le montrera sous l'art. 1166, elle échappe aux créanciers de l'enfant, qui n'ont pu la considérer comme comprise dans leur gage général. Il est vrai qu'après la mort de l'enfant, elle se transmet aux héritiers de celui-ci. Mais alors elle change de caractère. Tout en ayant le même objet, c'està-dire l'état de l'enfant, elle a désormais pour unique fondement l'intérêt pécuniaire des héritiers. Et il en résulte cette conséquence les créanciers des héritiers peuvent se prévaloir de l'art. 1166 pour l'exercer aux lieu et place de leurs débiteurs (*).

Ainsi, tant que vit l'enfant, l'action en réclamation d'état n'appartient qu'à lui seul. Il l'exercera par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal. Il n'est pas du reste nécessaire, s'il est mineur, de lui faire nommer un tuteur ad hoc. L'art. 318 est spécial au désaveu (3).

(1) Aubry et Rau, VI, §544 bis, p. 20; Laurent, III, n. 470; Arntz, I, n. 567. — Cpr. Amiens, 10 avril 1839, J. G., vo Etat des pers., n. 8.

(2) Duranton, III, n. 160; Massé et Vergé sur Zachariæ, I, § 161, note 8; Demolombe, V, n. 282 s.; Demante, II, n. 55 bis, VII; Vigié, I, n. 543; Baudry-Lacanlinerie et Barde, Tr. des obligations, I, n. 593.

(3) Rouen (motifs), 14 mars 1877, D., 77. 2. 193, S., 80. 1. 241.

582. Après la mort de l'enfant, l'action en réclamation d'état passe à ses héritiers, dont les droits sont réglés par les art. 329 et 330. Sous la dénomination d'héritiers, il faut comprendre ici tous les successeurs universels du réclamant, non seulement, par suite, ses héritiers légitimes ou naturels, mais aussi ses successeurs irréguliers et ses donataires ou légataires universels ou à titre universel ('). L'action n'appartient pas: 1o aux héritiers qui ont renoncé à la succession ou qui en ont été écartés comme indignes (*);

2o aux successeurs à titre particulier. Ainsi les légataires à titre particulier ne peuvent, en cette qualité de légataires, exercer l'action en réclamation d'état du chef du de cujus (3). Mais ils peuvent agir en une autre qualité. Si la succession a été acceptée purement et simplement, ils sont devenus les créanciers personnels des héritiers, et ils ont par suite le droit de se prévaloir de la faculté accordée par l'art. 1166 (*).

3° aux créanciers de la succession, qui ne sont pas devenus les créanciers personnels des héritiers, ce qui arrive au cas d'acceptation bénéficiaire de la succession. Ils ne sont pas héritiers. S'ils ne pouvaient pas agir du vivant de leur débiteur, ils ne le peuvent pas non plus après la mort de celui-ci. La question cependant est très controversée (5).

583. Que faut-il décider en ce qui concerne les descendants de l'enfant qui ne sont pas ses héritiers ou qui ne se gèrent pas comme tels? (6).

(1) Toullier, II, n. 914; Marcadé, sur l'art. 330, n. 2; Proudhon, II, p. 119-121; Duranton, III, n. 158-159; Massé et Vergé sur Zachariæ, I, § 160, note 9; Demolombe, V, n. 297; Demante, II, n. 55 bis, IV et VI; Héan, p. 214; Aubry et Rau, VI, § 544 bis, texte et note 3; Laurent, III, n. 468. Cpr. codes civ. portugais,

art. 112; espagnol, art. 118; néerlandais, art. 325; italien, art. 178.

(*) Marcadé, loc. cit.; Demolombe, V, n. 296.

() Marcadé, loc. cit.; Duranton, III, n. 160; Massé et Vergé sur Zachariæ, loc. cit. Contra: Valette sur Proudhon, II, p. 122, note a; Héan, p. 216. - Cpr. Demolombe, V, n. 302.

() Allemand, II, n. 825, 826; Laurent, III, n. 468.

(5) En ce sens Massé et Vergé sur Zachariæ, I, § 160, note 9. Contra: Richefort, I, n. 173; Toullier, II, n. 914; Valette sur Proudhon, II, p. 122, note a; Demante, II, n. 55 bis, VII; Héan, p. 217. — Cpr. Demolombe, V, n. 302; BaudryLacantinerie et Barde, loc. cit.

() La question présente de l'intérêt à divers points de vue qu'il importe de mettre immédiatement en lumière. Si l'on admet que la loi n'accorde l'action en

Il est évident qu'il ne peut s'agir pour eux d'exercer l'action en réclamation d'état du chef de l'enfant. Car ils ne sont pas ses héritiers, ou ne prennent pas cette qualité. Mais ontils le droit d'agir de leur propre chef, dans la vue de faire constater l'état de l'enfant afin de réclamer la place qui leur appartient personnellement dans la famille ? Seront-il admis à faire valoir des droits moraux ou même pécuniaires, qui sont la conséquence de leur propre état, que la loi leur a accordés à raison de leur naissance dans la famille, et que leur ascendant ne leur a pas transmis? Peuvent-ils, par exemple, prétendre venir à une succession ouverte après le décès de l'enfant, soit de leur chef, soit par représentation de cet enfant ? La négative est généralement admise ('). Cette solu

réclamation d'état qu'à l'enfant et à ses héritiers, et que cette action n'appartient aux descendants de l'enfant qu'en tant qu'ils agissent comme héritiers de celui-ci, on est logiquement conduit aux conséquences suivantes : 1o Les descendants de l'enfant ne peuvent pas agir de leur propre chef pour réclamer leur propre état; ce qu'ils peuvent réclamer, c'est l'état de l'enfant lui-même; 2o Donc ils ne peuvent agir du vivant de celui-ci; 3o Après le décès de l'enfant, l'action ne leur appartient que s'ils ont accepté sa succession, au moins bénéficiairement; 4° Elle ne leur est transmise que sous les conditions établies par les art. 329 et 330; ces textes, au contraire, ne leur seraient pas applicables s'ils pouvaient, de leur chef, exercer l'action en réclamation d'état (v. cependant les arrêts cités, infra, p. 521, note 1: 5o Leur action a un caractère exclusivement pécuniaire, car ils ne l'exercent qu'en qualité d'héritiers, et les héritiers ne succèdent qu'aux droits pécuniaires de leur auteur; ils ne peuvent donc agir sur le fondement d'un simple intérêt moral (Cpr. Vigié, I, n. 546); 6o Il faut aller plus loin et dire qu'ils ne peuvent réclamer que des droits pécuniaires ayant appartenu à l'enfant, car l'héritier n'a pas plus de droits que son auteur. Ainsi les descendants de l'enfant ne pourraient pas réclamer, par représentation de celui-ci, une succession ouverte avant son décès. Cette conséquence logique du système est cependant repoussée par certains auteurs (V. Demante, II, n. 55 bis, V; Vigié, loc. cit.); 7o La chose jugée avec l'enfant a autorité à leur égard; 8° Les conventions et renonciations faites par l'enfant relativement à son état leur sont opposables, puisqu'ils ne peuvent exercer que les droits pécuniaires de leur auteur, droits qui ont pu faire l'objet de conventions valables; 9° Entre leurs mains, l'action en réclamation d'état est prescriptible; l'art. 328 ne leur est pas applicable; 100 Enfin ils peuvent valablement renoncer à cette action. On doit donner les solutions directement opposées, si l'on admet au contraire que les descendants ne sont pas visés par les art. 329 et 330 et qu'ils peuvent exercer de leur propre chef l'action en réclamation d'état (Cpr. infra, n. 588). (1) Toullier, II, n. 910 et 914; Proudhon, II, p. 119; Duranton, III, n. 151; Allemand, II, n. 820; Massé et Vergé sur Zachariæ, I, § 160, notes 9 et 17; Demolombe, V, n. 304, 305; Demante, II, n. 55 bis, VI; Héan, p. 221 s.; Aubry et Rau, VI, § 544 bis, texte et notes 10 et 14; Laurent, III, n. 468; Vigié, I, n. 547; Planiol, I, n. 1407.

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