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non sur sa filiation elle-même. Ajoutons que l'on peut tirer en notre sens un puissant argument de l'art. 198. Ce texte dispose que, lorsque la preuve de la célébration du mariage est acquise par le résultat d'une procédure criminelle, l'inscription du jugement sur les registres de l'état civil assure au mariage, à compter du jour de sa célébration, tous les effets civils, tant à l'égard des époux qu'à l'égard des enfants issus de ce mariage. C'est donc que la loi reconnaît la compétence des tribunaux criminels en matière de preuve mariage, alors même que des enfants seraient issus du mariage (1).

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599. Ne faut-il pas aller plus loin et permettre aux juridictions de répression de connaître, dans certains cas et sous certaines conditions tout au moins, des questions d'état de filiation soulevées incidemment devant elles? On l'admet généralement dans les deux hypothèses suivantes :

1o Lorsque la question de filiation n'a pas de rapport direct avec la question principale soumise au tribunal répressif, mais qu'il est néanmoins nécessaire de la trancher pour arriver à la solution de cette question principale. Il en est ainsi par exemple dans le cas où un témoin est reproché à raison de sa parenté avec l'accusé;

2o Lorsque la filiation est un élément même du crime ou du délit. Par exemple, il s'agit d'une accusation de parricide, et l'accusé prétend qu'il n'est pas l'enfant de la victime.

Dans ces diverses hypothèses, on enseigne que les règles suivantes doivent être appliquées.

1o Le tribunal répressif est compétent pour trancher la question de filiation. Il n'est pas besoin qu'il sursoie à statuer sur la question principale (2);.

(1) Allemand, loc. cit.; Mangin, op. cit., I, n. 192; Bonnier, op. et loc. cit.; Demolombe, V, n. 276 bis; Laurent, loc. cit.

(*) Dans ces deux cas, en effet, il n'y a ni suppression d'état, ni réclamation d'élat, et l'art. 327 n'est pas applicable. Dès lors, la règle que le juge du principal est juge de l'incident reprend son empire. Dalloz, J. G., vo cit., n. 375 et 376: Mangin, op. cit., I, n. 190, 193; Massé et Vergé sur Zachariæ, I, § 160, note 23: Bertauld, Quest. et except. préj., n. 85 s.; Demolombe, V, n. 276 ter; Bonnier, Des preuves, I, n. 232; Vigié, I, n. 548; Planiol, I, n. 1405. D., 79. 1. 316 et la note, S., 79. 1. 334.

Cass., 6 mars 1879.

2o Mais la décision rendue à cet égard par la juridiction criminelle n'a pas l'autorité de la chose jugée. La question d'état est considérée comme résolue seulement d'une manière provisoire et pour les besoins de la cause (1);

3o Enfin, certains auteurs admettent qu'en ce qui concerne la preuve, les tribunaux criminels ne sont pas astreints à l'observation des règles posées par la loi civile. La filiation peut être établie par un mode quelconque (2).

C'est la force même des choses qui a imposé ces solutions. Le fonctionnement de la justice répressive aurait été autrement rendu impossible. Il suffirait, par exemple, de contester l'état d'un témoin pour faire suspendre le procès. Et le procès ne pourrait pas reprendre son cours, si ce témoin se refusait à faire juger la question d'état par les tribunaux civils. Il faut donc, pour que l'exercice de l'action publique ne soit pas indéfiniment entravé, que le tribunal répressif puisse examiner lui-même la question soulevée incidemment devant lui.

Les mêmes motifs conduisent à reconnaître la compétence des tribunaux criminels, lorsque la filiation constitue un des éléments de l'inculpation. Le tribunal saisi d'un crime ou d'un délit doit pouvoir en apprécier tous les éléments. — En réalité, dit-on, la juridiction de répression est alors appelée à résoudre une simple question de fait. Elle ne se prononce pas à proprement parler sur une question d'état, puisqu'elle se borne à envisager l'état dans ses relations avec la question principale. Les art. 326 et 327 ne sont donc pas applicables, car ils supposent qu'une véritable réclamation d'état a été intentée. Pour ces raisons, il faut décider que la sentence rendue par la justice criminelle n'a pas l'autorité de la chose jugée sur la question d'état.

600. Quelle est la sanction de l'art. 327? Que faut-il décider si la poursuite criminelle a été exercée avant le jugement définitif de la question d'état? En ce qui concerne le crime de suppression d'état, la cour d'appel de Paris a décidé, con

() Mangin, op. cit., I, n. 190 in fine; Bonnier, op. et loc. cit.; Demolombe, loc. cit. Cpr. Bertauld, op. cit., n. 115.

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formément au système général de la jurisprudence, que la chambre des mises en accusation doit annuler les poursuites et ordonner la mise en liberté immédiate de l'accusé ('). I faudrait décider aussi, si l'on admet l'interprétation donnée généralement de l'art. 327, que, si les poursuites n'ont pas été annulées par la chambre des mises en accusation, la cour d'assises doit ordonner la mise en liberté (2).

No 5. De l'autorité de la chose jugée sur l'action en réclamation

d'état.

601. Un point est certain. Nous l'avons, du reste, déjà mis en lumière. Ce qui est jugé sur l'état fait autorité sur les conséquences pécuniaires de l'état. S'il en était autrement, la question d'état pourrait être soulevée indéfiniment entre les mêmes parties à l'occasion des intérêts multiples dont l'état est la source (3).

602. Il est non moins certain que la chose jugée sur l'état a autorité à l'égard non seulement des parties en cause, mais encore de leurs héritiers ou ayant-cause à titre universel (').

603. Mais le jugement peut-il être invoqué par ceux qui n'ont pas été parties au procès et qui n'y ont pas été représentés; et ceux-ci peuvent-ils se le voir opposer? Cette question est l'objet de très graves controverses. Les uns font appel, en cette matière, à la doctrine du légitime contradicteur (5). L'on admet généralement aujourd'hui que le jugement n'est revêtu que d'une autorité relative, par application de la règle de l'art. 1351, laquelle, dit-on, gouverne les questions d'état comme les questions qui concernent les droits patri

moniaux.

(1) Paris, 10 janv. 1851, D., 51. 2. 27, S., 52. 2. 265.

(2) Cour d'assises de la Haute-Garonne, 12 mai 1823, J. G., vo Paternité, n. 369. - Contra: Mangin, op. cit., I, n. 189. - Cpr. cour d'assises du Maine-et-Loire, 27 nov. 1829, J. G., vo cit., n. 378.

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(3) Laurent, III, n. 487. Cass., 15 juin 1818, J. G., vo cit., n. 390. - Paris, 1er juill. 1861, D., 61. 2. 148, S., 62. 2. 271.

(*) Laurent, III, n. 490; Griolet, De l'autorité de la chose jugée, p. 144. — Cpr. Cass., 9 mai 1821, J. G., vo Chose jugée, n. 273, S., 21. 1. 249. Montpellier, 24 janv. 1822, J. G., vo cit., n. 273, S., 23. 2. 54.

(*) Duranton, III, n. 161; Proudhon, II, p. 109, 110; Bonnier, op. cit., II, n. 889.

- Cpr. Rodière, Solidarité et indivisibilité, n. 401; Héan, p. 178 s.

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C'est cette dernière solution que nous admettons, mais en nous appuyant sur des motifs différents. Le jugement rendu à la suite d'une action en réclamation d'état ne produit pas d'effets contre les tiers, parce qu'il n'existe aucun principe général de droit, et aucune règle particulière à notre matière, qui commande d'attribuer à la sentence une autorité dépassant les relations des parties en cause. Sans doute, l'action n'appartient qu'à certaines personnes seulement; mais nous avons admis qu'il ne suffit pas, pour que la sentence ait effet erga omnes, que l'exercice actif de l'action soit concentré entre les mains de certaines personnes. Du moment que l'action peut être intentée contre toute personne intéressée, cela suffit, en principe, pour que le jugement qui termine les débats soit investi d'une autorité relative. Il n'y a pas de raison pour déroger à cette règle en matière de réclamation d'état. Il se pourra, dès lors, que la question d'état soit résolue en des sens divers; mais ces différentes sentences seront exécutées en même temps, chacune dans les rapports des parties au procès. Car les conséquences de l'état, sur lesquelles elles exerceront leur influence, sont parfaitement divisibles. Il n'y a d'exception à faire qu'en ce qui concerne le nom de famille, auquel nous consacrerons une étude particulière.

Tels sont les principes auxquels nous nous rattacherons. Pour en faire l'application, nous distinguerons trois hypothèses que nous envisagerons successivement.

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604. PREMIÈRE HYPOTHÈSE. L'enfant a réclamé son état à la fois contre ses deux prétendus auteurs.

Il est évident que les deux époux pourront opposer le jugement à l'enfant et que celui-ci pourra l'invoquer contre eux, pour le règlement des intérêts de tout ordre qui se rattachent à la filiation.

La question d'état ne pourra pas non plus être soulevée à nouveau, à propos du partage de la succession des époux, entre l'enfant ou ses représentants et les personnes qui réclament cette succession. Les héritiers ont en effet les mêmes droits que leurs auteurs.

Mais l'état de l'enfant peut-il faire l'objet d'une nouvelle

contestation de la part de tiers, parents ou autres, qui ne se présentent pas comme héritiers des époux?

La question peut se poser d'abord à l'égard des enfants, légitimes, naturels ou adoptifs, de ceux contre lesquels la réclamation d'état aété intentée. Nous supposons bien entendu que les enfants ne prennent pas la qualité d'héritiers des parties; qu'ils invoquent non des droits qu'ils ont trouvés dans la succession des époux, mais des droits qui leur appartiennent en propre, en raison de leur état, et qu'ils tiennent directement de la loi; par exemple il s'agit de partager la succession laissée par un frère du père ou de la mère. Par application des principes exposés plus haut, nous déciderons que les enfants ne pourront se voir opposer le jugement, s'il a admis la réclamation, et qu'ils ne pourront s'en prévaloir, s'il a donné tort au réclamant. De nouveaux débats pourront donc avoir lieu sur la question de filiation (').

Il n'y a du reste pas à distinguer entre les enfants déjà nés lors du premier procès et ceux dont la naissance est survenue postérieurement. Sans doute on n'a pu appeler ces derniers en cause; mais il n'y a pas dans cette circonstance une raison suffisante pour les priver du droit que la loi leur reconnait de contester l'état du réclamant (2). Cette solution est cependant rejetée par certains auteurs (3), adversaires d'ailleurs du système du légitime contradicteur : ils déclarent le jugement opposable aux enfants qui n'étaient pas encore nés au moment où il a été rendu. Mais ils font là, nous l'avons déjà noté (supra, n. 420), aux partisans de la doctrine traditionnelle, une concession dangereuse que rien ne peut justifier.

Il n'y a pas lieu non plus de distinguer suivant les générations. Les descendants des époux, au deuxième degré ou à un degré subséquent, s'ils agissent de leur chef et non en qualité d'héritiers des époux, sont, à l'égard du jugement,

(1) Laurent, III, n. 490. Cpr. Cass., 9 mai 1821, J. G., vo Chose jugée, n. 273, S., 21. 1. 249. — Montpellier, 24 janv. 1822, J. G., ibid., S., 23. 2. 53. (2) Valette sur Proudhon, II, p. 112, 113; Demolombe, V, n. 321; Laurent, loc.

cit.

-

(3) Merlin, Rép., v° Quest. d'état, § 3, art. 2, n. 3; Aubry et Rau, VI, § 544 bis,

texte et note 32.

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