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APPENDICE

DE L'AUTORITÉ DE LA CHOSE JUGÉE EN MATIÈRE DE NOMS

DE FAMILLE

609. Les enfants légitimes prennent le nom de leur père ('). L'attribution du nom de famille, signe de la parenté, est un des effets de la filiation. D'ailleurs, le nom de famille, comme l'état lui-même, est conféré directement à l'enfant par la loi. Ce n'est pas un droit qui fasse partie du patrimoine et se transmette héréditairement. Il en résulte cette conséquence, que nous notons immédiatement le père ne représente pas ses enfants dans les contestations qui ont directement ou indirectement pour objet le nom de famille. Dès lors, la sentence rendue sur le nom de famille n'est pas nécessairement opposable aux enfants de celui au profit duquel ou contre lequel elle a été prononcée, alors même que ceux-ci auraient accepté la succession de leur père.

On dit très généralement que les principes ordinaires doivent être écartés lorsqu'il s'agit de déterminer l'autorité du jugement rendu en matière de noms de famille. Le nom est indivisible. Il faut donc nécessairement reconnaître au jugement une autorité absolue et lui faire produire ses effets même à l'égard des membres de la famille qui n'ont pas été parties au procès, sauf le droit pour ceux-ci d'attaquer le jugement, lorsqu'il est obtenu par dol ou par fraude (2). Cette solution nous parait ne devoir être admise que sous certaines réserves. Il est en effet essentiel de définir ce que l'on entend par l'indivisibilité du nom de famille.

Rien ne s'oppose à ce que plusieurs personnes entre lesquelles existent des liens de famille soient désignées sous des noms différents. Par exemple, il se peut très bien que je sois autorisé à porter tel ou tel nom, tandis qu'il est fait à

(Il en est de même des enfants naturels dont la filiation paternelle est légalement établie. Quant à ceux dont le père est inconnu, ils prennent le nom de leur mère, si celle-ci les a reconnus. Les règles que nous allons indiquer relativement aux enfants légitimes doivent être appliquées aux enfants naturels.

(*) Demolombe, V, n. 310; Rodière, De la solid. et de l'indiv., n. 405.

PERS.

IV.

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mon frère légitime, issu du même père que moi, défense de s'en servir. L'indivisibilité du nom de famille ne met donc pas obstacle à ce que l'on reconnaisse au jugement une autorité simplement relative au regard des membres de la famille à laquelle appartient la partie. Ainsi mon frère pourra continuer à porter le nom qu'il m'a été interdit de prendre et, à l'inverse, il ne pourra pas se prévaloir de la sentence qui m'a reconnu le droit de prendre tel ou tel nom. Celui qui a plaidé contre moi sans succès pourra tenter, sur la même question, les chances d'un nouveau procès avec lui, et inversement mon frère devra agir de nouveau contre mon adversaire ou toute autre partie intéressée, s'il veut être autorisé à porter le même nom que moi. Dans l'un et l'autre cas, le jugement antérieur, rendu contre moi ou en ma faveur, ne pourra être invoqué dans la nouvelle instance. Ce que nous disons du frère (ou de tout autre parent) de la personne qui a été partie au jugement doit également s'appliquer aux enfants de celle-ci; car ils n'ont pas été représentés par elle. Il n'y a pas à distinguer entre ceux qui étaient déjà nés ou conçus au moment où la sentence est intervenue et ceux qui sont nés postérieurement.

Le nom de famille est indivisible, en ce sens qu'il est absolument impossible qu'une même personne ait à l'égard de quelques-uns le droit de porter un certain nom et qu'en même temps d'autres personnes aient la faculté de lui interdire de le prendre. Il faut, de toute nécessité, reconnaître au jugement où j'ai été partie une autorité absolue, dans mes relations avec toutes les personnes intéressées, sous peine de destituer ce jugement de toute efficacité. Il n'y a pas de milieu. La question est donc simplement de savoir sous quelles conditions la sentence qui a pour objet le nom de famille produit ses effets erga omnes. Si ces conditions ne sont pas remplies, il faut dire que le jugement ne produit aucun effet. La loi ne nous fournit pas à cet égard d'indications précises. Il faut donc en revenir aux principes généraux du droit. Pour résoudre la question, deux hypothèses, à notre avis, doivent être distinguées.

610. PREMIÈRE HYPOTHÈSE. La question du nom de famille

se pose accessoirement à une question principale ayant pour objet l'état de la personne.

A. Si, d'après les principes posés précédemment, le jugement qui a statué sur la question d'état doit être considéré comme investi d'une autorité absolue, nul doute que ce jugement ne fasse également autorité erga omnes sur le nom de famille. Ainsi la sentence qui admet ou rejette l'action en désaveu intentée par le mari ou tous ses héritiers interdit à l'enfant de prendre le nom du mari de sa mère ou lui en reconnaît définitivement le droit. L'enfant exclu de la famille par le désaveu ne peut plus prétendre à porter ce nom et, à l'inverse, si l'action en désaveu n'a pas abouti, les parents du mari ne peuvent plus lui contester le nom de celui-ci.

B. Si la décision judiciaire qui a l'état pour objet direct et principal ne jouit, quant à l'état, que d'une autorité simplement relative, la question se complique, à raison de l'indivisibilité du nom de famille. Peut-être conviendrait-il de faire la distinction suivante:

a. Le réclamant est, par hypothèse, rejeté de la famille à l'égard de certains parents. Il ne pourra jamais prendre le nom de cette famille, alors même qu'une sentence rendue postérieurement avec d'autres aurait admis sa réclamation. Car porter le nom de la famille, c'est se dire membre de cette famille. Or c'est là une prétention qui, dans l'espèce, n'est pas complètement justifiée (1).

b. Supposons au contraire que l'action en réclamation d'état ait abouti à l'égard de certains parents. Nous savons que le jugement n'est pas opposable aux autres membres de la famille, en ce qui concerne les conséquences divisibles de l'état. Mais il en est autrement en ce qui touche le nom. Le réclamant pourra le porter tant que la sentence n'aura pas été réformée. Les personnes qui n'ont pas été parties au procès pourront attaquer le jugement. Mais il ne leur suffira pas d'invoquer l'exception rei judicatæ inter alios. Il faudra qu'ils recourent à la tierce opposition, conformément à l'art. 474 P. c. Cette voie de recours est alors obligatoire pour eux.

(1) Cpr. Duranton, XIII, n. 527; Héan, p. 112.

S'ils réussissent à faire tomber le jugement, nous revenons à l'hypothèse précédente.

Le nom de famille a fait

611. DEUXIÈME HYPOTHÈSE. l'objet principal et direct du procès. Le tribunal n'a pas eu à statuer sur l'état de la personne. Il a simplement décidé, étant donné l'état de cette personne, qui n'est pas contesté, qu'elle pouvait porter tel nom ou qu'elle n'en avait pas le droit. Quelle est alors l'autorité du jugement (')? Deux solutions sont seules possibles : Ou la décision judiciaire produit ses effets envers et contre tous, ou bien elle n'en produit pas du tout; il n'y a pas de milieu. De ces deux solutions, c'est la première que nous croyons préférable. Il faut bien faire respecter la chose jugée; or on ne peut atteindre ce but qu'en lui attribuant une autorité absolue. Le jugement qui reconnaît à une personne le droit de porter le nom qui appartient à une famille, ou qui lui fait défense de s'en servir, peut donc être opposé à tous les membres de cette famille et ils peuvent s'en prévaloir. Le seul droit qui puisse être concédé aux tiers, c'est celui d'attaquer la sentence, lorsqu'elle aura été obtenue par le dol ou par la fraude. La tierce opposition

(1) C'est une question très discutée, et dans l'examen de laquelle nous n'avons pas l'intention d'entrer ici, que celle de savoir quels sont les caractères juridiques du nom de famille. D'après l'opinion dominante, le nom, étant la marque distinctive de la famille, est étroitement lié à l'état des personnes, et fait l'objet, comme l'état lui-même, d'un droit analogue au droit de propriété. Il peut donc être défendu par des actions qui, par leur nature et leur but, se rapprochent de celles qui sanctionnent le droit de propriété. Les membres d'une famille peuvent donc, en se fondant sur un simple intérêt moral, intenter contre un tiers une action tendant à lui faire interdire par la justice de porter à l'avenir le nom qui appartient à leur famille et auquel ils prétendent que ce tiers n'a aucun droit. Cette manière de voir est très vivement critiquée. Le nom, a-t-on dit, n'est pas un objet de propriété. C'est une « institution de police civile »; c'est « la forme obligatoire de la désignation des personnes ». Il constitue, pour ceux qui le portent, moins un droit qu'une obligation (Planiol, I, n. 380 et s.). Dès lors, le fait qu'une personne porte le même nom que moi ne suffit pas pour m'autoriser à agir contre cette personne; il est nécessaire que je justifie que ce fait a été pour moi la source d'un dommage.

Quoi qu'il en soit de cette controverse, il est certain que les tribunaux judiciaires sont compétents pour statuer sur les contestations relatives au nom de famille. Toutes personnes légalement intéressées peuvent prendre part aux débats tant en demandant qu'en défendant. Le nom est en effet le signe distinctif de tous ceux qui font partie de la même famille; ils y ont tous un droit égal qu'ils tiennent directement de la loi à raison de leur état.

qui leur est ouverte dans ce but joue alors un rôle analogue à celui de l'action paulienne. Si le jugement est réformé, il sera anéanti au regard de tous.

Les solutions que nous avons admises, sont, croyons-nous, conformes aux principes généraux, mais il faut bien reconnaitre qu'elles ne sont pas sans présenter de très sérieux inconvénients pratiques. On peut regretter que la matière n'ait pas attiré l'attention du législateur et que celui-ci n'ait pas établi de règles spéciales pour obvier à ces inconvénients. Par exemple, il aurait pu prescrire des mesures de publicité et exiger de mettre en cause, dans la mesure du possible, toutes les personnes actuellement intéressées à la question. De la sorte, l'autorité absolue attribuée au jugement sur le nom de famille ne pourrait guère être critiquée ni au point de vue pratique, ni au point de vue de l'équité (1).

(') Les solutions que nous avons proposées devront être appliquées aux titres de noblesse et aux armoiries. La question est cependant des plus délicates.

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