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DEUXIÈME PARTIE

DE LA FILIATION NATURELLE

612. La filiation naturelle est l'œuvre de la nature seule. Les enfants naturels sont ceux qui n'ont pas été conçus ou tout au moins ne sont pas nés en mariage. Leur filiation, comme celle des enfants légitimes, est dite paternelle ou maternelle, suivant qu'on l'envisage à l'égard de l'un ou de l'autre de leurs auteurs. Mais il existe entre les enfants légitimes et les enfants naturels une différence notable. Tandis que, ainsi que nous l'avons vu, la preuve de la maternité légitime entraîne nécessairement celle de la paternité légitime, la paternité et la maternité naturelles sont au contraire entièrement indépendantes l'une de l'autre au point de vue de leur preuve. La maternité illégitime peut être établie alors que la paternité demeure ignorée, et inversement. La différence que nous venons de signaler tient à la nature mème des choses. De la maternité d'une femme mariée, la loi devait conclure à la paternité du mari de celle-ci. En matière de filiation naturelle, la présomption de paternité se comprend moins aisément.

La filiation naturelle n'est pas soumise aux mêmes principes que la filiation légitime. Très favorable à la seconde, dont elle facilite la preuve, la loi ne traite pas avec la même faveur la filiation illégitime. Les modes par lesquels se prouve la filiation légitime ne sont pas tous applicables à la filiation naturelle.

Tout d'abord, nous l'avons vu, l'acte de naissance de l'enfant légitime lui sert à prouver sa filiation maternelle. Nous en avons dit la raison. Il en est autrement en matière de filiation naturelle. C'est que la mère naturelle est portée à déguiser sa honte. Lorsque l'enfant n'est pas inscrit sur les registres de l'état civil comme né de parents inconnus, il est

à craindre qu'il n'ait été déclaré sous un nom supposé. Aussi la loi n'attache-t-elle aucune force probante aux indications de l'acte de naissance, en ce qui concerne la filiation. Cet acte prouve seulement le fait de la naissance; il ne peut être invoqué pour établir la filiation maternelle (infra, n. 708).

Pour des raisons de même ordre, la loi n'admet pas la possession d'état parmi les modes de preuve de la maternité naturelle. Elle a considéré, à tort ou à raison, que de la possession d'état d'enfant naturel ne découle pas une présomption assez forte que l'enfant a véritablement l'état qu'il possède. Ce point est cependant contesté, et l'on a soutenu que la possession d'état prouve la filiation naturelle aussi bien que la filiation légitime (infra, n. 706).

Le seul mode de preuve commun à la maternité légitime et à la maternité naturelle est donc la preuve testimoniale. Mais les enfants naturels ne peuvent y recourir que dans le cas seulement où la filiation qu'il s'agit de constater n'est ni une filiation adultérine, ni une filiation incestueuse. D'ailleurs la crainte de la subornation des témoins et le désir d'empêcher les fraudes dont la famille légitime pourrait être victime ont conduit le législateur à n'admettre cette preuve que sous certaines conditions. L'art. 341 exige, pour l'admissibilité de la preuve testimoniale, que la prétention de l'enfant soit rendue vraisemblable par un commencement de preuve par écrit.

Quant à la paternité, la loi en prohibe en principe la preuve par témoins. C'est ce que l'art. 340 exprime en ces termes : « La recherche de la paternité est interdite ». La différence que le législateur a ainsi établie entre la maternité et la paternité naturelles tient à la force même des choses. La mère est certaine, tandis que le père ne l'est pas. On peut prouver le fait de l'accouchement; celui de la conception échappe à nos investigations. La recherche de la paternité ne peut aboutir qu'à des résultats incertains; elle sera le plus souvent scandaleuse. C'est pourquoi le législateur l'a prohibée.

Cette prohibition cesse cependant dans certaines hypothèses où les chances d'erreur sont moindres (art. 340). La recherche de la paternité est alors permise. Peut-être les

rédacteurs du code sont-ils entrés trop timidement dans cette voie. Ils auraient dù, à notre avis, comme d'autres législateurs l'ont fait, admettre plus largement la recherche de la paternité.

Lorsque, à la suite d'une action en justice, l'enfant a fait, par témoins, la preuve de la paternité ou de la maternité naturelle, on dit que sa filiation est établie par une reconnaissance forcée.

A côté de ce mode de preuve, il en existe un autre, spécial, celui-là, à la filiation naturelle: c'est la reconnaissance volontaire.

La reconnaissance volontaire consiste en un aveu de maternité ou de paternité naturelle. En admettant ce mode de preuve de la filiation naturelle, la loi s'est écartée des principes qu'elle suit d'ordinaire en ce qui concerne la filiation. D'une part, en permettant à une personne d'établir, par une simple déclaration, sa paternité ou sa maternité, elle a dérogé à cette règle que la volonté n'a pas d'effets sur l'état des citoyens. D'autre part, en attribuant une valeur juridique à la reconnaissance de la paternité, elle n'a pas tenu compte de cet autre principe, que l'aveu est inopérant, quand il a pour objet un fait que l'auteur de cet aveu ne peut pas connaître. La paternité est un fait nécessairement ignoré. Comment peut-elle être reconnue? Le législateur n'a pas été arrêté par ces considérations. Il a voulu permettre à ceux qui sont ou se croient les auteurs d'un enfant de donner satisfaction à leur conscience et de réparer leur faute. D'ailleurs, il a pris des mesures destinées à défendre la famille légitime contre des reconnaissances mensongères et aussi à protéger les auteurs eux-mêmes de la reconnaissance contre les entraînements irréfléchis de la passion. Il a ordonné que la reconnaissance fût faite en la forme authentique, et il a permis à tout intéressé d'en contester la sincérité (art. 334 et 339).

Tels sont les deux seuls modes par lesquels la filiation naturelle est susceptible d'être établie. Il y a une certaine catégorie d'enfants naturels, dont l'état ne peut pas être légalement constaté, du moins d'une manière directe. Ce sont les enfants adultérins et les enfants incestueux. Pour eux, notre loi n'ad

met ni reconnaissance volontaire, ni reconnaissance forcée. A leur égard, elle s'est montrée d'une sévérité extrême. Elle a considéré que la reconnaissance n'en devait pas être admise, parce qu'elle constituerait l'aveu d'un crime; et que, d'autre part, on ne pourrait, sans soulever de très graves scandales, appeler les tribunaux à constater une pareille filiation. Peut-être est-il permis de penser qu'elle a dépassé la mesure. D'ailleurs ce que la loi prohibe, c'est la constatation directe d'une maternité ou d'une paternité adultérine ou incestueuse. Mais il y a des cas où la preuve peut en être faite d'une manière indirecte. La loi suppose elle-même que cela est possible, puisque, dans l'art. 762, elle accorde aux enfants adultérins ou incestueux des droits, extrêmement réduits, il est vrai, sur la succession de leurs auteurs, et que, dans l'art. 908, elle les frappe d'incapacité relativement aux donations entrevifs ou testamentaires qui leur sont faites par leur père ou leur mère.

La situation juridique des enfants naturels est inférieure, nous le savons, à celle des enfants légitimes. Mais les père et mère peuvent les légitimer par leur mariage. La légitimation peut se produire dans deux hypothèses distinctes. Si le père et la mère se marient après la conception, mais avant la naissance de l'enfant, la loi elle-même, nous l'avons vu, confère à cet enfant, par une fiction, le bénéfice de la légitimité (art. 314). Si le mariage n'a lieu qu'après la naissance de l'enfant, il faut, pour que celui-ci soit légitimé, qu'il ait été l'objet

d'une reconnaissance antérieure ou tout au moins concomitante à la célébration du mariage (art. 331). Du reste, dans l'un et l'autre cas, la légitimation ne peut avoir lieu au profit des enfants nés d'un commerce incestueux ou adultérin (art. 331). Cpr. supra, n. 519 s.

613. Il est question des enfants naturels dans le chapitre III du titre De la paternité et de la filiation. Ce chapitre est divisé en deux sections. Dans la première, le code s'occupe de la légitimation des enfants naturels. La section II est consacrée aux modes de preuves de la filiation naturelle (reconnaissance volontaire ou forcée). L'ordre naturel des idées semblait conduire à parler d'abord de la reconnaissance des enfants

naturels et ensuite de leur légitimation, car la reconnaissance est un préliminaire obligé de la légitimation. Le législateur a suivi un ordre inverse: il traite d'abord de la légitimation, sans doute parce que, venant de s'occuper des enfants légitimes, il tenait à parler immédiatement des enfants naturels qui leur sont assimilés par le bénéfice de la légitimation.

Pour des raisons de méthode, nous ne suivrons pas le plan qu'ont adopté les rédacteurs du code civil; nous répartirons entre les quatre chapitres, dont suit l'intitulé, les explications que nous fournirons pour l'interprétation des textes compris dans le chapitre III, titre VII, livre I. Dans un appendice, placé à la suite du chapitre II, nous rechercherons si les modes de preuve de la filiation légitime ne peuvent pas, dans certains cas, être appliqués à la filiation naturelle. De la reconnaissance volontaire des enfants

Chap. I. naturels. Chap. II. Chap. III. Chap. IV.

De la reconnaissance forcée.

Des effets généraux de la filiation naturelle.
De la légitimation des enfants naturels.

CHAPITRE PREMIER

DE LA RECONNAISSANCE VOLONTAIRE DES ENFANTS

NATURELS

614. La reconnaissance volontaire est une déclaration de paternité ou de maternité, faite par le père ou par la mère d'un enfant naturel dans les formes prescrites par la loi. L'acte authentique (art. 334) qui constate cette reconnaissance forme le titre de l'enfant naturel. Il constitue le mode de preuve régulier et normal de la filiation naturelle, de même que l'acte de naissance constitue le mode de preuve régulier et normal de la filiation légitime (art. 319). Au point de vue de la preuve de la filiation, l'acte de reconnaissance est donc pour l'enfant naturel ce qu'est l'acte de naissance pour l'enfant légitime. Il se peut d'ailleurs que l'enfant soit reconnu par un seul de ses deux auteurs, auquel cas c'est sa filiation à l'égard de celui-ci seulement qui est légalement constatée,

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