Page images
PDF
EPUB

sairement inscrite sur les registres de l'état civil, qui sont publics. On pouvait craindre qu'un grand nombre de reconnaissances ne fussent ainsi entravées. C'est pourquoi le législateur a admis, parallèlement à la compétence de l'officier de l'état civil, celle du notaire. La reconnaissance faite devant notaire pourra être tenue dans l'ombre jusqu'au moment où il conviendra de la faire apparaître. En effet, les minutes des notaires ne sont pas à la disposition du public : il n'en est dû communication qu'aux parties intéressées (loi du 25 ventôse an XI, art. 23). Ces considérations prouvent que la reconnaissance faite devant notaire ne doit pas nécessairement être transcrite sur les registres de l'état civil, ni même mentionnée en marge de l'acte de naissance. L'art. 62 ne contredit pas cette solution. D'abord sa place, dans le titre Des actes de l'état civil, semble bien indiquer qu'il n'est applicable qu'aux reconnaissances faites devant l'officier de l'état civil. Son texte d'ailleurs confirme cette induction : l'acte de reconnaissance, dit la loi, doit être inscrit sur les registres; or, pour un acte notarié de reconnaissance, il ne pourrait être question que d'une transcription ou copie et non d'une inscription sur les registres. Enfin l'article ajoute que l'acte doit être inscrit à sa date, ce qui serait souvent impossible pour un acte notarié de reconnaissance (').

619. Sur la compétence des notaires et des officiers de l'état civil, l'accord est unanime. Mais on se divise lorsqu'il s'agit de savoir si la reconnaissance peut être faite devant d'autres officiers publics.

Certains auteurs enseignent la négative. L'art. 334, disentils, emploie les mots « acte authentique » dans le sens d'acte notarié. Les seuls officiers publics auxquels les rédacteurs du code civil aient songé, ce sont les notaires, qui, d'après la loi du 25 ventôse an XI, sont qualifiés d'une manière générale pour conférer l'authenticité aux actes. Il faut interpréter

(1) Duvergier sur Toullier, I, n. 955, note a; Zachariæ, I, § 167, note 20; Demante, II, n. 62 bis, III; Demolombe, V, n. 397; Aubry et Rau, VI, § 568 bis, note 8; Laurent, IV, n. 53; Arntz, I, n. 594; Baret, op. et loc. cit.; Massonié, op. cit., p. 64; Planiol, I, n. 1470. Contra Richefort, II, n. 238; Toullier, II, n. 955; Marcadé, II, art. 334, I.

le texte dans ce sens restrictif, car, si l'on prend les mots «< acte authentique » dans leur acception la plus large, il faudrait déclarer tous les officiers publics compétents sans aucune distinction. En effet, les actes dressés par un officier public quelconque, dans l'exercice de ses fonctions, ont tous le caractère de l'authenticité. On verrait alors des reconnaissances reçues par des officiers publics qui, à raison de leurs fonctions, paraissent les moins qualifiés pour cela, tels que des agents des douanes ou des agents des forêts (1).

Cette solution est généralement repoussée en doctrine et en jurisprudence. On interprète plus largement la disposition de l'art. 334, avec raison, il nous semble. Rien ne prouve, en effet, que les rédacteurs du code aient songé exclusivement aux notaires. Ils se sont servis, dans l'art. 334, d'une expression très compréhensive: acte authentique. Or, pour savoir ce qu'est un acte authentique, il faut se reporter à la définition qui en est donnée par l'art. 1317. De cette définition il résulte que la loi sera satisfaite, alors même que la reconnaissance serait constatée par un officier public autre qu'un notaire, pourvu que cet officier public n'ait pas excédé les bornes de ses pouvoirs, et qu'il ait qualité pour enregistrer la déclaration qui a été faite devant lui.

620. Ainsi l'on admet que la reconnaissance d'enfant naturel peut accidentellement être reçue et constatée par un tribunal, lorsque, dans le cours d'une instance pendante devant lui, l'une des parties a reconnu un enfant naturel et qu'il a été demandé acte de cette reconnaissance au tribunal. L'autorité judiciaire a en effet le pouvoir de constater authentiquement les aveux qui se produisent devant elle, relativement aux questions qui lui sont soumises. Il résulte de ce' que nous venons de dire qu'il faut que la reconnaissance se rattache au débat, sinon le tribunal ne pourrait la recevoir. On peut citer comme exemple la reconnaissance intervenue. pendant le cours d'une instance en dommages et intérêts intentée par une fille séduite contre son séducteur. La reconnaissance peut encore être reçue par un juge commissaire,

(') Laurent, IV, n. 46. — Cpr. Ducaurroy, Bonnier et Roustain, I, n. 483.

PERS. IV.

-

37

dans un procès-verbal d'enquête, ou par un magistrat instructeur, pendant une information criminelle. Un arrêt de la cour de cassation du 13 juillet 1886, S., 87. 1. 65, D., 87. 1. 119, a fait l'application de ce principe dans l'espèce suivante : une jeune fille abandonnée par son séducteur avait tenté de le tuer; celui-ci, entendu comme témoin, déclara qu'il avait eu avec l'accusée des relations à la suite desquelles elle était devenue enceinte. Cette déclaration, constatée dans le procèsverbal d'enquête, qui est un acte authentique, équivaut, dit la cour de cassation, à une reconnaissance au profit de l'enfant à naître. Le fait que cette reconnaissance a été provoquée par les questions du magistrat instructeur et a eu lieu après la prestation de serment n'implique pas qu'elle ait été le résultat d'une violence morale (').

Contre cette solution, on fait observer (2) que les juges ont été établis pour trancher des différends, non pour recevoir des actes de l'état civil. Ils ont la juridiction contentieuse; la juridiction gracieuse ne leur appartient qu'à titre exceptionnel. Ils ne peuvent certainement pas recevoir un contrat de mariage, ni un acte de donation. Ils doivent être de même incompétents en ce qui concerne les reconnaissances d'enfant naturel. On dit bien qu'ils peuvent recevoir des aveux et les constater authentiquement. Cela est vrai; mais cette considération n'est pas décisive, car elle repose sur une confusion entre la force probante des actes instrumentaires et la solennité requise pour l'existence de certains actes juridiques. L'aveu judiciaire fait pleine foi contre celui qui l'a fait (art. 1356); mais ce n'est pas l'aveu solennel dont parle l'art. 334. Une reconnaissance de donation, même constatée authentiquement, ne constitue pas une donation. Il lui manque la solennité exigée par l'art. 931; solennité que peut seul donner le con

(1) Merlin, Rép., v° Filiation, n. 6; Richefort, II, n. 250; Loiseau, p. 459-461; Valette sur Proudhon, II, p. 149; Zachariæ, I, § 167, texte et note 27; Demante, II, n. 62 bis, II; Demolombe, V, n. 398 s.; Héan, p. 267; Aubry et Rau, VI, § 568 bis, p. 165, 168; Baret, op. cit., p. 76; Massonié, op. cit., p. 66 s.; Arntz, I, n. 594; Huc, III, n. 74; Vigié, I, n. 558; Planiol, I, n. 1472. Cpr. cep. Angers, 17 juil. 1828, S., 28. 2. 351. Colmar, 24 mars 1813, J. G., vo Paternité, n. 545, S., 14. 2. 2. Cpr. Ducaurroy, Bonnier et Roustain, loc. cit.

() Laurent, IV, n. 47 s.

cours d'un notaire. De même, le tribunal peut bien constater authentiquement l'aveu de paternité ou de maternité qui a été fait devant lui; mais ce qu'il constate ainsi, c'est un aveu inexistant, un aveu sans valeur juridique, attendu que la solennité prescrite par l'art. 334 fait défaut, cette solennité ne pouvant consister que dans le concours d'un notaire ou d'un officier de l'état civil.

Cette objection ne doit pas nous arrêter. La loi n'exige pas, comme elle le fait pour les donations dans l'art. 931, que la reconnaissance soit reçue par un notaire. Elle veut simplement qu'elle soit faite dans un acte authentique. Donc la solennité nécessaire pour l'existence de la reconnaissance consiste dans l'authenticité de l'acte qui la constate. Et l'acte est authentique dès lors qu'il satisfait aux conditions de l'art. 1317.

621. En vertu du même principe, il faut également décider que la reconnaissance d'enfant naturel peut être reçue et constatée par le juge de paix, siégeant comme magistrat conciliateur, dans le procès-verbal qu'il dresse pour constater les dires et déclarations des parties et les conventions intervenues entre elles ('). En sens contraire (2), on dit que, d'après l'art. 54 C. pr. civ., les conventions insérées en ce procès-verbal ont simplement force d'obligation privée; et que, d'autre part, la reconnaissance faite devant le juge de paix, siégeant au bureau de conciliation, ne peut produire aucun effet, la tentative de conciliation ayant pour but d'amener une transaction, et l'état ne pouvant faire l'objet d'une transaction. Mais la disposition de l'art. 54 C. pr. civ. n'a pas la portée qu'on lui prête; elle signifie seulement que le procès-verbal dressé par le magistrat conciliateur ne peut emporter ni hypothèque, ni exécution parée. Ce procès

(1) Merlin, op. et loc. cit.; Loiseau, p. 458; Duranton, III, n. 221; Valette sur Proudhon, II, p. 149; Marcadé, art. 334, n. 1; Zachariæ, I, § 167, p. 325; Demante, II, n. 62 bis, I; Demolombe, V, n. 399; Aubry et Rau, VI, § 568 bis, texte et note 12; Baret, op. cit., p. 76; Massonié, op. cit., p. 66; Arntz, I, n. 594; Huc, III, n. 74; Vigié, I, n. 558; Planiol, loc. cit. Grenoble, 15 thermidor an XIII, J. G., vo cit., n. 529, S., 7. 2. 932. Cass., 6 janv. 1808, S., 8. 1. 86. Colmar, 25 janv. 1859, D., 59. 2. 61, S., 59. 2. 279.

(*) Ducaurroy, Bonnier el Roustain, loc. cit.

[ocr errors]

verbal n'en est pas moins un acte authentique. D'autre part, il ne s'agit pas d'une transaction ayant pour objet l'état de l'enfant. Le procès-verbal constate un aveu, ce qui est tout différent.

622. Certains auteurs (') décident que le juge de paix, assisté de son greffier, peut recevoir une reconnaissance d'enfant naturel, même en dehors de ses fonctions de juge ou de magistrat conciliateur. Ils le considèrent donc comme ayant la même compétence qu'un notaire. A l'appui de cette solution, ils invoquent les paroles prononcées par Tronchet au conseil d'Etat (2). Ils font remarquer en outre que, du moment que le juge de paix reçoit les actes d'adoption, il serait étrange qu'il n'eût pas qualité pour recevoir les reconnaissances d'enfant naturel, qui ont la même nature. - Nous ne croyons pas qu'il faille aller aussi loin. En dehors de l'hypothèse que nous venons d'examiner et de celle où il est appelé, comme juge, à statuer sur une contestation, en dehors peut-être aussi de celle où il préside un conseil de famille (3), le juge de paix ne peut, à notre avis, recevoir une reconnaissance d'enfant naturel et en dresser acte. Car il n'a qualité pour constater authentiquement les déclarations faites par les particuliers, que lorsqu'il exerce les fonctions qui lui sont conférées par la loi, et que ces déclarations se rapportent à l'objet de ses attributions (').

623. Conformément à cette règle, nous devrons déclarer incompétents tous autres fonctionnaires ou officiers publics, à quelque ordre qu'ils appartiennent, tels que les huissiers, les greffiers, les commissaires de police, les agents et fonctionnaires de l'ordre administratif (5). Cette solution a

(') Loiseau, p. 458; Richefort, II, n. 244; Duranton, III, n. 212. (*) Séance du 29 fructidor an X (Locré, VI, p. 165).

(3) Cpr. sur ce point Demolombe, V, n. 400; Héan, p. 268; Aubry et Rau, VI, § 568 bis, p. 167; Baret, op. et loc. cit.; Massonié, op. et loc. cit.; Vigiė, loc. cit.; Planiol, loc. cit. Douai, 22 juillet 1856, S., 57. 2. 33.

() Massé et Vergé sur Zachariæ, I, § 167, note 26; Demolombe, V, n. 400; Héan, loc. cit.; Aubry et Rau, VI, § 568 bis, texte et note 14; Arntz, loc. cit. (*) Demolombe, V, n. 401 s.; Héan, p. 262, 276; Aubry et Rau, VI, § 568 bis, 'texte et notes 2 et 3; Baret, op. cit., p. 76; Arntz, loc. cit.; Massonié, op. cit., p. 71; Huc, III, n. 74; Planiol, I, n. 1471. Dijon, 24 mai 1817, J. G., vo cit., n. 532, S., 17. 2. 278. Paris, 22 avril 1833, J. G., vo Actes de l'état civil, n. 28,

-

« PreviousContinue »