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La question était discutée autrefois. On était cependant d'accord pour la résoudre dans le sens que nous avons indiqué, lorsqu'il s'agissait de reconnaître un enfant devant l'officier de l'état civil (arg. art. 36). Mais on avait prétendu qu'il suffisait d'une procuration par acte sous seing privé, ou même d'un mandat purement verbal, dans le cas où la reconnaissance devait être faite en la forme notariée ('). La controverse est éteinte depuis la loi du 21 juin 1843, dont l'art. 2 semble bien exiger que la procuration soit donnée par un acte authentique. (L. 25 ventôse an XI, art. 9, modifié par la loi du 12 août 1902.) Cette solution se conçoit d'ailleurs parfaitement la reconnaissance d'enfant naturel, même reçue par devant notaires, est un acte de l'état civil, et dès lors l'art. 36 doit être appliqué. Et d'autre part, les garanties que la loi a voulu établir pour assurer la liberté et la sincérité de la reconnaissance n'existeraient pas, si la volonté du mandant, c'est-à-dire de l'auteur de l'enfant, pouvait être exprimée dans une procuration donnée autrement qu'en la forme authentique (2).

La procuration peut d'ailleurs être délivrée en brevet, et il n'est pas nécessaire qu'il en soit gardé minute par le notaire qui l'a rédigée (arg. art. 20 L. 25 ventôse an XI) (3).

La procuration donnée à l'effet de reconnaitre un enfant naturel est essentiellement révocable, comme le mandat ordinaire (art. 2003 et 2004) (*). Suivant les règles du droit commun, la révocation peut intervenir tant que le mandat n'a pas

(1) Duranton, III, n. 222. Paris, 10 mai 1851 (motifs), D., 53. 2. 114. — Contra Richefort, II, n. 253; Zachariæ, I, § 167, texte et note 24. - Riom, 26 fév. 1817, J. G., vo cit., n. 551, S., 18. 2. 25.

(2) Massé et Vergé sur Zachariæ, loc. cit.; Demolombe, V, n. 407; Héan, p. 253; Deinante, II, n. 62 bis, VIII; Aubry et Rau, VI, § 568 bis, texte el note 17; Laurent, IV, n. 51; Arntz, I, n. 588; Baret, op. et loc. cit.; Massonié, op. cit., p. 82 s.; Vigié, loc. cit.; Planiol, I, n. 2222. Aix, 30 mai 1866; Cass., 12 fév. 1868; Grenoble, 24 juin 1869, supra.

(3) Massé et Vergé sur Zachariæ, loc. cit.; Héan, p. 254; Aubry et Rau, VI, § 568 bis, note 17; Demolombe, V, n. 408; Laurent, IV, n. 51; Baret, op. cit., p. 67, note 1; Trouiller, Rev. prat., 1860, IX, p. 352. Paris, 1er fév. 1812, J. G., vo cit., n. 520, S., 12. 2. 161. · Contra Girerd, Rev. prat., 1860, IX, p. 133. (4) Héan, p. 255; Laurent, IV, n. 51; Planiol, I, n. 1479. Contra: Massonié, op. cit., p. 89.

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été exécuté. Pour qu'il y ait exécution du mandat, il faut que l'acte de reconnaissance ait été dressé par l'officier public compétent. Les pouvoirs du mandataire peuvent donc être révoqués, s'il a simplement déposé sa procuration entre les mains de l'officier de l'état civil ('), ou même s'il a requis celui-ci d'inscrire l'acte sur les registres (2). Le mandat sera également sans effet, si le mandant est décédé avant que le mandataire n'ait accompli sa mission.

SECTION II

AU PROFIT DE QUELS ENFANTS ET A QUEL MOMENT LA RECONNAISSANCE PEUT AVOIR LIEU

§ 1. Quels enfants peuvent être reconnus.

628. La reconnaissance ne peut avoir lieu qu'au profit des enfants naturels simples. « Cette reconnaissance ne pourra » avoir lieu au profit des enfants nés d'un commerce incestueux » ou adultérin », dit l'art. 335. Dans un intérêt de moralité publique, on n'a pas voulu que la paternité ou la maternité adultérine ou incestueuse pût être révélée (3). La reconnaissance des enfants adultérins ou incestueux étant prohibée, il en résulte que l'officier public qui serait requis de constater une semblable reconnaissance devrait refuser de la recevoir; ministre de la loi, son premier devoir est de ne pas prêter la main à sa violation. La pratique offre cependant d'assez nombreux exemples de reconnaissances d'enfants adultérins ou incestueux. C'est que, le plus souvent, les auteurs de la reconnaissance ne révèlent pas à l'officier public dont ils empruntent le ministère le vice d'adultère ou d'inceste dont la filiation de l'enfant est entachée. Ainsi un homme marié qui veut reconnaitre son enfant adultérin évitera soigneusement de faire savoir à l'officier public qu'il était marié lors de la concep

() Bourges, 6 juin 1860, D., 61. 2. 9, S., 61. 2. 81.

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(*) Les motifs de l'arrêt de Bourges, précité, semblent en sens contraire. (V. les motifs du jugement du tribunal, approuvés par la cour). . Cpr. Laurent, loc. cit. (3) Cpr. codes portugais, art. 122; espagnol, art. 119, 129, 139 s.; italien, art. 180; néerlandais, art. 338.

tion de l'enfant, et l'officier public, qui, on le suppose, ne connaît pas personnellement le déclarant, dressera acte de la reconnaissance. Ou bien encore, si les auteurs d'un enfant incestueux veulent reconnaître leur enfant dans un seul et même acte, ils se garderont bien d'indiquer à l'officier public le lien de parenté qui les unit; de sorte que l'officier public, qui ignore ce lien de parenté, dressera de bonne foi acte d'une reconnaissance illégale.

L'interprétation de l'art. 335 soulève d'assez graves difficultés. Pour les résoudre, nous examinerons successivement les deux questions suivantes : 1° dans quels cas peut-on dire que la reconnaissance s'applique à un enfant adultérin ou incestueux? 2° quels effets produit la reconnaissance d'un enfant adultérin ou incestueux ?

No 1. Dans quels cas la reconnaissance s'applique-t-elle à un enfant incestueux ou adultérin ?

629. D'après l'art. 335, l'enfant incestueux ou adultérin est celui qui est né d'un commerce incestueux ou adultérin. C'est donc, nous l'avons déjà vu, au moment de la conception de l'enfant qu'il faut se reporter pour déterminer sa qualité. Mais comment pourra-t-on savoir à quelle époque se place cette conception? Peut-on recourir, en cette matière, aux présomptions écrites dans les art. 312 à 315 ?

Les présomptions légales sont, a-t-on dit, de droit essentiellement étroit. Or les dispositions des art. 312 et suiv. ont été édictées exclusivement en faveur des enfants légitimes et dans la vue de faciliter la preuve de la filiation légitime. Ces textes, devant être interprétés restrictivement, ne peuvent être étendus à la filiation naturelle. C'est donc aux juges qu'il appartiendra de décider, d'après les faits de la cause, à quel moment se place la conception de l'enfant. La loi leur laisse, sur ce point, un libre pouvoir d'appréciation. Ainsi supposons qu'un homme, devenu veuf, reconnaisse l'enfant qu'une femme libre a mis au monde le 180 jour depuis la dissolution du mariage. Si l'on suit la présomption qui résulte de l'art. 314, il faut dire que l'enfant a pu être conçu après la rupture du lien conjugal et que, dès lors, il doit être

considéré comme enfant naturel simple. Si, au contraire, on écarte ici la présomption de la loi, il sera permis à tout intéressé de prétendre que la conception a eu lieu pendant le mariage et que, par suite, l'enfant est adultérin; seulement il faudra en fournir la preuve (1).

Les arguments que nous venons de développer ont évidemment une très grande force. Nous croyons cependant qu'il faut appliquer à notre matière les présomptions relatives à l'époque probable de la conception, que la loi a établies pour la filiation légitime. Sans doute, les textes qui édictent des présomptions légales doivent être interprétés restrictivement. Mais, à notre avis, la loi, en fixant l'époque à laquelle l'enfant doit être réputé conçu, n'a pas songé exclusivement aux enfants légitimes. Ceux-ci ont fait, il est vrai, l'objet principal de ses préoccupations; mais il résulte de l'esprit de la loi et de l'ensemble de ses dispositions que la filiation naturelle est soumise à ce point de vue aux mêmes règles générales. Nous avons déjà énoncé cette proposition au début de notre étude (2). Le moment est venu de la justifier.

Il nous paraît certain, tout d'abord, que la conception de l'enfant doit se placer nécessairement dans la période qui s'étend du 180° au 300 jour avant sa naissance. Les textes le prouvent. Prenons en effet les art. 312 et 313. Un enfant est désavoué parce qu'il y a eu impossibilité morale ou physique de cohabitation entre sa mère et le mari de celle-ci pendant toute la période dans laquelle il est réputé conçu, d'après la présomption de la loi. Quel sera l'état de cet enfant? La loi en fait un enfant adultérin, et elle lui interdit de chercher à prouver qu'il a été conçu à une autre époque, dans le but de revendiquer soit la qualité d'enfant légitime, soit même celle d'enfant naturel simple. Nous devons en dire autant des cas prévus par les art. 314 et 315. Un enfant nait avant le 180° jour du mariage. Il est désavoué (art. 314). On ne dira pas simplement que la légitimité de cet enfant n'a pas été établie; il faudra dire que cet enfant est un enfant

(1) Laurent, IV, n. 4 et 136. — Dijon, 29 août 1818, J. G., vo Paternité, n. 719, S., 19. 2. 153. Cpr. Cass., 11 nov. 1819, J. G., ibid., S., 20. 1. 222. (*) Supra, n. 403.

naturel. Ou bien encore, un enfant naît 300 jours après la dissolution du mariage de sa mère; sur une action en contestation de légitimité, il sera exclu de la famille légitime et devra être considéré comme un enfant naturel (art. 315).

Voilà donc un point certain. L'on ne peut soutenir que l'enfant a été conçu plus tôt que le 300°, ni plus tard que le 180° jour qui précède celui de sa naissance. Si donc, pendant toute cette période, l'un des auteurs de l'enfant n'était pas libre, l'enfant sera nécessairement un enfant adultérin.

Cela étant, supposons maintenant que, suivant que l'on place la conception à tel ou tel moment de la période légale, l'enfant puisse être, soit un enfant naturel simple, soit un enfant adultérin ou incestueux. Par exemple, l'homme qui l'a reconnu s'est trouvé marié, pendant les cent premiers jours de cette période et libre pendant les vingt et un derniers. Que faudra-t-il décider? Faudra-t-il, comme on le propose, permettre aux juges de déterminer en fait le moment de la conception? Cela nous paraît tout à fait contraire aux intentions du législateur. Celui-ci, par le soin qu'il a apporté à régler les modes de preuve de la filiation, et à proscrire ceux dont les résultats lui ont paru incertains, a montré qu'il voulait, dans la plus large mesure possible, soustraire l'état des personnes à l'appréciation arbitraire des juges. D'autre part, nous l'avons remarqué, il a établi une gradation, entre les divers ordres de filiation, préférant la filiation légitime à la filiation naturelle simple, et celle-ci à la filiation adultérine ou incestueuse dont il va jusqu'à interdire la preuve. Dès lors, ne doit-on pas décider que, dans le cas où, à raison de l'époque à laquelle se place la conception de l'enfant, d'après la présomption légale, il est possible de lui assigner soit l'état d'enfant naturel simple, soit celui d'enfant incestueux ou adultérin, la présomption légale doit être interprétée dans le sens le plus favorable à l'enfant, ou si on l'aime mieux, dans le sens des préférences manifestées par le législateur (')?

630. Tel est le principe auquel il faut se rattacher pour déterminer l'époque à laquelle l'enfant doit être réputé conçu.

(') Duranton, III, n. 194; Massonié, op. cit., p. 194, 195; Vigié, I, n. 592.

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