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Si, à ce moment, un des auteurs de l'enfant est engagé dans les liens d'un mariage non dissous, ou si tous deux sont mariés, la conception est entachée d'adultère; et si, à cette époque, il existait entre les deux auteurs de l'enfant un lien d'alliance au degré prohibé, la filiation est incestueuse.

Peu importe du reste que les père et mère de l'enfant aient été de bonne foi, au moment où les relations se sont établies entre eux et où l'enfant a été conçu. L'enfant sera néanmoins considéré comme incestueux, si les père et mère ignoraient le lien de parenté ou d'alliance qui les unissait; et comme adultérin, alors que l'auteur libre n'aurait pas su que l'autre fût marié (1). Ces solutions devraient être maintenues dans le cas même où l'erreur commise par les père et mère, en ce qui touche l'existence d'un empêchement de mariage pour les causes ci-dessus indiquées, aurait été pour ainsi dire provoquée par un acte de l'autorité publique. Ainsi une femme, après que le décès de son mari a été faussement constaté, entretient des relations avec un homme, et il lui naît un enfant. Bien que, à raison de la bonne foi de la femme, elle ne puisse, telle est du moins l'opinion générale, être condamnée pour adultère, l'enfant sera cependant adultérin (2). Nous irons même plus loin. Une femme mariée a été enlevée par violence; elle devient mère, et l'enfant qu'elle met au monde est désavoué par son mari. La filiation de cet enfant est une filiation adultérine. On ne peut pas considérer l'enfant comme étant légitime à l'égard de sa mère, car, si cela était vrai, il faudrait également décider que la filiation paternelle est une filiation légitime. Or il n'en est rien (arg. art. 340), et même, dans l'hypothèse que nous envisageons, cette filiation paternelle ne peut pas être l'objet d'une constatation légale (3) (infra, n. 690).

631. La loi, dans l'art. 335, proscrit la reconnaissance des enfants nés d'un commerce incestueux ou adultérin. Pour

() Valette sur Proudhon, II, p. 158; Massé et Vergé sur Zachariæ, I, § 172, note 1; Ducaurroy, Bonnier et Roustain, I, n. 485; Demolombe, V, n. 349; Massonié, op. cit., p. 193.

, Demolombe, V, n. 350; Baret, op. cit., p. 117. (3) Demolombe, V, n. 560.

que la reconnaissance soit nulle, il faut bien évidemment qu'il soit certain qu'elle s'applique à un enfant incestueux ou adultérin. Mais quand cette condition sera-t-elle remplie? C'est ce que nous allons rechercher successivement pour les enfants adultérins et pour les enfants incestueux.

632. I. Dans quels cas est-il légalement constant que la reconnaissance s'applique à un enfant adultérin?

A. Si l'enfant a été reconnu, dans le même acte ou dans deux actes distincts, peu importe, par un homme et par une femme qui, lors de la conception, se trouvaient mariés chacun de son côté, il n'y a pas de doute. Les deux reconnaissances révèlent une double filiation adultérine; elles tombent toutes deux sous le coup de l'art. 335.

B. L'enfant est reconnu par un seul de ses auteurs, et celuici, par hypothèse, se trouvait libre au moment de la conception, alors que l'autre était marié. La reconnaissance est valable en principe. Car, bien que l'enfant ait en réalité une origine adultérine, cette origine est ignorée, ou du moins elle n'est pas légalement connue. L'enfant sera en fait traité comme un enfant naturel simple.

Il est des cas, rares d'ailleurs, où la filiation adultérine de l'enfant sera légalement établie à l'égard d'un de ses auteurs. Dans de semblables hypothèses, l'autre auteur ne pourra pas le reconnaître valablement. Ainsi un enfant conçu en mariage est désavoué par le mari de sa mère, pour cause d'impossibilité physique ou morale de cohabitation. Cet enfant ne pourra pas être reconnu par celui qui se croit son père, car il est constant qu'il a une origine adultérine.

Il en sera de même si l'auteur libre qui a fait la reconnaissance désigne, dans l'acte, comme étant l'autre auteur de l'enfant, un homme ou une femme qui était marié à l'époque de la conception. La reconnaissance est alors sans valeur. Sans doute celui qui l'a faite ne devait pas indiquer comme étant l'autre auteur de l'enfant une personne qui était mariée lors de la conception. Une pareille déclaration n'aurait pas dû être reçue. Mais, ayant été à tort insérée dans l'acte de reconnaissance, elle donne à cet acte un caractère particulier. C'est

un des éléments de l'aveu qui a été fait par l'auteur de la reconnaissance. Celui-ci a voulu avouer une paternité ou une maternité adultérine. Or l'aveu est indivisible. Cette solu

tion est généralement admise, pour le cas où un homme non marié, en reconnaissant un enfant naturel, lui assigne comme mère une femme mariée ('). Elle est contestée, au contraire, lorsqu'il s'agit d'une reconnaissance faite par une femme libre de tout lien, avec attribution de la paternité de l'enfant à un homme marié. On a dit que l'indication du père est entièrement sans valeur et que dès lors elle ne peut avoir pour effet de vicier la reconnaissance faite par la mère, et pour justifier la distinction que l'on établit ainsi entre les deux hypothèses, on fait observer que, dans la première, l'indication de la mère, étant indispensable pour individualiser l'enfant, ne peut être séparée de l'aveu de la paternité, tandis que, dans la seconde, la désignation du père est absolument inutile et que dès lors il ne faut en tenir aucun compte. On ajoute qu'en désignant la mère dans l'acte de reconnaissance, le père a usé d'un droit, lequel lui est conféré par l'art. 336 (2). Cette distinction est généralement repoussée (3). Dans les deux cas il y a en effet les mêmes motifs de décider. La reconnaissance de la mère doit être tenue pour nulle, comme la reconnaissance du père. Par suite, l'une et l'autre pourront être renouvelées, et l'on n'en pourra tirer aucun argument contre l'enfant qui voudrait ensuite rechercher son état (').

1) Aubry et Rau, VI, § 572, texte et note 4; Demante, II, n. 63 bis, II et IV; Demolombe, V, n. 575; Héan, p. 348; Laurent, IV, n. 143; Baret, op. cit., p. 120; Planiol, I, n. 1484. Bordeaux (motifs), 17 nov. 1859, D., 60. 2. 48, S., 60. 2. 5.

– Cass. (molifs), 1er mai 1861, D., 61. 1. 241, S., 61. 1. 486. Limoges (motifs`, 19 mars 1862, D., 62. 2. 72, S., 62. 2. 255. Adde Bastia, 18 août 1845, D., 45. 2. 135 (dans l'espèce, la mère avait confirmé par son aveu l'indication donnée par le père). Contra: Massonié, op. cit., p. 204 à 206. Bourges (motifs), 12 juillet 1859, D., 59. 2. 209, S., 60. 2. 1.

(2) Aubry et Rau, VI, § 572, texte et note 6; Note dans D., 83. 1. 319; Massonié, op. cit., p. 207. Cpr. les motifs de Bastia, 18 août 1845, et de Bourges, 12 juill. 1859, supra.

(3) Demolombe, V, n. 575; Demante, loc. cit.; Planiol, loc. cit. 1883, D., 83. 1. 319, S., 84. 1. 73 et la note.

(*) Demolombe, V, n. 575 et 576.

Cass., 29 janv.

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C. Supposons enfin que l'enfant soit reconnu par ses deux auteurs, dont un seul était libre à l'époque de sa conception. Deux hypothèses doivent être examinées: 1° les deux reconnaissances sont faites par un seul et même acte; 2° le père et la mère de l'enfant le reconnaissent par deux actes distincts.

a. Si l'enfant est reconnu dans deux actes séparés, chacune des deux reconnaissances doit être envisagée isolément. La reconnaissance qui émane de l'auteur non marié est valable, pourvu, conformément à ce qui a été dit ci-dessus, que le nom de l'autre ne soit pas indiqué. La reconnaissance faite par celui qui n'était pas libre au moment de la conception est nulle et ne peut avoir pour effet de vicier la première (').

b. Dans la première hypothèse, il faut adopter la solution opposée les deux reconnaissances sont nulles. Elles marquent, en effet, par leur réunion dans le même acte, l'intention d'avouer une paternité et une maternité adultérines. La doctrine (2) en général et la jurisprudence (3) sont en ce sens.

633. II. Dans quels cas est-il légalement constant que l'enfant reconnu est un enfant incestueux? - L'enfant est-il reconnu par son père seulement ou par sa mère seulement, la reconnaissance est valable, car rien ne révèle l'origine incestueuse de l'enfant.

La reconnaissance devrait cependant être tenue pour nulle, si l'auteur de la reconnaissance indiquait, comme étant le père ou la mère de l'enfant, une autre personne à laquelle il

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(1) Duranton, III, n. 206; Zachariæ, I, § 172, texte et note 23; Héan, p. 342: Demolombe, V, n. 577; Aubry el Rau, VI, § 572, p. 218; Demante, II, n. 63 bis. III; Arntz, I, n. 621; Planiol, I, n. 1484. Contra: Laurent, IV, n. 146. D'après cel auteur, en effet, la reconnaissance qui émane de l'auteur marié vaul tout au moins comme aveu de paternité ou de maternité adultérine et vicie par conséquent la reconnaissance faite par l'autre. Dans le même sens, Massonié, op. cit., p. 197.

(2) Demolombe, V, n. 574; Aubry et Rau, VI, § 572, texte et note 7; Baret, op. cit., p. 121; Massonié, op. cit., p. 201 ; Laurent, IV, n. 145 ; Arntz, loc. cit. ; Planiol, loc. cit. Contra: Duranton, III, n. 202, 206 cbn.; Taulier, I, p. 415. (3) Paris, 7 avril 1825, J. G., v Paternité, n. 718. Cass., 1er août 1827, J. G., loc. cit., S., 28. 1. 49. Bourges, 4 janv. 1839, J. G., ibid., S., 39. 2. 289. Chambéry, 8 nov. 1876, D., 78. 1. 262. - Cass., 25 juin 1877, D., 78. 1. 262, S., 78. 1. 117. Trib. Arcis-sur-Aube, 23 fév. 1893, D., 93. 2. 564. - Cass., 17 juil. 1900, D., 01. 1. 558, S., 01. 1. 345.

-

est lui-même rattaché par un lien de parenté ou d'alliance produisant un empêchement de mariage (1).

Il faudrait aussi décider que l'enfant n'est pas valablement reconnu, si ses père et mère ont avoué leur paternité et leur maternité dans un seul et même acte. Cette solution se fonde sur les mêmes motifs qui nous ont servi à justifier celle que nous avons donnée au sujet de l'enfant né d'un commerce adultérin. Ces motifs ont ici plus de force encore, car on ne voit pas laquelle des deux reconnaissances pourrait être préférée à l'autre (2).

La question devient singulièrement délicate, si nous supposons que l'enfant a été reconnu par ses père et mère dans deux actes distincts. Considéré isolément, aucun des deux actes ne révèle, par hypothèse, l'origine incestueuse de l'enfant, et chacun d'eux semble dès lors valable. Mais, de leur concours, il résulte nécessairement que l'enfant est incestueux. Donc on ne peut valider les deux reconnaissances. Faut-il les annuler toutes les deux? Faut-il n'en maintenir qu'une, et laquelle ? Les systèmes les plus variés ont été proposés pour résoudre cette difficulté.

A. Un de ceux qui ont été présentés nous paraît, de prime abord, devoir être écarté, parce que ceux qui l'ont soutenu n'ont pas, à notre avis, posé la question sur son véritable terrain et que, par suite, la solution qu'ils préconisent ne répond pas au problème. C'est, a-t-on dit, la reconnaissance émanée. de la mère qui, en principe, doit être maintenue (3). L'aveu de la maternité a en effet un caractère de certitude qui manque à l'aveu de la paternité. La femme qui reconnaît sa mater

(') Demante, II, n. 63 bis, IV; Héan, p. 348; Laurent, IV, n. 148; Baret, op. cit., p. 120. Bordeaux, 17 nov. 1859, D., 60. 2. 48, S., 60. 2. 1. Cass., 1er mai 1861, D., 61. 1. 241, S., 61. 1. 486. Limoges, 19 mars 1862, D., 62. 2. 72, S., 62. 2. 255. — Contra: Massonié, op. cit., p. 204-206. Bourges, 12 juil. 1859, D., 59. 2. 209, S., 60. 2. 1. Cpr. Aubry et Rau, VI, § 572, texte et notes

4 et 6.

(2) Demolombe, V, n. 579; Héan, p. 347; Aubry et Rau, VI, § 572, p. 218, d; Demante, II, n. 63 bis, IV; Laurent, IV, n. 149; Baret, op. cit., p. 121; Massonié, op. cit., p. 201, 202; Arntz, loc. cit. Cpr. Duranton, III, n. 202. Cet auteur décide que l'enfant peut toujours combattre la reconnaissance de paternité, comme incompatible avec celle de la mère.

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(3) Duranton, III, n. 196 à 2 1 ; Dalloz, J. G., vo cit., n. 722.

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