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nité avoue un fait dont elle peut avoir une connaissance positive; il n'en est pas de même de l'homme, qui ne peut jamais être sûr de sa paternité. Et du moment qu'il est impossible de maintenir les deux reconnaissances, c'est, en principe, celle du prétendu père qu'il faudra annuler de préférence. Ce principe n'a d'ailleurs rien d'absolu. L'on peut démontrer que la reconnaissance faite par la femme est mensongère, qu'elle a été inspirée par une pensée de fraude ou par la haine que cette femme porte au père de l'enfant, et cette reconnaissance étant écartée, rien ne révélera l'origine incestueuse de l'enfant, qui aura pu dès lors être l'objet d'une reconnaissance valable de la part de son père.

A ce système une première objection peut être faite. Il se fonde sur cette présomption que l'aveu de maternité est sincère et que l'aveu de paternité est suspect. Pour établir une pareille présomption, il faudrait un texte. Or ce texte fait défaut. Bien plus, la loi repousse cette présomption. Elle tient pour également sincères et exactes la reconnaissance du père et celle de la mère. Il ne suffit pas en effet, pour faire tomber la preuve de la filiation qui en résulte, d'alléguer que la reconnaissance de paternité a été déterminée par l'erreur ou par la fraude. Il faut le prouver, aussi bien que lorsqu'il s'agit de la reconnaissance émanée de la mère (arg. art. 339).

Demolombe (') a bien saisi la portée de cette critique. Aussi, tout en arrivant au même résultat pratique que les auteurs précédents, a-t-il proposé de corriger leur doctrine de la manière suivante : Aucune des deux reconnaissances ne doit être présumée inexacte. Seulement le juge sera tenu de faire un choix entre elles; il devra annuler celle qui lui paraîtra la moins vraisemblable. Ce sera le plus souvent la reconnaissance du père qui sera ainsi écartée; mais il se pourra aussi que le juge annule la reconnaissance de la

mère.

Même ainsi amendée, cette théorie se heurte encore à une objection capitale : elle ne donne pas la solution du pro

() V, n. 580; cpr. n. 442 à 446.

blème que nous avons à résoudre. Il est évident en effet que la question qui nous occupe ne peut pas se poser, s'il est possible d'annuler une des deux reconnaissances pour cause d'erreur ou de fraude. Car alors il ne subsiste plus qu'une seule reconnaissance, laquelle est valable en elle-même. Remarquons que, dans ce cas, la reconnaissance annulée est déclarée nulle, non pas parce qu'elle s'applique à un enfant incestueux, mais parce qu'elle est contraire à la vérité. Pour que notre question se pose, il faut nécessairement supposer qu'il est impossible de démontrer la fausseté de l'une ou l'autre. reconnaissance. Nous nous trouvons alors en présence de deux reconnaissances, également tenues pour sincères, mais dont le concours révèle l'origine incestueuse de l'enfant qui en est l'objet. Quel en est le sort? C'est ce que le système cidessus ne permet pas de déterminer.

B. On a proposé de laisser le choix à l'enfant ('). Celui-ci optera pour celle des deux reconnaissances qui présente le plus d'intérêt pour lui. - Une pareille solution est inadmissible; l'état de l'enfant ne peut pas dépendre de sa volonté. Nous avons bien, en matière de filiation légitime, accordé, dans certains cas, à l'enfant un droit d'option. Mais ce droit d'option est donné à l'enfant par les textes. Ici nous ne trouvons rien de semblable. La loi ne préfère pas l'une des deux reconnaissances à l'autre. Le seul droit qu'elle attribue aux parties intéressées, c'est de contester la reconnaissance, à charge d'en démontrer la fausseté. Or, nous supposons précisément que cette démonstration ne peut pas être faite.

C. Dans un autre système, qui nous paraît le plus confoi me aux principes, on annule les deux reconnaissances à la fois (2). La première en date, tant qu'elle est seule, est sans doute tenue provisoirement pour valable, parce que le vice de la conception de l'enfant est ignoré. La seconde révèle ce vice, et la nullité dont elle est affectée rejaillit sur la pre

(') Taulier, I, p. 415.

(2) Laurent, IV, n. 149; Massonié, op. cit., p. 200. La solution admise par ces deux auteurs cadre parfaitement avec le système adopté par eux pour déterminer les effets de la reconnaissance. Nous nous y rallions, mais pour d'autres motifs qui sont indiqués au texte.

mière. Laurent, qui propose cette solution, l'applique également au cas où l'enfant est reconnu dans deux actes distincts par ses deux auteurs, dont l'un était libre et l'autre ne l'était pas à l'époque où doit se placer la conception. Nous avons, sur ce dernier point, rejeté sa doctrine. C'est qu'en effet les situations ne sont pas les mêmes la reconnaissance faite par celui des père et mère qui était marié lors de la conception est nulle par elle-même, sans qu'il soit besoin de la rapprocher de l'autre. Elle peut donc être écartée seule. Au contraire, dans l'hypothèse que nous envisageons actuellement, c'est le concours des deux actes de reconnaissance qui fait apparaitre le vice d'inceste qui les affecte tous les deux. Pour annuler l'une des deux reconnaissances, il faut nécessairement la rapprocher de l'autre, et de ce rapprochement il résulte que celle-ci est nulle comme la première.

D. La solution à laquelle nous nous sommes arrêtés est généralement trouvée trop sévère. On décide le plus souvent que la première reconnaissance doit être validée et la seconde annulée (1). La première en date était valable au moment où elle a été faite; elle prouvait la filiation de l'enfant à l'égard de celui qui l'a reconnu par cet acte. Dès lors, l'enfant ne peut plus être valablement reconnu par une autre personne, rattachée à la première par un lien de parenté ou d'alliance produisant un empêchement de mariage. — A ces considérations, nous pouvons répondre d'abord qu'il est inadmissible de faire dépendre d'une question de date la validité d'une reconnaissance, et surtout que, la deuxième reconnaissance ne révélant pas par elle-même l'origine incestueuse de l'enfant, on ne peut l'annuler qu'en la rapprochant de celle qui est intervenue la première, et que, dès lors, il n'y a aucun motif de préférer celle-ci.

(1) Baret, op. cit., p. 120, 121; Arntz, I, n. 621; Planiol, 1, n. 1484. A celte doctrine Aubry et Rau (VI, § 572, texte et note 10) apportent cependant un tempérament qui parait difficilement acceptable. L'enfant, disent ces auteurs, peut faire abstraction des deux reconnaissances et rechercher sa filialion maternelle, conformément à l'art. 341. Mais ce droit lui appartient dans le cas seulement où la reconnaissance du père est la première en date, non dans celui où la reconnaissance de la mère a précédé celle du père. Dans cette dernière hypothèse, c'est la solution indiquée au texte qui doit être appliquée.

No 2. Quels effets produit la reconnaissance d'un enfant adultérin ou incestueux.

634. En supposant qu'il soit légalement établi que la reconnaissance a pour objet un enfant adultérin ou incestueux, quels effets peut-elle produire ? Cette question doit être résolue, à notre avis, dans le sens le plus radical. La loi nous dit que la reconnaissance ne pourra avoir lieu au profit des enfants nés d'un commerce incestueux ou adultérin (art. 335). Il résulte clairement de ces termes qu'une pareille reconnaissance est légalement impossible. L'officier public ne devait pas la recevoir. S'il l'a constatée contrairement à la prohibition légale, il faut la tenir pour non avenue. Elle ne peut produire aucun effet, ni contre l'enfant, ni à son profit. L'enfant ne peut pas s'en prévaloir, et on ne peut l'invoquer contre lui.

Les travaux préparatoires sont en ce sens ('). Notre solution est aussi conforme à l'esprit de la loi. C'est dans un intérêt de moralité publique, afin d'empêcher le scandale que soulèverait la révélation d'une filiation adultérine ou incestueuse, que le législateur a édicté la disposition de l'art. 335. Le but visé par lui ne serait pas atteint, si la reconnaissance qu'il prohibe pouvait produire quelque effet. S'il était permis d'invoquer de pareilles reconnaissances, on verrait s'engager ces débats scandaleux que la loi a voulu éviter. Nous disons donc d'abord que la reconnaissance dont un enfant adultérin ou incestueux est l'objet ne peut produire aucun effet en sa faveur. Il en résulte qu'il ne peut s'appuyer sur cette reconnaissance pour demander des aliments à ses auteurs prétendus, ou pour réclamer contre leur succession les droits qui sont accordés à l'enfant incestueux ou adultérin par l'art. 762. Il ne peut pas non plus invoquer la reconnaissance pour prendre le nom de celui qui en est l'auteur (*).

Nous disons, d'autre part, que la reconnaissance ne peut

Bigot-Préameneu, Exposé des motifs (Locré, VI, p. 215); Lahary, Rapp. (Locré, VI, p. 264); Duveyrier, Discours (Locré, VI, p. 323).

(*) Héan, p. 357.

produire aucun effet contre l'enfant reconnu. Ainsi on ne peut invoquer la reconnaissance qu'un homme marié a faite d'un enfant, pour empêcher cet enfant de rechercher contre une femme libre sa filiation maternelle. De même, on ne pourra opposer à une personne la reconnaissance dont elle a été l'objet en tant qu'enfant adultérin ou incestueux, pour faire réduire les libéralités qui lui auraient été faites par l'auteur de la reconnaissance en violation de l'art. 908.

635. Ce système est généralement admis en doctrine (') et en jurisprudence (2). On a proposé d'autres interprétations de l'art. 335. Il nous suffira de les indiquer brièvement.

A. On a dit d'abord que la disposition de l'art. 335 signifie que l'enfant adultérin ou incestueux ne peut pas invoquer la reconnaissance comme titre de filiation. La loi a voulu priver l'enfant de son état de famille. Mais la reconnaissance n'en constitue pas moins un aveu de paternité ou de maternité, et cet aveu, sans valeur juridique au point de vue de l'état envisagé en lui-même, doit produire des effets en ce qui concerne les conséquences pécuniaires de l'état. Elle est nulle sous certains rapports, mais non point d'une façon absolue. L'enfant sera sans filiation; mais il ne sera pas sans

(') Chabot, Des successions, art. 762, n. 3 et 4; Loiseau, op. cit., p. 732 à 740, 766; Duvergier sur Toullier, I, n. 967, note 1; Duranton, III, n. 195; Marcadé, art. 335, n. 2; Ducaurroy, Bonnier et Roustain, I, n. 487; Zachariæ, et Massé et Vergé sur Zachariæ, I, § 172, texte et notes 15, 19 à 23; Demolombe, V, n. 581 el 587; Demante, Il, n. 63 bis, 1; Héan, p. 315; Aubry et Rau, VI, § 572, texte et notes 11 s.; Baret, op. cit., p. 118; Arntz, I, n. 622 s.; Planiol, I, n. 1483. — Cpr. Richefort, II, n. 318 et 324.

(3) Cass., 28 juin 1815, J. G., yo Paternité, n. 725, S., 15. 1. 329. Cass, 11 nov. 1819, J. G., vo cit., n. 719, S., 20. 1. 222. Rouen, 6 juill. 1820, J. G., vo cit., n. 725, S., 20. 2. 261. Cass., 9 mars 1824, J. G., ibid., S., 24. 1. 114. Poitiers, 11 déc. 1824, J. G., ibid. Cass., 1er août 1827, J. G., vo cit., n. 719, Cass., 18 mars 1828, J. G., vo cit., n. 725, S., 28. 1. 313. - Mont

S., 28. 1. 49.

Bordeaux, 21 déc. Cass., 8 fév. 1836, J. G., ibid., S..

pellier, 19 janv. 1832, J. G., vo cit., n. 715, S., 32. 2. 38.
1835, J. G., vo cit., n. 725, S., 37. 2. 71.
36. 1. 241.

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- Cass., 3 fév.

- Cass., 4 déc. 1837, J. G., vo cit., n. 728, S., 38. 1. 29. 1841, J. G., vo cit., n. 725, S., 41. 1. 117. Cass., 18 mars 1846, D., 46. 1. 344, S., 47. 1. 20. Cass., 19 avril 1847, D., 47. 1. 128, S., 47. 1. 562. — Cass., 7 janv. 1852, D., 52. 1. 75. Bourges, 12 juill. 1859, D., 59. 2. 209, S., 60. 2. 1. - Plusieurs des arrêts cités relèvent cette circonstance que la paternité ou la maternité adultérine n'a pas été la cause du legs ou de la donation qu'ils déclarent valable. Ce n'est pas ici le lieu d'étudier cette question.

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