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enfant naturel décédé qui n'a pas laissé de descendants; mais il ne prouve nullement que cet enfant ne puisse pas être reconnu; car autre chose est la légitimation, autre chose la reconnaissance. La vérité est qu'il n'y a pas de loi qui interdise la reconnaissance; donc elle doit être permise. La reconnaissance ne fait que révéler une filiation préexistante, et on ne voit pas comment la mort de l'enfant pourrait faire obstacle à cette révélation (1). Si l'on ne comprend pas qu'un enfant, non encore conçu, puisse être reconnu, l'on comprend très bien au contraire que la reconnaissance intervienne après le décès de l'enfant auquel elle s'applique. C'est un droit pour le père et la mère d'avouer leur paternité et leur maternité et de réclamer les droits que la loi y attache, et aucun texte ne les oblige à le faire avant la mort de l'enfant. Il se peut que la succession de celui-ci ait déjà été déférée à d'autres personnes; cela importe peu; ces personnes n'ont recueilli la succession que parce que les véritables héritiers étaient inconnus ; ceux-ci, dont l'existence est révélée par la reconnaissance, ne font qu'exercer des droits antérieurs à cette reconnaissance et non pas créés par elle. Le système que nous combattons semble admettre que la reconnaissance est permise par la loi dans l'intérêt exclusif de l'enfant ; ce serait une erreur, la loi faisant produire également à la filiation naturelle des effets en faveur des père et mère de l'enfant. N'y a-t-il pas des cas d'ailleurs où aucune faute, aucune spéculation honteuse ne peut être reprochée à l'auteur de la reconnaissance posthume? Qu'on suppose une mère qui a toujours prodigué à son enfant les soins les plus empressés ; elle n'a pas reconnu cet enfant pendant qu'il vivait, parce qu'elle croyait la reconnaissance inutile, sa maternité étant hautement avouée; et puis, lorsqu'après la mort de l'enfant le fisc se présentera pour recueillir la maigre succession laissée par lui, on ne permettra pas à la mère de l'exclure, sous prétexte qu'elle n'a pas reconnu l'enfant pendant la vie de celui-ci, et que la reconnaissance faite après sa mort est nulle!

(1) Douai, 20 juill. 1852, D., 53. 2. 50, S., 52. 2. 678.

Cette solution est très généralement acceptée. La doctrine (') décide en général que la reconnaissance est valable et produit tous ses effets ordinaires, et la jurisprudence (2) paraît se prononcer dans le même sens. Il y a cependant certaines dissidences. Ainsi l'on a dit que la reconnaissance peut sans doute intervenir après la mort de l'enfant, mais que l'auteur de cette reconnaissance ne peut s'en prévaloir pour réclamer la succession de l'enfant; de la sorte on ne pourra pas dire qu'elle couvre une spéculation intéressée (3). Cette solution nous paraît tout à fait illogique. La reconnaissance, par ellemême, ne confère aucun droit. Elle sert seulement à prouver la filiation, à laquelle certains droits sont attachés par la loi. Du moment que l'on admet que la filiation est prouvée par la reconnaissance posthume, elle doit produire tous ses effets légaux.

A fortiori, devons-nous décider que la reconnaissance sera possible et prouvera la filiation, lorsque l'enfant qui en est l'objet est en état d'absence déclarée ou simplement présumée (*).

SECTION III

PAR QUI LA RECONNAISSANCE D'UN ENFANT NATUREL PEUT ÊTRE FAITE

639. Deux questions différentes doivent être examinées : qui a le pouvoir de reconnaitre l'enfant naturel, et quelle est la capacité requise pour faire la reconnaissance.

(1) Loiseau, op. cit., p. 444; Richefort, II, n. 263; Duvergier sur Toullier, I, n. 955, note b; Valette sur Proudhon, II, p. 150; Massé et Vergé sur Zachariæ, I, § 167, note 11; Demolombe, V, n. 416; Laurent, IV, n. 43; Baret, op. cit., p. 73; Arntz, I, n. 593; Vigié, I, n. 560; Huc, III, n. 76; Planiol, I, n. 1481. (2) Douai, 20 juillet 1852, D., 53. 2. 50, S., 52. 2. 678. 58. 2. 535. Lyon, 25 ou 26 fév. 1875, J. G., Suppl., vo

Caen, 24 mai 1858, S., cit., n. 209, S., 77. 2. 18.

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- Cpr.

- Paris, 6 mai 1876, J. G., Suppl, ibid., S., 77. 2. 19. - Poitiers, 27 déc. 1882, D., 83. 2. 120, S., 83. 2. 188. Bruxelles, 18 mars 1902, D., 05. 2. 102. Cass., 7 janv. 1852, D., 52. 1. 75, S., 52. 1. 12. (3) D'après Duranton, III, n. 265, le juge devra tenir compte des circonstances, surtout si la reconnaissance émane de la mère. — Cpr. Aubry et Rau, VI, § 568, texte et notes 31 et 32; Massonié, op. cit., p. 44 s. Aubry et Rau enseignent que la reconnaissance profilera aux frères et aux sœurs de l'enfant reconnu.

(*) Duvergier sur Toullier, 1, n. 955, note b; Zachariæ, I, § 167, note 11; Aubry el Rau, VI, § 568, note 30; Demolombe, V, n. 417; Baret, op. cit., p. 74. — Cpr. Nimes, 11 juillet 1827, J. G., vo Absence, n. 245, S., 28. 2. 56.

SI. A qui appartient le pouvoir de reconnaitre.

640. La reconnaissance d'un enfant naturel, constituant un aveu de paternité ou de maternité, ne peut émaner que des père et mère de l'enfant ou de l'un d'eux, car il s'agit d'un fait essentiellement personnel. Il en résulte notamment qu'elle ne peut être faite par un ascendant de l'auteur de l'enfant, alors même que cet auteur serait décédé ct que son ascendant prétendrait accomplir ses dernières volontés, ni par les héritiers du père ou de la mère (').

Notre principe ne fait d'ailleurs pas obstacle, nous l'avons vu, à ce que la reconnaissance soit effectuée par le ministère d'un mandataire. Mais il faut que celui-ci tienne ses pouvoirs de la volonté spécialement manifestée par l'auteur de l'enfant. L'enfant naturel ne pourrait donc être reconnu par un représentant légal du père ou de la mère, tel qu'un tuteur. Le tuteur ne peut avouer un fait personnel à son pupille.

La mère ne peut pas reconnaître la paternité, et la déclaration qu'elle aurait faite, dans un acte authentique, que l'enfant est issu des œuvres de tel homme ne fournirait ni preuve ni commencement de preuve de la filiation paternelle. Une pareille déclaration, étant illégale, ne doit pas être reçue par l'officier public qui constate la reconnaissance de la mère. Si elle est insérée dans l'acte, elle ne peut produire aucun effet.

De même, en principe, le père ne peut pas reconnaitre la maternité. Mais, à ce principe, une jurisprudence constante admet que l'art. 336 apporte une notable dérogation.

641. Ce texte est ainsi conçu « La reconnaissance du » père, sans l'indication et l'aveu de la mère, n'a d'effet qu'à l'égard du père ». On induit de cet article, par argument a contrario, que la reconnaissance du père, avec l'indication et

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(1) Loiseau, op. cit., p. 446; Zachariæ, loc. cit.; Demolombe, V, n. 381; Aubry et Rau, VI, § 568, p. 156, 157; Baret, op. cit., p. 67; Laurent, IV, n. 26; Massonié, op. cit., p. 20. Sol. adm. de l'Enreg., 26 juil. 1873, D., 74. 3. 47. Cass., 11 juill. 1826, J. G., v° Adoption, n. 42. — Paris, 11 juin ou août 1891, D., 92. 2. 533, S., 92. 2. 213. Cpr. Bordeaux, 19 fév. 1846 (motifs), D., 48. 2. 84, S., 46. 2. 294. Metz, 21 juin 1853, D., 56. 2. 193, S., 56. 2. 449. Dans ces deux espèces, il s'agissait uniquement de régler des intérêts pécuniaires.

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l'aveu de la mère, produit effet à l'égard de celle-ci, ou, pour parler un langage plus précis, prouve la filiation maternelle. C'est-à-dire que, si le père d'un enfant naturel, en le reconnaissant, a indiqué le nom de la mère, il suffira que la mère confirme par son aveu la déclaration de maternité faite par le père, pour que la filiation maternelle de l'enfant soit légalement établie. Et comme la loi n'exige pas que l'aveu de la mère soit fait dans une forme déterminée, on en conclut qu'un aveu quelconque suffit, soit un aveu exprès, contenu dans un écrit émané de la mère, soit même un aveu tacite, résultant des circonstances. La loi aurait donc établi une différence remarquable entre la preuve de la paternité et celle de la maternité. La paternité ne pourrait être prouvée que par la reconnaissance du père, effectuée par lui-même ou par le ministère d'un mandataire investi par lui d'un pouvoir spécial, tandis que, pour que la maternité fût démontrée, il suffirait que la mère. corroborât par son aveu la déclaration faite par le père dans l'acte de reconnaissance.

Cette interprétation trouve une base solide dans les travaux préparatoires. L'art. 336 a eu quatre rédactions successives. La première était conçue dans les termes suivants : «Toute reconnaissance du père seul, non avouée par la mère, sera de nul effet tant à l'égard du père qu'à l'égard de la mère, sans préjudice néanmoins de la preuve de la maternité et de ses effets contre la mère seulement » ('). La reconnais sance du père devait donc être confirmée par l'aveu de la mère pour faire preuve de la paternité. Ce système présentait des inconvénients que l'on fit ressortir au cours de la discussion (2). Sans parler de la haine dont la mère peut être animée à l'égard du père, bien d'autres causes peuvent l'empêcher de donner son aveu à la reconnaissance de paternité, de sorte que celle-ci pourrait très souvent être rendue impossible au grand préjudice de l'enfant. On proposa alors la disposition suivante: «La reconnaissance du père, si elle est désavouée par la mère, sera de nul effet ». L'on fit remarquer que la

(1) Loeré, VI, p. 30.

(2) Locré, VI, p. 126 s.

PERS. IV.

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mère pouvait désavouer la reconnaissance de paternité par haine pour le père ('). Aussi, dans la troisième rédaction, se borna-t-on à proclamer purement et simplement le principe que « La reconnaissance d'un enfant naturel n'aura d'effet qu'à l'égard de celui qui l'a reconnu » (2). Cette rédaction fut elle-même abandonnée pour faire place au texte actuel de l'art. 336, sans qu'on en trouve de motifs dans les travaux préparatoires. De ces divers incidents qui ont marqué l'élaboration de cet article, il résulte d'abord que l'aveu ou le désaveu de la mère ne peut exercer aucune influence sur la preuve de la paternité résultant de la reconnaissance du père. Il parait certain aussi qu'on n'a pas voulu admettre, dans toute sa rigueur, le principe consacré par la troisième rédaction. Pourquoi, en effet, aurait-on abandonné celle-ci? Or la rédaction actuelle ne vise que la maternité. C'est donc qu'on a voulu atténuer la rigueur du principe en ce qui concerne seulement la preuve de la filiation maternelle. L'indication de la mère, faite par le père dans l'acte de reconnaissance, ne vaut sans doute pas comme reconnaissance de maternité. Elle a cependant une valeur que lui communique la reconnaissance dans laquelle elle se trouve contenue. Elle a pour effet de dispenser la mère de reconnaitre expressément son enfant dans un acte authentique. Il lui suffira de confirmer par son aveu la déclaration du père (3).

(1) Locré, VI, p. 163 s.

(*) Locré, VI, p. 166.

(3) Richefort, II, n. 278; Toullier, II, n. 927; Duvergier sur Toullier, I, n. 956, note b; Duranlon, III, n. 245; Ancelot, Rev. de législ., 1852, II, p. 156 s.; Demante, II, н. 64 bis, I; Aubry et Rau, VI, § 568 bis, texte et note 27; Massonié, op. cit., p. 94 s. - Cass., 22 juin 1813, J. G., vo Paternité, n. 492, S., 13. 1. 28. Douai, 23 janv. 1819, J. G., v° cit., n. 555, S., 20. 2. 102. Cass., 26 avril 1824, J. G., vo cit., n. 555, S., 24. 1. 317. — Bordeaux, 19 janv. 1830, J. G., vo cit., n. 628, S., 31. 2. 231. Paris, 15 décembre 1834, J. G., vo cit., n. 439, sous Cass.. 5 mai 1836, S., 35. 2. 5. — Cass., 22 janv. 1839, S., 39. 1. 5. —

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Paris, 20 avril 1839,

J. G., vo cit., n. 555, S., 39. 2. 249. Paris, 27 avril 1839, J. G., vo et loc. cit.

- Cass., 7 janvier 1852, D., 52. 1. 75, S., 52. 1. 12. D., 54. 2. 260, S., 53. 2. 322.

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Bordeaux, 11 mars 1853,

Cass.,

Paris, 21 nov. 1853, S., 56. 2. 719.

13 avril 1864, D., 64. 1. 249, S., 64. 1. 209. Trib. Seine, 18 mai 1865, D., 66. 3. Cass, 26 mars 1866, J. G., Suppl., vo cit., n. 150, S., 66. 1. 43. — Cass.,

24.

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- Dijon, 28 février 1873, J. G., Suppl., Cass., 25 juin 1877, D., 78. 1. 262, S., 78. 1.

30 nov. 1868, D., 69. 1. 21, S., 69. 1. 66. vo cit., n. 230, S., 74. 2. 45.

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