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qui dominent la matière (arg. art. 334). Il faut donc l'interpréter restrictivement. Or il suppose que la mère est désignée par le père qui reconnaît son enfant. Donc on ne peut l'étendre au cas dont il s'agit (1).

§ II. De la capacité requise pour faire une reconnaissance d'enfant naturel.

647. La loi ne s'explique pas sur la capacité requise pour reconnaître un enfant naturel. Concluons-en qu'il suffit d'être capable de faire une déclaration digne de foi. On ne peut songer à appliquer ici les règles relatives à la capacité de contracter; car la reconnaissance d'un enfant naturel n'est pas un contrat : c'est une déclaration, un aveu (2). Nous ferons l'application de ce principe aux diverses catégories d'incapables que nous allons passer en revue.

648. La reconnaissance d'enfant naturel peut être faite valablement par un interdit, pendant un intervalle lucide bien entendu (3). Non obstat art. 502 qui dispose que « Tous actes passés par l'interdit........ sont nuls de droit »; car l'interdiction n'a pour but que la protection des intérêts pécuniaires de l'interdit; ses effets ne doivent donc se produire que relativement aux actes qui ont un caractère pécuniaire; or la reconnaissance d'enfant naturel a un caractère essentiellement sinon exclusivement moral. Pour des raisons du même ordre, les art. 503 et 504 ne doivent pas être appliqués. Même si la cause de l'interdiction existait notoirement à l'époque où la reconnaissance est intervenue, les juges devront maintenir celle-ci, si elle a été faite dans un moment de lucidité (art. 503) (*). Après la mort de l'auteur de la reconnaissance, on pourra attaquer cette reconnaissance pour cause

(') Cass., 13 avril 1864, D., 64. 1. 249 et la note, S., 64. 1. 209. (2) V. cep. Laurent, IV, n. 36 s.; Arntz, I, n. 590. p. 476 s.; Zachariæ, I, § 167, p. 318.

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Cpr. Loiseau, op. cit.,

(3) Loiseau, op. cit., p. 487; Demante, II, n. 62 bis, XIV; Demolombe, V, n. 388; Aubry et Rau, VI, § 568, texte et note 6; Laurent, IV, n. 36; Baret, op. cit., p. 71; Massonié, op. cit., p. 34; Huc, III, n. 77; Planiol, I, n. 1478. Contra: Arntz, - Cpr. Massé et Vergé sur Zachariæ, I, § 167, note 4. () V. cep. les motifs de Caen, 29 janv. 1843, J. G., vo Mariage, n. 207.

loc. cit.

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de folie, alors même que l'interdiction n'aurait pas été provoquée ou prononcée avant le décès et que la preuve de la démence ne résulterait pas de l'acte lui-même (art. 504). A fortiori, un individu frappé d'interdiction légale peut-il valablement reconnaître un enfant naturel (1).

649. En ce qui concerne la personne soumise à l'autorité d'un conseil judiciaire, il est certain qu'elle peut faire une reconnaissance d'enfant naturel sans l'assistance de son conseil (arg. art. 499 et 513). Il suffit qu'en fait elle soit capable d'apprécier la portée de son acte (2).

650. Quant à la femme mariée, il est très généralement admis qu'elle peut reconnaître, sans l'autorisation de son mari ou de la justice, un enfant conçu avant la célébration de son mariage (3).

651. Il faut suivre les mêmes principes en ce qui touche le mineur, émancipé ou non. Il peut faire valablement, sans aucune assistance, une reconnaissance d'enfant naturel (*).

(1) Massé et Vergé sur Zachariæ, loc. cit.; Aubry et Rau, VI, § 568, p. 159; Demolombe, loc. cit.; Massonié, op. cit., p. 35; Huc, loc. cit.

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(2) Tous les auteurs sont en ce sens. - Douai, 23 janv. 1819, J. G., vo Paternité, n. 555, S., 20. 2. 102. — Caen, 26 avril 1887, S., 87. 2. 125.

(3) V. Baudry-Lacantinerie et Houques-Fourcade, Des personnes, III, n. 2218 ; Huc, loc. cit.; Planiol, loc. cit.

(*) Loiseau, op. cit., p. 477 s.; Toullier, II, n. 962; Richefort, II, n. 259; Proudhon, II, p. 181; Duranton, III, n. 258; Marcadé, art. 337, n. 1; Zachariæ, I, § 167, texte et note 5; Allemand, Du mariage, II, n. 858; Demante, II, n. 62 bis, XIII et XIV; Demolombe, V, n. 387-388; Héan, p. 306; Aubry et Rau, VI, § 568, texte et notes 5 et 7; Baret, op. cit., p. 71; Massonié, op. cit., p. 37; Huc, Planiol, loc. - Toulouse, 19 janv. 1813, J. G., vo cit., n. 492. Cass., 22 juin 1813, J. G., ibid., S., 13. 1. 281. Cass., 4 nov. 1835, J. G., ibid., S., 35. 1. 785. Douai, 17 mars 1840, J. G., ibid., S., 40. 2. 255.

cit.

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- Orléans, 16 janv. 1847, D., 47. 2. 17. Rennes, 8 mars 1882, D., 84. 1. 386. Bruxelles, 25 fév. 1888, S., 89. 4. 3. Contra: Laurent, IV, n. 39-40; Arntz, loc. cit. Cpr. Malpel, Rev. de législ., IV, p. 43. Cet auteur propose de distinguer suivant le sexe de l'auteur de la reconnaissance. La femme mineure serait capable de reconnaître son enfant naturel; l'homme mineur ne pourrait reconnaître sa paternité. Une pareille distinction est inadmissible; la loi frappant tous les mineurs d'incapacité, quel que soit leur sexe, deux solutions sont seules possibles : ou tous les mineurs peuvent faire une reconnaissance, ou ils en sont tous incapables. - Cpr. également Massé et Vergé sur Zachariæ, I, § 167, note 5. - Le code civil néerlandais dispose, dans son art. 337, que la reconnaissance faite par un homme mineur ne sera valable que s'il a dixneuf ans accomplis, mais que la fille mineure peut, avant cet age, reconnaître son enfant naturel.

La reconnaissance suppose, en effet, une manifestation personnelle de volonté. Si un mineur non émancipé ne pouvait pas lui-même reconnaître son enfant naturel, la reconnaissance serait impossible jusqu'à sa majorité, car le tuteur n'a pas le pouvoir de faire un pareil acte. Or, ce résultat serait doublement regrettable. D'abord il empêcherait la légitimation de l'enfant par le mariage de ses parents jusqu'à leur majorité ('). Et puis l'enfant serait nécessairement privé de son état par suite de la mort de ses auteurs avant leur majorité.

A ces arguments, l'on a fait les réponses suivantes (2) : Le mineur est frappé, par la loi, d'une incapacité générale ; cela entraîne, par une conséquence nécessaire, la perte de la jouissance de ses droits, en ce qui concerne les actes qui ne peuvent être accomplis par le ministère d'un représentant légal. Ce principe si rigoureux comporte d'ailleurs des exceptions. La loi permet au mineur de faire certains de ces actes le mariage et le testament. Mais alors elle prend des précautions spéciales, dans la vue de protéger le mineur contre lui-même. Elle n'a pas dérogé au principe relativement à la reconnaissance d'enfant naturel; la règle générale conserve donc son empire, et l'interprète, dans le silence des textes, ne peut pas l'écarter. Il ne lui appartient pas de combler la lacune de la loi. Nous ne pensons pas que l'incapacité du mineur doive être entendue dans un sens aussi large. A notre avis, cette incapacité ne s'étend pas aux actes qui supposent une manifestation personnelle de volonté. De tels actes sont permis au mineur, car la loi n'a pas voulu lui enlever la jouissance de ses droits. On craint que le mineur ne soit victime de son inexpérience et ne cède aux entraînements de la passion. A ce danger l'art. 339 permet de parer, en permettant aux juges d'annuler la reconnaissance comme contraire à la vérité, et l'annulation peut en être demandée par l'auteur de la reconnaissance lui-même (V. infra, n. 660). Les tribunaux sont donc chargés de fournir au mineur la

(1) Douai, 17 mars 1840, supra.

(*) Laurent, IV, n. 40.

protection dont il a besoin (') (V. les autorités citées à la note 3 de la p. 616).

Les motifs que nous avons allégués s'appliquent au mineur émancipé comme au mineur non émancipé. Le mineur émancipé peut donc reconnaître son enfant naturel sans l'assistance de son curateur (2).

Il n'est pas nécessaire pour la validité de la reconnaissance que le mineur, au moment où il la fait, ait atteint l'âge de la puberté légale, c'est-à-dire qu'il ait l'âge requis pour contracter mariage (3). Si la reconnaissance est attaquée, les juges, saisis de la contestation, se prononceront, d'après les circonstances, sur la question de savoir si l'auteur de la

() Les considérations que nous avons présentées à l'appui de notre solution nous paraissent décisives. Il n'en est pas de même, à notre avis, des autres arguments par lesquels on a encore voulu la justifier. Ainsi l'on a parfois invoqué l'art. 1125, d'où il résulterait que le mineur, même non émancipé, n'est incapable que relativement à certains actes. C'est là une erreur; le mineur est frappé d'une incapacité générale pour tous les actes qui peuvent être faits par un représentant légal. On a dit encore que le mineur, ayant agi seul, ne peut attaquer ses actes que quand ils sont pour lui la source d'une lésion; or, la reconnaissance, acte essentiellement moral, n'entraîne pas de lésion par elle-même. Sans doute, la reconnaissance est un acte essentiellement moral; mais enfin elle produit des effets pécuniaires, ou, pour mieux dire, ces effets sont attachés à la filiation qu'elle constate. D'autre part, la règle que nous venons d'indiquer ne s'applique qu'aux actes pour lesquels le mineur est incapable. Or, nous avons admis que le mineur est capable d'avouer sa paternité ou sa maternité. L'art. 1310, qu'on fait souvent intervenir, doit être mis hors de cause. On conclut de ce texte que le mineur, ayant commis une faute dont l'enfant a été victime, en doit réparation. Mais d'abord il est douteux que l'enfant puisse être considéré comme une victime, car la vie est un bienfait. Puis l'art. 1310 suppose que le délit commis par le mineur est prouvé et oblige celui-ci à en subir les conséquences. Or, la question est de savoir si la reconnaissance faite par le mineur prouve qu'il est le père ou la mère de l'enfant. Il faudrait que cette question fùt résolue pour que l'on pût songer à appliquer l'art. 1310. Mais, dit-on, le mineur qui reconnaît son enfant naturel accomplit un devoir de conscience. En admettant cette proposition, il resterait à démontrer que le mineur peut s'obliger par un acte de sa volonté, mème en exécution d'un devoir de conscience. Enfin, on tire argument des termes généraux de l'art. 334 qui ne distingue pas entre les personnes majeures et les personnes mineures. Il est facile de voir que l'art. 334 est étranger à la question, car il a pour but de régler les formes de l'acte et non pas la capacité requise pour le faire. - Cpr. Aubry et Rau, VI, § 568, note 5; Laurent, IV, n. 39.

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(2) En ce sens, les auteurs cités, supra, p. 616, note 3. Contra Laurent, IV, n. 41; Arntz, loc. cit.

() Rennes, 8 mars 1882, D., 84. 1. 386.

Bruxelles, 25 fév. 1888, S., 89. 4. 3.

- V. cep. Massé et Vergé sur Zachariæ, I, § 167, note 5.

reconnaissance est véritablement le père ou la mère de l'enfant qu'il a reconnu. Notamment ils auront à rechercher si, en fait, au moment de la conception de l'enfant, l'homme ou la femme qui l'a reconnu avait l'aptitude physique à concevoir ou à engendrer.

652. Un étranger peut-il reconnaître en France un enfant naturel? L'affirmative n'est pas douteuse au point de vue de notre droit positif, car, en admettant la distinction traditionnelle du jus civile et du jus gentium, la reconnaissance doit être rangée parmi les actes qui relèvent du jus gentium. Mais l'étranger étant soumis aux dispositions de sa loi nationale en ce qui concerne son état et sa capacité, il faut se référer à cette loi pour résoudre la question de capacité (').

SECTION IV

DES EFFETS DE LA RECONNAISSANCE VOLONTAIRE

653. La reconnaissance est un mode de preuve de la filiation naturelle. Elle est donc, non pas attributive, mais simplement déclarative de la filiation de l'enfant auquel elle s'applique. Il est clair, en effet, qu'avant la reconnaissance l'enfant avait une filiation, seulement cette filiation était légalement inconnue; la reconnaissance vient la révéler et la constater. Nous avons eu déjà l'occasion de mettre ce principe en lumière. Il en résulte que les effets de la filiation prouvée par la reconnaissance remontent au jour de la naissance et même, s'il y a lieu, de la conception de l'enfant. La jurisprudence est, sur ce point, d'accord avec la doctrine. Il a été jugé, notamment, que la donation faite par un père naturel à son enfant tombe sous le coup de l'art. 908, même quand elle a été faite avant la reconnaissance (2).

(1) Demolombe, V, n. 390; Massonié, op. cit., p. 38. Signalons, en passant, la question de savoir si un prêtre catholique peut reconnaître un enfant naturel. L'affirmative ne fait aujourd'hui aucun doute. Demolombe, V, n. 390 bis; Massonié, op. cit., p. 37. Grenoble, 14 ventôse an XII, J. G., vo cit., n. 500.

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(2) Dijon, 18 déc. 1891, D., 92. 2. 217 et la note de M. de Loynes, S., 92. 2. 44. Cpr. Cass., 30 janv. 1883, D., 83. 1. 201, S., 83. 1. 193 et la note de M. Labbé. - Dijon, 20 déc. 1883, S., 84. 2. 163. Cass., 22 janv. 1884, D., 84. 1. 117, S.,

84. 1. 227. - Orléans, 5 fév. 1885, D., 86. 2. 166, S., 85. 2. 152.

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