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654. L'acte de reconnaissance forme le titre de l'enfant naturel, de même que l'acte de naissance forme le titre de l'enfant légitime. L'un comme l'autre prouve la filiation de l'enfant erga omnes. L'enfant naturel reconnu peut donc invoquer son titre à l'égard de tous, à l'effet d'exercer les droits que lui donne sa qualité d'enfant naturel; de même que tous intéressés peuvent lui opposer ce titre, à l'effet de lui faire subir les charges ou de lui faire appliquer les incapacités qu'entraîne cette qualité. Ainsi un enfant naturel pourra invoquer la reconnaissance dont il a été l'objet de la part de son père, à l'égard des héritiers de celui-ci, afin de se faire attribuer, dans la succession paternelle, la part que lui allouent les art. 758 s. En sens inverse, les héritiers du père, quand ils ont qualité pour le faire, pourront opposer à cet enfant sa reconnaissance, pour faire réduire aux limites déterminées par l'art. 908 les donations que son père lui a

faites.

655. Pour qu'un enfant naturel puisse ainsi se prévaloir ou pour qu'on puisse se servir contre lui de la reconnaissance qui constate sa filiation, il faut, bien entendu, qu'il soit constant que cet enfant est bien celui auquel la reconnaissance s'applique. Si l'identité est contestée, elle devra être prouvée. Cette preuve pourra d'ailleurs être faite d'une manière quelconque. Par conséquent, au cas où la reconnaissance a été faite par la mère, l'enfant pourra prouver son identité par témoins sans qu'il soit besoin d'un commencement de preuve par écrit. L'art. 341 est hors de cause ici; il s'applique, en effet, à la recherche de la maternité. Or, il ne s'agit pas, pour l'enfant, de rechercher sa filiation maternelle; celle-ci est établie par l'acte de reconnaissance. Il s'agit seulement de démontrer que la filiation constatée par cet acte est la sienne (1). A plus forte raison, l'art. 340 doit-il être écarté. Au cas où la reconnaissance est faite par le père, l'enfant devra être admis à prouver, par un mode quelcon

(') Demante, II, n. 70 bis, II; Demolombe, V, n. 484; Aubry et Rau, VI, § 571, texte et note 27; Baret, op. cit., p. 88; Laurent, IV, n. 86. Contra Richefort, II, n. 266. — Cpr. Aix, 22 déc. 1852, D., 54. 2. 121, S., 54. 2. 321.

que, soit son identité avec l'enfant reconnu ('), soit l'identité de celui qu'il dit être son père avec l'auteur de la reconnaissance (2). Car il ne s'agit pas d'une recherche de paternité, la paternité étant prouvée par la reconnaissance.

Certains auteurs admettent la solution que nous avons donnée, en ce qui concerne la reconnaissance émanant de la mère, mais ils la rejettent en ce qui touche la reconnaissance du père. En effet, disent-ils, la reconnaissance met l'enfant, à l'égard du père qui l'a reconnu, dans la situation où la nature l'a placé à l'égard de sa mère. Elle rend la paternité certaine. Dès lors, il faut appliquer à la preuve de l'identité, en ce qui concerne la reconnaissance de la paternité, la règle édictée par l'art. 341 relativement à la preuve de la filiation maternelle. Dans les deux cas, il faudra que l'identité de l'enfant soit rendue vraisemblable par un commencement de preuve par écrit (3). - Cette opinion doit être rejetée pour les deux motifs suivants : d'abord elle méconnaît la preuve qui résulte de la reconnaissance de la paternité; d'autre part, elle assimile deux situations entièrement dissemblables. Sans doute la nature rend la maternité certaine, mais cela ne signifie pas qu'il est inutile de la prouver quand elle n'a pas été avouée par la prétendue mère. Dans ce cas, l'enfant doit prouver à la fois l'accouchement de la femme qu'il dit être sa mère et son identité avec l'enfant qu'elle a mis au monde. Dans l'hypothèse qui nous occupe, l'enfant n'a pas à prouver qu'il est issu des œuvres de l'homme qui a fait la reconnaissance; il est seulement tenu de démontrer à lui que s'applique cette reconnaissance.

que c'est Enfin, il n'y a pas lieu de distinguer, comme on l'a pro

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() Aubry et Rau, VI, § 569, texte et note 3; Demante, Demolombe, Baret, Laurent, loc. cit. Bordeaux, 18 février 1846, D., 48. 2. 81, S., 46. 2. 289. Riom (motifs), 14 juillet 1853, D., 55. 1. 462, S., 56. 1. 151 (sous Cass., 7 nov. 1855). Cass., 26 Juin 1889, D., 91. 1. 129, S., 93. 1. 525. Trib. Gand, 21 juin 1893, D., 94. 2. 387.

(2) Baret, op. cit., 192, S., 49. 2. 361.

lombe, V, n. 484 bis. 1. 391.

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p. 89; Laurent, IV, n. 87.

Lyon, 30 août 1848, D., 49. 2. Contra Aubry et Rau, VI, § 569, texte et nole 4; Demo- Cass., 18 juin 1851, D., 51. 1. 177 et la note, S., 51.

Devilleneuve, note, S., 46. 2. 289; Dalloz, J. G., vo Paternité, n. 557 el 611. - Cpr. Richefort, loc. cit.

posé ('), entre le cas où la reconnaissance a été faite dans l'acte même de naissance et celui où l'enfant a été reconnu par un acte postérieur. L'enfant, a-t-on dit, a, dans cette dernière hypothèse, une personnalité plus distincte, et son identité est moins douteuse, de sorte qu'on peut l'admettre à se servir de la preuve testimoniale toute nue, tandis qu'un commencement de preuve par écrit lui serait nécessaire pour prouver son identité par témoins dans la première hypothèse. Une pareille distinction est sans aucune base légale. Ou l'art. 341 est applicable ou il ne l'est pas; il n'y a pas de milieu. S'il l'est, il faudra, dans tous les cas, à l'enfant un commencement de preuve par écrit de son identité.

656. La reconnaissance d'enfant naturel est irrévocable de sa nature, car elle constitue un aveu sur lequel il n'est pas permis de revenir (2). Conserve-t-elle ce caractère quand elle est déposée dans un acte susceptible d'être révoqué, comme un testament ou une procuration, ou soumis à une condition tacite, comme le contrat de mariage?

Le contrat de mariage est fait sous la condition: si nuptiæ sequantur. Il est caduc si le mariage n'a pas lieu. Mais ce qui tombe ainsi, ce sont les conventions qui règlent l'association conjugale quant aux biens. Il en est autrement de la reconnaissance contenue dans le contrat de mariage. Cette reconnaissance constitue une clause entièrement distincte de celles qui ont pour objet le règlement des intérêts pécuniaires des futurs époux. Elle n'est pas l'accessoire de celles-ci; elle n'est pas subordonnée à la condition dont elles dépendent; celui qui l'a faite a eu l'intention d'avouer un fait, sa paternité ou sa maternité. L'on ne comprend pas qu'un aveu puisse être considéré comme conditionnel (3).

En ce qui concerne la reconnaissance contenue dans un testament par acte public, la question est beaucoup plus.

(', Dalloz, op. et vo cit., n. 557.

(2) Zachariæ, I, § 167, p. 327; Aubry et Rau, VI, § 568 quater, p. 182; Demolombe, V, n. 454; Baret, op. cit., p. 84; Laurent, IV, n. 85; Arntz, 1, n. 596; Massonié, op. cit., p. 167 s.; Vigié, I, n. 564; Huc, III, n. 78; Planiol, 1, n. 1494.

(3) Massonié, op. cit., p. 170; Héan, p. 281; Baret, Laurent, Planiol, loc. cit. Paris, 22 janv. 1855, D., 55..2. 144, S., 55. 2. 1 et la note de M. Gilbert. — Grenoble, 6 août 1861, D., 61. 2. 207, S., 62. 2. 13.

délicate. Beaucoup d'auteurs pensent que la révocation du testament entraîne nécessairement celle de la reconnaissance. Le testament, en effet, est essentiellement révocable. « Celui qui ne consigne un aveu, une reconnaissance quelconque, que dans un testament, dit Demolombe ('), celui-là n'a pas l'intention de se dessaisir de cet aveu; sa reconnaissance n'a pas encore, dans sa pensée même, un caractère définitif; donc vous ne pouvez pas lui attribuer ce caractère, sans la créer vous-même. Mon testament, c'est ma pensée intime! ma pensée écrite, il est vrai, mais pour rester secrète, et m'appartnir toujours à moi-même et à moi seul. Et tout ce que je dépose là est empreint de ce caractère; rien n'est donc achevé, rien n'est donc acquis à personne; le testament n'est qu'un projet. N'objectez pas que la reconnaissance d'un enfant naturel est irrévocable dès qu'elle est faite; - oui, dès qu'elle est faite; mais je nie qu'elle le soit, je nie que la volonté de reconnaître existe comme elle doit exister, définitive, arrêtée, sûre d'elle-même! >>

Cette solution très rationnelle serait peut-être la meilleure. au point de vue pratique. Mais les textes paraissent bien la condamner. L'art. 895, qui pose le principe de la révocabilité des dispositions testamentaires, nous dit en même temps que « Le testament est un acte par lequel le testateur dispose, pour le temps où il n'existera plus, de tout ou partie de ses biens». C'est le testament ainsi défini que la loi déclare révocable, donc le testament en tant qu'il est un acte de disposition des biens. S'il est révocable, c'est à raison des dispositions de dernière volonté des biens, non à cause de la qualification qui lui est donnée par son auteur. Par suite, s'il renferme accidentellement des clauses étrangères aux biens et que celles-ci soient irrévocables de leur nature, cette circonstance qu'elles sont contenues dans un testament ne les rendra pas révocables. Or tel est le caractère de la reconnaissance; elle est un aveu, et un aveu est irrévocable de sa

p. 459.

(1) V, n. 455, · Adde: Merlin, Rép., vo Filiation, n. 7; Loiseau, op. cit., p. 468; Richefort, II, n. 258; Zachariæ, Massé et Vergé sur Zachariæ, I, § 167, texte et notes 34 et 35; Dalloz, J. G., vo Paternité, n. 597; Arntz, I, n. 596; Laurent, Massonié, Planiol, loc. cit. Cpr. Huc, loc. sit.

nature. Pourquoi serait-il autrement de la reconnaissance contenue dans un testament que de celle qui est déposée dans un contrat de mariage? La raison de décider est la même. Cette solution a été admise par plusieurs arrêts (').

Et toutefois la jurisprudence a reculé devant une conséquence nécessaire de son système. Si la reconnaissance renfermée dans un testament est irrévocable, il n'y a pas de motifs pour qu'elle ne puisse pas produire ses effets immédiatement; on devra donc permettre à l'enfant de s'en prévaloir, même du vivant de son auteur, par exemple pour obtenir une pension alimentaire; de même qu'on devrait lui permettre d'invoquer la reconnaissance contenue dans un contrat de mariage, même avant que le contrat ait été vivifié par la célébration du mariage. En refusant d'admettre la conséquence qui vient d'être signalée (2), la jurisprudence a fourni une arme puissante à ses adversaires, qui ont dit si la conséquence n'est pas admissible, le principe d'où elle découle ne l'est pas non plus; un prétendu principe qui engendre des conséquences inacceptables est un faux principe.

La critique parait fondée : si l'on admet le principe, il faut admettre la conséquence. - C'est impossible, dit-on, car' on arriverait ainsi à exécuter un testament du vivant du testateur, ce qui est contraire à toutes les règles. Ne peuton pas répondre que, donner un effet immédiat à la reconnaissance, ce n'est pas exécuter le testament, par cette raison toute simple que la disposition qui contient la reconnaissance n'est pas une disposition testamentaire; il n'y a de telles que celles qui sont relatives aux biens (art. 895). Ce n'est pas plus une disposition testamentaire que la reconnaissance faite dans un contrat de mariage n'est une convention matrimoniale; et, de même qu'une telle reconnaissance peut produire son effet avant que le contrat de mariage ait force obligatoire, de même rien ne s'oppose à ce que la reconnais

(*) Duranton, III, n. 219; Héan, p. 278; Aubry et Rau, VI, § 568 quater, texte et note 2; Baret, Massonié, op. et loc. cit.; Vigié, I, n. 564. - Aix, 10 fév. 1806, J. G., vo cit., n. 505, S., 7. 2. 1 (sol. impl.). Cour de Corse, 5 juillet 1826, et 17 août 1829, J. G., vo cit., n. 596, S., 27. 2. 106, el 29. 2. 279.

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(*) Amiens, 9 fév. 1826, J. G., vo cit., n. 397, S., 29. 2. 151; Duranton, loc. cit.

PERS. IV.

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