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que l'enfant naturel exercerait contre eux en vue d'obtenir la réserve à laquelle il a droit.

3o Les autres enfants naturels reconnus de l'auteur de la reconnaissance. En contestant la reconnaissance, ils cherchent à écarter un concurrent dont la présence diminue leurs droits.

4o Les membres de la famille légitime, même lorsqu'ils n'agissent pas en qualité d'héritiers de l'auteur de la reconnaissance, dans le cas où la présence de l'enfant nuit à leurs intérêts pécuniaires. Il a été décidé, en ce sens, que si l'enfant a été légitimé par le mariage de ceux qui l'ont reconnu, le père de l'un de ceux-ci peut contester la reconnaissance, pour se soustraire à l'obligation de fournir à l'enfant des aliments (').

660 bis. Celui qui attaque une reconnaissance d'enfant naturel, conformément à l'art. 339, doit prouver qu'elle est contraire à la vérité. Une simple dénégation ne suffirait done pas à la faire tomber. La loi fait en effet de la reconnaissance le mode de preuve normal de la filiation naturelle. Elle la tient par suite pour exacte, jusqu'à la preuve du contraire (*). D'ailleurs, cette preuve peut se faire par tous les moyens propres à convaincre le juge, par conséquent même par témoins et par présomptions (3).

660 ter. L'action en nullité fondée sur la fausseté de la reconnaissance est-elle susceptible de s'éteindre par la prescription? Nous ne le pensons pas. L'état des personnes ne peut pas s'acquérir par la prescription. L'expiration d'un laps de temps, aussi long qu'on le suppose, ne peut avoir pour effet

( ) Lyon, 22 mai 1862, J. G., Suppl., vo cit., n. 238, S., 63. 2. 39.

(2) Aubry et Rau, VI, § 568, p. 160; Demolombe, V, n. 440; Laurent, IV, n. 73, 81; Massonié, op. cit., p. 55, 159; Huc, III, n. 104.

(3) Aubry et Rau, VI, § 568, p. 161, § 568 ter, p. 181; Demolombe, V, n. 434, 441; Laurent, IV, n. 74; Massonié, op. cit., p. 56; Planiol, I, n. 1489. — Dans le cas où un enfant naturel a été reconnu par deux hommes, ce n'est pas nécessairement à la plus ancienne des deux reconnaissances qu'il faut accorder la préférence. On ne peut non plus laisser le choix à l'enfant, car sa volonté n'a pas d'influence sur son état. Les juges prononceront d'après les circonstances. La possession d'état et le témoignage de la mère peuvent être pris en considération par eux, mais ce ne sont pas néanmoins des circonstances entièrement décisives (Demolombe, V, n. 444 s.).

de conférer à l'enfant une filiation à laquelle il n'a aucun droit. Il doit toujours être permis de contester la reconnaissance, sans que l'on puisse opposer à la contestation une fin de non-recevoir tirée de la prescription ('). Ce que nous disons doit d'ailleurs s'entendre seulement de l'état envisagé en lui-même et indépendamment de ses conséquences. Car les droits pécuniaires qui en découlent peuvent incontestablement être consolidés par la prescription. De même, lorsque la contestation ne peut être faite que sur le fondement d'un intérêt pécuniaire, l'action ne sera pas recevable si cet intérêt est lui-même prescrit.

De ce que nous venons de dire résulte cette conséquence que, lorsque la reconnaissance est viciée par le dol, l'erreur ou la violence, il ne sera plus permis, après l'expiration du délai de la prescription, de la critiquer pour cette cause, mais l'on pourra toujours la contester, en soutenant qu'elle est contraire à la vérité. Seulement, comme nous l'avons fait remarquer, le demandeur, pour réussir dans sa prétention, sera tenu de prouver que l'enfant n'a pas en réalité la filiation que lui attribue la reconnaissance (supra, n. 659 bis).

661. Le jugement rendu sur l'action qui tend à faire annuler la reconnaissance n'aura d'autorité que dans les relations des parties au procès. Dès lors, il faudra mettre en cause toutes les personnes auxquelles on veut que le jugement soit opposable. L'action doit donc être dirigée contre l'auteur de la reconnaissance et contre l'enfant ou ses représentants. Si l'enfant est mineur, on lui nomme, dans la pratique, un tuteur ad hoc. Mais, la loi n'exigeant pas cette nomination, elle n'est aucunement nécessaire pour la régularité de la procédure. L'enfant serait valablement représenté par son tuteur ordinaire. Les arrêts sont toutefois divisés sur ce point (2).

(1) Demolombe, V, n. 452; Aubry et Rau, VI, § 568 ter, texte et note 35; Laurent, IV, n. 70, 83; Massonié, op. cit., p. 163; Vigié, I, n. 572; Planiol, 1, n. 1492. Paris, 9 juil. 1885, D., 86. 2. 261. Cpr. Héan, p. 417.

(*) En notre sens, Cass., 27 janv. 1857, D., 57. 1. 196, S., 57. 1. 177. — Rouen, 14 mars 1877, D., 77. 2. 193, S., 80. 1. 241. Laurent, IV, n. 82; Massonié, op. cit., p. 161 s. D'après Demolombe, V, n. 449, un tuteur ad hoc devrait être nommé; il argumente par analogie de l'art. 318. Mais ce texte ne nous parait pas

CHAPITRE II

DE LA RECONNAISSANCE FORCÉE OU JUDICIAIRE

662. Dans certains cas, la loi admet l'enfant naturel qui n'a pas été l'objet d'une reconnaissance volontaire à établir judiciairement sa filiation. C'est ce qu'on appelle la recherche de la maternité ou de la paternité. Si l'enfant réussit dans cette recherche, c'est-à-dire s'il obtient une décision judiciaire déclarant que tel homme est son père naturel ou telle femme sa mère naturelle, sa filiation se trouve établie par une reconnaissance judiciaire ou forcée. Ces expressions peuvent paraître singulières, le mot reconnaissance semblant impliquer un fait volontaire de la part de celui qui reconnaît; mais la loi en autorise l'emploi, car les articles dans lesquels elle admet exceptionnellement la recherche de la paternité ou de la maternité sont placés dans la section II, chap. III, tit. VII, liv. I, intitulée : De la reconnaissance des enfants naturels. La loi considère donc aussi comme une reconnaissance la constatation judiciaire de la paternité ou de la maternité, et, pour la distinguer de la reconnaissance volontaire, on l'a appelée reconnaissance forcée ou judiciaire. L'observation a de l'importance. La constatation judiciaire de la paternité ou de la maternité constituant aux yeux de la loi une reconnaissance, il en résulte que les textes qui parlent des enfants naturels « légalement reconnus » sont applicables aux enfants dont la filiation est constatée judiciairement, aussi bien qu'à ceux dont la filiation est établie par une reconnaissance volontaire. Voyez notamment l'art. 756.

La loi a consacré à cette matière un petit nombre d'articles (art. 340, 341 et 342. Adde art. 339). Aussi présente-t-elle des lacunes nombreuses. Pour combler celles-ci, doit-on suivre par analogie les règles applicables à la filiation légitime?

devoir être appliqué. Dans le silence de la loi, ce sont les règles du droit commun qui doivent être suivies. — Cpr. en sens divers : Cass., 10 fév. 1847, D., 47. 1. 49, S., 47. 1. 81. Nimes, 7 mai 1879, D., 79. 2. 133. Nimes, 30 av. 1879, S., 79. 2. 185. — Cass., 10 mai 1882, D., 83. 1. 79, S., 82. 1. 313. D., 92. 2. 544, S., 93. 2. 24.

Paris, 28 juil. 1892,

Faut-il, au contraire, recourir à celles qui gouvernent la preuve des droits d'ordre pécuniaire ? Nous pensons, conformément au principe général que nous avons posé, que ces dernières doivent être, en principe, écartées. Nous devrons donc appliquer, dans la mesure du possible et à moins de motifs contraires tirés de la nature propre de la filiation naturelle, les textes relatifs à la filiation légitime.

SECTION PREMIÈRE

DE LA RECHERCHE DE LA MATERNITÉ

663. Dans notre ancien droit et dans le droit romain, on partait du principe mater semper certa est, et, sous l'empire de cette idée, on permettait, dans tous les cas et sans aucune restriction, la recherche de la maternité naturelle. Il n'y avait pas de principes spéciaux en ce qui concerne les preuves à fournir. L'enfant était autorisé à se servir de tous les moyens propres à justifier sa prétention. Ainsi s'explique le silence que les anciens auteurs gardent généralement sur ce point (1). Le législateur de l'époque intermédiaire laissa subsister les règles jusqu'alors suivies en France. Il faut arriver à la promulgation du code civil pour trouver sur la matière une réglementation précise.

664. Tandis que l'art. 340 interdit la recherche de la paternité, l'art. 331 établit, au contraire, en principe, que « La >> recherche de la maternité est admise ». Cette différence résulte de la nature même des choses. En effet, alors que la paternité échappe à nos investigations, la maternité se trahit par des faits extérieurs et positifs (grossesse et accouchement), susceptibles d'être prouvés avec le même degré de précision que les faits en général. Nous pouvons avoir la preuve de la maternité, tandis qu'en ce qui concerne la paternité, nous n'avons jamais que des présomptions.

La preuve à faire par l'enfant qui recherche judiciairement sa filiation à l'égard de sa mère est double: il doit établir, d'une part, le fait de l'accouchement de la femme qu'il

(, Baret, op. cit., p. 6.

réclame comme sa mère, et, d'autre part, son identité avec l'enfant dont cette femme est accouchée. La démonstration du premier fait n'implique pas celle du second. De ce qu'il est constant que telle femme a mis un enfant au monde à telle époque, il ne résulte pas que le réclamant soiť cet enfant; s'il le prétend, il doit le prouver, il doit établir son identité. Au contraire, la preuve de l'identité entraine nécessairement celle de l'accouchement si je prouve que je suis l'enfant dont telle femme est accouchée à telle époque, je prouve par cela même le fait de l'accouchement. On s'explique ainsi que l'art. 341 ne mentionne que la preuve de l'identité. « L'en» fant qui réclamera sa mère », dit l'alinéa 2 de cet article, « sera tenu de prouver qu'il est identiquement le même que » l'enfant dont elle est accouchée ». Cette disposition ne suppose nullement que l'enfant soit dispensé de faire la preuve de l'accouchement. Il en résulte seulement qu'il peut faire une preuve unique s'appliquant à l'accouchement et à l'identité tout à la fois.

665. Comment l'enfant fera-t-il cette preuve? L'obliger à fournir une preuve écrite, c'eût été lui demander, en fait, à peu près l'impossible. En l'absence d'un aveu de la mère, l'enfant n'aura, la plupart du temps, qu'un seul moyen d'établir sa filiation maternelle, savoir la preuve par témoins. Mais cette preuve est dangereuse; en l'admettant sans réserves, on aurait permis à d'audacieux intrigants de se procurer, à l'aide de faux témoignages, une filiation qui ne leur appartient pas. Aussi le législateur n'en autorise-t-il ici l'emploi que lorsque l'enfant a un commencement de preuve par écrit. C'est ce qui résulte de l'alinéa 3 de l'art. 341, ainsi conçu « Il ne sera reçu à faire cette preuve par témoins que lorsqu'il » aura déjà un commencement de preuve par écrit » (').

Si on compare ce texte avec l'art. 323, qui détermine les conditions moyennant lesquelles la preuve testimoniale est admise pour prouver la filiation maternelle légitime, on re

() Le C. civ. néerlandais, dans son art. 343, reproduit cette disposition en termes identiques. - Cpr. C. civ. italien, art. 190. Au contraire, l'action en recherche de maternité n'est pas soumise à ces restrictions dans les législations espagnole (C. civ., art. 136) et portugaise (C. civ., art. 131).

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