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marque une différence qui ne peut guère être mise sur le compte d'une inadvertance de la part du législateur. L'art. 323 considère comme équivalant au commencement de preuve par écrit, à l'effet de donner passage à la preuve testimoniale, les « présomptions ou indices résultant de faits dès lors constants », lorsque le juge leur trouve une gravité suffisante. L'article 341 ne nous parle plus de ces présomptions ou indices, et de là nous concluons qu'ils ne pourraient pas suppléer le commencement de preuve par écrit pour autoriser l'admission de la preuve par témoins de la maternité naturelle. A ce point de vue, comme à bien d'autres, le législateur fait un accueil moins favorable à la prétention de l'enfant naturel qu'à celle de l'enfant légitime ('). ·

666. En quoi doit consister le commencement de preuve par écrit requis par l'article 341? Les auteurs décident généralement qu'il faut se référer à la définition qui en est donnée par l'article 1347 et non à celle qu'en donne l'article 324. Si cette solution était fondée, il en découlerait que le commencement de preuve par écrit, exigé pour donner passage à la preuve par témoins de la maternité naturelle, devrait nécessairement consister dans un écrit émané du défendeur (ordinairement la mère prétendue) ou de celui qu'il représente (art. 1347); il ne pourrait donc pas résulter, conformément à l'article 324, des titres de famille, des registres et papiers domestiques de la mère, ni des actes publics ou privés émanés d'une partie engagée dans la contestation ou qui y aurait intérêt si elle était vivante. Pour justifier cette solution, on dit d'abord que l'article 1347 contient la règle générale qu'il

(1) Toullier, II, n. 944, 945; Duranton, III, n. 237; Massé et Vergé sur Zachariæ, 1, § 170, note 2 in fine; Demante, II, n. 70; Demolombe, V, n. 502; Aubry et Rau, VI, § 570, texte et note 17; Laurent, IV, n. 109; Barel, op. cit., p. 93; Huc, III, n. 89; Planiol, I, n. 1515. Cass., 28 mai 1810, J. G., yo Paternité, n. 624, S., 10. 1. 193. Cass., 28 juil. 1825, J. G., vo cit., n. 619. - Grenoble, 24 janv. 1844, D., 45. 2. 105, S., 45. 2. 341. Toulouse, 13 juil. 1846, D., 48. 2. 63, S., 48. 2. Caen, 1er mars 1860, D., 61. 2. 12, S., 61. 2. 185. Paris, 13 juil. 1863, D., 64. 1. 249 et la note, S., 64. 1. 209, (sous Cass., 13 avril 1864). Toulouse, 2 mai 1866 (motifs), D., 66. 2. 83. Contra Zachariæ, I, § 170, note 2 in fine. Le C. civ. italien (art. 190) décide que la preuve par témoins sera admise si l'enfant a déjà un commencement de preuve par écrit, ou si les indices résultant de faits déjà certains sont assez graves pour en déterminer l'admission.

116.

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PERS. IV.

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convient de suivre dans le silence de la loi; l'article 324 est un texte exceptionnel, dont la disposition doit être interprétée restrictivement. On invoque, en outre, l'esprit de la loi qui se montre beaucoup plus sévère pour la preuve de la filiation naturelle que pour celle de la filiation légitime. Le code, comme nous venons de le voir, n'admet pas que les présomptions ou indices résultant de faits dès lors constants, quelle que soit leur gravité, puissent suppléer le commencement de preuve par écrit pour l'admission de la preuve testimoniale. Il n'est donc pas vraisemblable qu'il ait pu considérer des écrits émanant de tiers comme constituant un commencement de preuve par écrit suffisant pour autoriser l'admission de la preuve testimonialé (1).

Il nous semble qu'en interprétant ainsi la loi on en exagère la rigueur. On aboutit, en effet, à mettre le plus souvent l'enfant dans l'impossibilité de prouver par témoins sa filiation maternelle. Parmi les mères naturelles, il en est beaucoup qui ne savent pas écrire ou qui le savent à peine, et celles qui le savent se gardent bien, quand elles veulent que leur maternité demeure ignorée, de fournir à l'enfant des armes contre elles-mêmes. D'ailleurs le législateur, en exigeant dans l'art. 341 un commencement de preuve par écrit, sans définir cette expression, n'a guère pu que se référer à la définition qu'il en avait déjà donnée en matière de filiation légitime. Comment admettre qu'il se soit reporté par la pensée à l'art. 1347 qui n'existait pas encore? On dit, il est vrai, dans le sens de l'opinion adverse, que l'art. 1347 contient le droit commun en matière de commencement de preuve par écrit, et que, dans le silence de la loi, c'est le droit commun qui doit être appliqué. Nous répondons que l'art. 1347 renferme le droit commun en matière pécuniaire, mais non en ce qui concerne les questions d'état. Il faut s'en tenir aux textes relatifs à la filiation. Sans doute, l'art. 324 ne statue qu'en vue de la filiation légitime. Mais n'est-il pas rationnel

(1) Ducaurroy, Bonnier et Roustain, I, n. 500; Zachariæ, I, § 170, p. 332; Demolombe, V, n. 503; Aubry et Rau, VI, § 570, texte et notes 18, 19; Laurent, IV, n. 110, 111; Baret, op. cit., 92. p. Paris, 17 juil. 1858, S., 58. 2. 534. Paris, 13 juil. 1863 et Toulouse, 2 mai 1866, supra.

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de s'en servir pour interpréter l'art. 341? Cette solution nous paraît conforme à la volonté du législateur (1).

667. Le commencement de preuve par écrit doit rendre vraisemblable la prétention du réclamant. Or, que prétendil? Que la femme qu'il affirme être sa mère est accouchée, et qu'il est l'enfant dont elle est accouchée. Sa prétention implique l'existence de ces deux faits accouchement, d'une part; identité, d'autre part (art. 341). Donc, le commencement de preuve par écrit doit les rendre vraisemblables l'un et l'autre.

Il ne suffirait pas, par conséquent, que le commencement de preuve par écrit fourni par l'enfant rendit vraisemblable le fait de l'accouchement; il doit rendre, en outre, vraisemblable le fait de l'identité. L'art. 341 l'exige formellement. L'exigence de la loi se comprend d'ailleurs. Autrement, comme le dit Demante, « il suffirait à un aventurier de s'être procuré des indices écrits de la faute commise par une femme, pour arriver, à l'aide de témoignages achetés, à se faire passer pour son fils ».

Mais la loi serait satisfaite si le commencement de preuve par écrit rendait vraisemblable le fait de l'identité; car il rendrait par cela même vraisemblable le fait de l'accouchement. On s'explique ainsi que l'art. 341 semble n'exiger le commencement de preuve par écrit que pour l'identité seulement (2).

(') Richefort, II, n. 335; Marcadé, sur l'art. 341, n. 3; Héan, p. 439; Demante, II, n. 70 bis, III; Bonnier, Des preuves, 4o édit., I, n. 219; Arntz, I, n. 611; Vigié, I, n. 585; Huc, III, n. 89; Planiol, I, n. 1513. Cass., 2 fév. 1814, J. G., vo cit., n. 619, S., 69. 1. 5, en note. Paris, 7 juil. 1838, D., 45. 2. 105, S., 45. 2. 194, en note. Paris, 30 avril 1859, D., 60. 2. 178, S., 60. 2. 625. - Trib. Bayonne, 2 fév. 1864, D., 64. 2. 159. Caen, 19 janv. 1867, S., 68. 2. 86. - Paris, 4 fév. 1867, S., 67. 2. 97. — Cass., 23 nov. 1868, D., 69. 1. 26 et la note, S., 69. 1. 5 et la note de M. Pont. — Douai, 29 janv. 1879, D., 80. 2. 213, S., 79. 2. 195.

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· PoiPau, juil. 1885 (motifs), D., 86.

Cpr. Toulouse, 2 fév. 1884, D.,

(*) Richefort, II, n. 328 s.; Duvergier sur Toullier, I, n. 942, note 1; Duranton, III, n. 240; Marcadé, II, sur l'art. 341, n. 3; Ducaurroy, Bonnier et Roustain, 1, n. 500; Zachariæ, I, § 170, note 2; Demante, II, n. 70 bis, II; Demolombe, V, n. 500; Aubry et Rau, VI, § 570, texte et notes 11 et 15; Bonnier, op. cit., I, n. 220; Laurent, IV, n. 112; Arntz, I, n. 611; Baret, op. cit., p. 92; Huc, III, n. 89. Cpr. Planiol, I, n. 1511, 1512.

Certains auteurs ont présenté une autre interprétation de l'art. 341. Ce texte, disent-ils, ne vise que la preuve de l'identité et a exclusivement pour objet de déterminer les conditions sous lesquelles cette preuve pourra être faite par témoins. Il suppose que le fait de l'accouchement est légalement établi ('). Dès lors, avant d'être admis à prouver par témoins son identité, l'enfant sera tenu de faire au préalable la preuve de l'accouchement de sa prétendue mère. En l'absence d'un aveu émanant de celle-ci, comment cette preuve devra-t-elle être faite ? C'est ce que l'art. 341 n'a pas indiqué. Dans un premier système, l'accouchement ne serait susceptible d'être prouvé qu'à l'aide d'un acte écrit, l'acte de naissance. La règle en matière d'état est en effet que la preuve doit se faire par titre, et cette règle doit recevoir son application du moment que la loi n'y a pas dérogé. Il en résulte que, si l'enfant a été inscrit sous de faux noms ou comme né d'une mère inconnue, il ne lui sera pas permis de prouver par témoins l'accouchement de la femme qu'il réclame comme sa mère, alors même que sa prétention serait rendue vraisemblable par un commencement de preuve par écrit (*).· - Dans une autre opinion, le fait de l'accouchement pourrait toujours se prouver par témoins, sans qu'il fût même besoin d'un commencement de preuve par écrit. Dans le silence de la loi, il faut suivre le droit commun or le droit commun est que les faits matériels sont susceptibles d'être établis par le moyen de la preuve testimoniale (3). · Enfin, dans une troisième opinion, l'accouchement ne pourrait être prouvé par témoins que moyennant un commencement de preuve par écrit. Sans doute l'art. 341 n'en parle pas. Mais, l'accouchement étant le fait principal et l'identité le fait secondaire, il est évident que la loi n'a pas pu vouloir admettre plus faci

(1) Merlin, Quest. de droit, vo Maternité; Loiseau, op. cit., p. 412; Delvincourt, I, p. 93, note 10; Toullier, II, n. 942 s. Cpr. Planiol, loc. cit. La jurisprudence paraît avoir adopté cette manière de voir (Cf. les arrêts cités infra, n. 669, note 1, p. 650). Quelques arrêts se l'approprient formellement. V. notamment Cass., 12 juin 1823, J. G., vo cit., n. 621. - Cass., 1er juin 1853, D., 53. 1. 177, S., 53. 1. 481. Cass., 23 nov. 1868, D., 69. 1. 26, S., 69. 1. 5.

(2) Toullier, loc. cit.

(3) Delvincourt, I, p. 93, note 10.

Cpr. Planiol, I, n. 1511.

lement la preuve du premier que celle du second (1). Comme on le voit, cette opinion aboutit en fait, quoique par une voie différente, aux solutions pratiques que nous avons proposées.

668. Il faut donc que le réclamant produise un commencement de preuve par écrit et que celui-ci rende vraisemblables et le fait de l'accouchement et celui de l'identité. Indiquons quelques applications de ce principe. Des lettres émanées de la femme que l'enfant réclame comme étant sa mère suffiront à faire admettre la preuve testimoniale, si elles rendent vraisemblable l'identité du réclamant avec l'enfant dont elles révèlent la naissance; mais il en sera autrement dans le cas contraire. De même, une reconnaissance par acte sous seing privé, émanée de la mère, ne serait pas toujours suffisante à elle seule pour faire admettre à la preuve testimoniale l'enfant qui s'en prévaudrait. Car, si cette reconnaissance rend vraisemblable l'accouchement de la femme qui en est f'auteur, elle ne rend pas nécessairement vraisemblable l'identité du réclamant avec l'enfant dont elle est accouchée (*). On a cependant prétendu que, dans tous les cas, l'enfant pourrait s'en servir pour se faire autoriser à l'emploi de la preuve testimoniale. En effet, a-t-on dit, la reconnaissance par acte sous seing privé rend nécessairement vraisemblables les deux faits suivants : 1° que la femme de laquelle elle émane est accouchée; 2° que l'enfant mis au monde par elle est celui qui est visé par l'acte. Dès lors, il suffira à l'enfant de prouver par témoins, en invoquant la possession d'état qu'il avait au moment de l'acte, qu'il est précisément celui auquel s'applique la reconnaissance. L'art. 341, dit-on, ne s'y oppose pas. Car il ne s'agit pas, pour l'enfant, de prouver sa filiation maternelle. Le réclamant demande seulement à prouver qu'il est visé par l'acte de reconnaissance. Cette démonstration une fois faite, il est évident que l'acte dont il s'agit rendra vraisemblable son identité avec l'enfant dont la femme est accouchée. Dès lors, il faudra admettre le réclamant à prouver par témoins, conformément à l'art. 341, non

(') Merlin, Quest. de droit, vo Maternité, p. 421. (2) Laurent, IV, n. 113.

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