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ment au profit de la femme, seule créancière des dommagesintérêts, et qu'il ait une cause réelle, c'est-à-dire que la séduction ait été opérée dans des conditions telles, qu'elle ait donné naissance à une obligation fondée sur l'art. 1382. La promesse n'aurait aucune valeur si elle était faite aux enfants de la femme séduite. Le séducteur n'est tenu d'aucun devoir envers ceux-ci, puisqu'il n'est pas prouvé qu'ils sont issus de ses œuvres. Dès lors, l'obligation que l'homme contracterait en leur faveur serait nulle pour défaut de cause, ou, si on la considérait comme une donation, elle serait inexistante pour vice de forme (').

La jurisprudence va plus loin en général. Considérant que le séducteur est tenu de réparer toutes les conséquences de ses actes, même de pourvoir à l'entretien des enfants nés de la femme séduite, elle valide les engagements pris par lui, même en ce qui concerne les enfants. Pour elle, la vraie cause de l'obligation qu'il a contractée, c'est la paternité. Sans doute, celle-ci n'est pas prouvée. Mais il suffit que le séducteur croie à sa paternité, pour qu'il soit tenu d'un devoir de conscience. Ce devoir de conscience se transforme en une obligation civile par une sorte de novation. Il n'y a pas là une donation; dès lors, un écrit sous seing privé est suffisant pour constater l'engagement (*).

(') Laurent, IV, n. 93. — Nîmes, 21 déc. 1875, supra. supra.

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(*) Décidé en ce sens, dans des hypothèses où la mi re, n'ayant été victime d'aucun abus ni d'aucune manœuvre dolosive engageant envers elle la responsabilité de son séducteur, celui-ci avait pris, soit directement au profit des enfants, soit envers elle, l'engagement de subvenir aux besoins des enfants.

Montpellier,

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7 déc. 1843, D., 44. 2. 122. Bordeaux, 5 août 1847, D., 48. 2. 97, S., 48. 2. 231. - Bordeaux, 5 janv. 1848, D., 48. 2. 97, S., 48. 2. 308. Cass., 27 mai 1862, D., 62. 1. 208, S., 62. 1. 566. · Limoges, 22 janv. 1864, D., 64. 2. 197. Angers, 30 avril 1873, D., 73. 2. 139, S., 73. 2. 281. Angers, 11 août 1871, et Cass., 15 janv. 1873, D., 73. 1. 180. Aix, 8 avril 1873, D., 74. 2. 55, S., 73. 2. 281. Nimes, 22 déc. 1875, D., 76. 2. 206. Paris, 14 fév. 1877, supra. Orléans, 2 mars 1881, supra. Cass., 3 avril 1882, D., 82. 1. 250, S., 82. 1. 404. — Lyon, 30 déc. 1890, D., 91. 2. 309. Dijon, 27 mai 1892, supra. Paris, 30 juin 1893, D., 94. 2. 526. Lyon, 30 mai 1895, supra. A fortiori, la jurisprudence tientelle l'engagement pour valable, lorsque la mère est autorisée à réclamer des dommages-intérêts. L'engagement pris par le séducteur de subvenir à l'entretien des enfants a pour cause, dans ce cas, non seulement la satisfaction d'un devoir de conscience et d'honneur, mais encore le quasi-délit commis par celui qui se recon

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Cette théorie nous paraît difficilement admissible. On comprend très bien que l'exécution d'une obligation naturelle ne constitue pas une donation. Mais y a-t-il ici une obligation naturelle? Si la paternité était prouvée, il y aurait une véritable obligation civile pesant sur le père au profit des enfants. Mais elle n'est pas prouvée, puisque le séducteur n'a pas fait d'acte de reconnaissance. Dès lors, le séducteur n'est aucunement engagé. S'il a des scrupules de conscience, cela ne suffit pas à valider l'engagement qu'il a pris, ces scrupules, après tout, pouvant ne pas être fondés. La loi ne les connaît, ni ne les sanctionne. L'acte par lequel une personne, obéissant à un scrupule de cette nature, fait un avantage pécuniaire à une autre, constitue une donation ordinaire. C'est une pure libéralité. Admettre le système de la jurisprudence, ce serait réduire singulièrement le domaine de la donation. En conséquence, il faut, semble-t-il, décider que l'engagement pris est sans valeur, pour n'avoir pas été revêtu des formes solennelles prescrites par l'art. 931 (1).

En réalité, les tribunaux ont été entraînés par des considérations d'équité, fort respectables, peut-être même invincibles, mais qui ne peuvent prévaloir contre la disposition formelle de la loi. Ils ont apporté à celle-ci une limitation qu'elle ne nous paraît pas comporter.

§ II. Exception au principe de prohibition.

681. Le principe que la recherche de la paternité est interdite comporte une exception que l'art. 340 formule ainsi : « Dans le cas d'enlèvement, lorsque l'époque de cet enlève»ment se rapportera à celle de la conception, le ravisseur » pourra être, sur la demande des parties intéressées, déclaré père de l'enfant ». La rédaction de ce texte a été des plus

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naît débiteur. Montpellier, 10 mai 1851, supra. - Caen, 10 juin 1862, supra.
Cass., 26 juill. 1864, supra.
Nancy, 12 nov. 1896, supra. Dans le même sens,
Duranton, III, n. 229; Richefort, II, n. 270; Zachariæ, I, § 167, texte et note 18. —
Cpr. Laurent, loc. cit.; Planiol, I, n. 1530.

(1) Merlin, Rép., vo Aliments, § 1, art. 2, n. 9; Valette sur Proudhon, II, p. 179; Massé et Vergé sur Zachariæ, I, § 167, note 18; Demolombe, V, n. 426; Arn'z, I, n. 601.

laborieuses. On avait d'abord admis que, même au cas de viol ou d'enlèvement, la recherche de la paternité ne serait pas admise, mais qu'il y aurait lieu simplement de condamner le ravisseur à payer des dommages-intérêts, soit à la mère, soit à l'enfant. Tel fut le système qui fut consacré, avec des variantes, par les trois premières rédactions de l'art. 340 ('). Puis l'on se rallia à l'idée d'autoriser les juges à prononcer la paternité du ravisseur et à proclamer l'existence d'un lien de paternité et de filiation naturelle entre lui et l'enfant issu de la femme victime de l'enlèvement (2). Dans sa rédaction définitive, le texte ne prévoit plus que le cas d'enlèvement. Quel est le sens de cette expression?

682. Il est bien certain que la recherche de la paternité sera possible au cas où l'enlèvement a eu lieu avec violence. Mais en est-il de même si la femme a volontairement suivi son séducteur (rapt de séduction)? Beaucoup d'auteurs admettent l'affirmative, et cette solution a été consacrée par la jurisprudence dans les espèces, rares d'ailleurs, à propos desquelles elle a été appelée à trancher la question (3).

La jurisprudence et les auteurs qui partagent sa manière de voir insistent principalement sur cette idée que le législateur paraît avoir surtout pris en considération la séquestration plus ou moins volontaire à laquelle la femme a été soumise, la possession exclusive dont elle a fait l'objet et qui rend la paternité du ravisseur, sinon certaine, du moins très vraisemblable. Il s'est beaucoup moins préoccupé des conditions dans lesquelles l'enlèvement lui-même a eu lieu; il n'a pas voulu distinguer suivant que cet enlèvement a été opéré avec violence ou que la femme a suivi volontairement son ravisseur, à la suite de promesses ou de manœuvres plus ou

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(3) Valette sur Proudhon, II, p. 137, nole a, I; Duvergier sur Toullier, II, n. 940, note a; Marcadé, II, art. 340, n. 2; Richefort, II, n. 304 et 306; Zachariæ, Massé et Vergé sur Zachariæ, I, § 169, texte et note 4; Ducaurroy, Bonnier et Roustain, I, n. 497; Demante, II, n. 69 bis, V; Huc, III, n. 88; Vigié, I, n. 577; Planiol, I, n. 1533. — Paris, 28 juill. ou 29 mars 1821, J. G., vo cit., n. 603, S., 21. 2. 235. Cpr. Demolombe, V, n. 490; Héan, p. 427; Baret, op. cit., p. 97 s. - Bordeaux, 30 juin 1885, D., 86. 2. 151, S., 87. 2. 57 et la note.

PERS. IV.

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moins frauduleuses. On peut donc prendre le mot enlèvement dans son acception la plus large et l'entendre même du rapt de séduction. L'expression « enlèvement » que nous trouvons dans l'art. 340 correspond au mot « rapt » dont on se servait dans l'ancien droit. Or, le rapt ne supposait pas nécessairement la violence ('). Il est infiniment probable que les rédacteurs du code civil ont entendu prendre le synonyme enlèvement avec la même acception. Le mot enlèvement peut comprendre même l'enlèvement accompli sans violence.

Cette argumentation ne nous paraît pas absolument décisive. L'art. 340, al. 2, prévoit formellement le cas d'enlèvement. Le texte étant exceptionnel, puisqu'il déroge au principe édicté par l'al. 1, il faut l'interpréter restrictivement. Dès lors, des diverses acceptions que peut avoir l'expression dont se sont servis les rédacteurs du code civil, c'est la moins compréhensive qui doit être adoptée. Or, le mot enlèvement implique une idée de violence, comme on peut le voir en consultant le dictionnaire de l'Académie. Cette induction est confirmée par les travaux préparatoires. Au cours de la discussion, les différents orateurs paraissent s'être attachés seulement au cas où la femme est enlevée par la violence (2). Ils ont supposé que la femme est enlevée contre sa volonté, séquestrée et tenue en chartre privée par son ravisseur. Telle est l'interprétation que Duveyrier, notamment, dans son discours au corps législatif, semble donner de l'art. 340 (3). D'un autre côté, la loi pénale en vigueur au moment de la confection du code civil (L. 25 sept.-6 oct. 1791, tit. II, sect. I, art. 32) ne prévoyait que l'enlèvement par violence, et il devient ainsi probable que notre législateur n'a songé qu'à cet enlèvement. Ainsi entendu, le système du code est absolument rationnel. Si la loi permet exceptionnellement la recherche de la paternité, c'est lorsque les circonstances sont telles qu'elles rendent, sinon certaine, du moins très vrai

(1) Pothier, Du contrat de mariage, part. III, ch. III, art. 6, § 1 el 2; Denizarl, vo Rapt, n. 2; Merlin, Rép., v° Rapt. V. aussi Duguit, Etude historique sur le rapt de séduction, Nouvelle Revue historique, 1886, p. 587 s.

(2) Locré, VI, p. 119 s., 183 s.

(3) Locré, VI, p. 322.

semblable la paternité du ravisseur. Or, la présomption de paternité attachée au rapt de séduction est beaucoup moins forte que celle qui découle du rapt de violence; car, dans le premier cas, la fille ravie conserve sa liberté, qu'elle perd dans le second où elle se trouve soumise à la puissance exclusive du ravisseur (').

683. Le mot enlèvement implique aussi une idée de déplacement, et on est autorisé à en conclure qu'il ne faudrait pas appliquer l'art. 340 au cas de viol. Le texte doit en effet être interprété restrictivement. L'intention du législateur de soustraire le cas de viol à l'application de l'art. 340 paraît d'autant moins douteuse, que, dans les divers remaniements successifs qu'a subis l'art. 340, remaniements qui ont eu pour résultat de le dénaturer complètement, le mot enlèvement a été en définitive substitué aux mots rapt ou viol qui figuraient dans les rédactions précédentes. D'ailleurs, la raison de décider n'est pas la même. Le viol n'implique qu'une possession momentanée; il n'en résulte pas une probabilité de paternité assez puissante pour que la loi ait cru devoir déroger à la règle qui prohibe la recherche de la paternité naturelle (2). La jurisprudence n'a pas eu à se prononcer sur ce point. Quant à la doctrine, elle est divisée.

Un assez grand nombre d'auteurs assimilent le viol à l'enlèvement. Le viol a été, il est vrai, exclu de la rédaction définitive, disent ces auteurs. Mais ce retranchement n'a pas la signification que nous lui attribuons. On l'a peut-être opéré, tout simplement pour cette raison que le viol a été considéré par les rédacteurs du code comme une espèce d'enlèvement. Le viol est un enlèvement momentané. Comme l'enlèvement, il met la femme en la possession de l'homme. Si l'on admet la recherche de la paternité au cas d'enlèvement, on doit a fortiori l'autoriser lorsque la femme a été victime d'un viol. Le viol implique nécessairement une violence opérée sur la

(1) Consultation rapportée dans S., 21. 2. 236. et note 15; Arntz, I, n. 606; Laurent, IV, n. 96. 30 juin 1885, cité supra.

Aubry et Rau, VI, § 569, texte

Cpr. l'arrêt de Bordeaux du

(2) Ducaurroy, Bonnier et Roustain, I, n. 498; Aubry et Rau, VI, § 569, texte et note 16; Huc, III, n. 88; Planiol, I, n. 1533.

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