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femme et un rapprochement effectif, tandis que l'enlèvement, même par la violence, fait seulement présumer le rapprochement, mais sans que celui-ci soit certain. Il résulte donc du viol une probabilité de paternité pour le moins aussi forte qu'au cas d'enlèvement. Enfin on invoque des raisons morales pour le décider ainsi. Voilà une femme qui a été victime d'un délit. Si elle est sans reproche, pourquoi ne pas lui permettre de donner un père à son enfant (1)?

684. En désaccord sur les questions qui précèdent, les auteurs s'accordent à peu près pour reconnaître que la disposition de l'art. 340 est complètement indépendante des dispositions de la loi pénale relatives à l'enlèvement. Le code pénal en vigueur au moment de la promulgation du code civil (L. 25 sept.-6 oct. 1791) ne punissait spécialement que l'enlèvement avec violence des filles mineures de 14 ans. Il serait déraisonnable de penser que l'art. 340 autorise dans ce cas seulement la recherche de la paternité. Les rédacteurs du code n'ont pu évidemment penser exclusivement à l'enlèvement d'une femme mineure de 14 ans qui serait devenue mère à la suite du rapt. De ce que nous venons de dire, il résulte deux conséquences:

1° Lorsque l'enlèvement constitue un crime prévu et puni par la loi pénale, il n'est pas nécessaire que la justice criminelle ait statué, pour que les intéressés puissent réclamer l'application de l'art. 340 (). Cette solution est cependant contredite par Loiseau et Toullier (3), qui ne donnent d'ailleurs aucun argument pour justifier leur opinion.

2o Peu importe l'âge de la femme enlevée. L'art. 340 n'établit aucune distinction entre le cas où elle est majeure et celui où elle est mineure. Il est vrai que l'enlèvement par

(1) Loiseau, op. cit., p. 418, 419; Richefort, II, n. 306; Toullier, II, n. 941; Valette sur Proudhon, II, p. 137, note a, II; Marcadé, sur l'art. 340, n. 2; Zachariæ, et Massé et Vergé sur Zachariæ, I, § 169, texte et note 6; Héan, p. 425; Demante, II, n. 69 bis, II et III; Bonnier, Des preuves, I, n. 221; Demolombe, V, n. 491; Baret, op. cit., p. 99-100; Arntz, I, n. 606.

(*) Duvergier sur Toullier, I, n. 941, note a; Demolombe, V, n. 492; Aubry et Rau, VI, § 569, texte et note 14; Laurent, IV, n. 95; Arntz, I, n. 607; Baret, op. cit., p. 100.

(3) Loiseau, op. cit., p. 418; Toullier, II, n. 941.

fraude ou violence n'est puni comme tel par l'art. 354 du code pénal qu'autant qu'il a été pratiqué sur une personne mineure. Mais autre est la question de savoir dans quelles conditions l'enlèvement constitue un fait délictueux; autre la question de savoir dans quels cas la loi autorise la recherche de la paternité. Ce n'est point parce que l'enlèvement tombe sous le coup de la loi pénale que la recherche de la paternité est permise. C'est parce que les circonstances rendent vraisemblable la paternité du ravisseur ('). Cette solution est admise sans difficulté pour l'enlèvement pratiqué avec violence. L'accord est moins complet, au cas d'enlèvement par séduction, entre les auteurs qui admettent, dans cette hypothèse, la recherche de la paternité. Si la séduction a été obtenue par des manœuvres dolosives, ils ne distinguent pas suivant l'âge de la femme. Mais, d'après quelques-uns, la recherche de la paternité ne serait pas admise, si l'enlèvement a eu lieu sans fraude et que la femme soit majeure. La femme majeure est libre de demeurer où elle le juge convenable. Si donc elle a volontairement suivi son ravisseur, on ne peut pas dire qu'elle a été enlevée, et, dès lors, l'art. 340 est sans application possible (2).

685. Pour que le ravisseur puisse être déclaré le père de l'enfant, il faut, nous dit l'art. 340, que l'époque de l'enlèvement se rapporte à celle de la conception. Quelles règles faut-il suivre pour faire cette détermination? Certains auteurs enseignent que les juges ne sont pas liés par les règles écrites dans les art. 312 s. Ils seront libres d'apprécier en fait l'époque à laquelle a eu lieu la conception de l'enfant (3). Nous pensons, au contraire, avec la doctrine en général, que les présomptions établies par les art. 312 s., en ce qui concerne l'époque probable de la conception, devront être appli

(1) Duvergier sur Toullier, I, n. 940, note a ; Marcadé, sur l'art. 340, n. 2; Massé et Vergé sur Zachariæ, I, § 169, note 4; Ducaurroy, Bonnier et Roustain, I, n. 497; Bonnier, op. cit., I, n. 221; Aubry et Rau, VI, § 569, texte et note 11; Laurent, IV, n. 97; Arntz, I, n. 606; Vigié, I, n. 377; Planiol, I, n. 1533.

(*) Richefort, II, n. 308; Valette sur Proudhon, II, p. 137, note a; Demante, II, n. 69 bis, V; Demolombe, V, n. 490; Héan, p. 429; Huc, III, n. 88. — Cpr. Baret, op. cit., p. 97 s.

(3) Laurent, IV, n. 98; Huc, III, n. 88; Planiol, I, n. 1534.

quées. Mais il faut bien comprendre le sens de cette proposition. Les art. 312 s. se sont bornés à déterminer, d'une manière indirecte d'ailleurs (v. supra, n. 437), les limites entre lesquelles la conception sera réputée avoir eu lieu. Mais ils n'ont pas dit à quel moment précis de cette période l'enfant sera présumé avoir été conçu, ou du moins, ils ont laissé à l'enfant la liberté de choisir lui-même, dans l'intérêt de sa légitimité, le moment de sa conception. Donc le tribunal ne pourra pas, à notre avis, déclarer la paternité du ravisseur, si l'époque de l'enlèvement ne coïncide à aucun moment avec la période légale de la conception. Mais nous ne voulons pas dire que les juges soient tenus de déclarer le ravisseur père de l'enfant dans le cas où la période pendant laquelle la femme a été sous le pouvoir de son ravisseur se place entre les deux limites extrêmes de la période légale de la conception. Notre proposition n'est évidemment en rien contraire à la règle des art. 312 s., dans le cas où la séquestration n'a pas duré pendant tout l'intervalle qui sépare le 180 du 300 jour avant la naissance. Car, en vertu même de cette règle, l'enfant a pu être conçu à un moment où sa mère n'était pas encore ou n'était plus en la possession de celui qui l'a enlevée. Il faut décider de même au cas où la séquestration aurait duré pendant toute la période légale de la conception. Car l'art. 340 laisse toute liberté au tribunal. Il ne lui fait pas l'obligation de déclarer la paternité du ravisseur. Le juge doit donc tenir compte des circonstances (').

Il n'est pas d'ailleurs nécessaire que le fait même du rapt ait eu lieu pendant la période légale de la conception. Il faut et il suffit qu'il y ait coïncidence entre cette période et le temps pendant lequel la femme a été au pouvoir de son ravisseur (*).

(1) Loiseau, op. cit., p. 418; Richefort, II, n. 305; Toullier, II, n. 941; Marcadé, sur l'art. 340, n. 2; Zachariæ, et Massé et Vergé sur Zachariæ, I, § 169, texte et note 5; Ducaurroy, Bonnier et Roustain, I, n. 497; Demante, II, n. 69 bis, VIII; Héan, p. 431; Aubry et Rau, VI, § 569, p. 193 et note 13; Demolombe, V, n. 493; Arntz, I, n. 606 et 608; Vigié, I, n. 577. · Cpr. Duranton, III, n. 234. (2)Demante, loc. cit.; Aubry et Rau, VI, § 569, texte et note 13. 29 mars ou 28 juillet 1821, J. G., vo cit., n. 603, S., 21. 2. 235. — Cpr. seau, op. et loc. cit.

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Paris, cep. Loi

686. De ce que nous venons de dire il résulte évidemment que la recherche de la paternité ne peut pas avoir lieu avant l'accouchement de la femme. Car c'est à ce moment-là seulement qu'il est possible de savoir si les conditions requises par l'art. 340 se trouvent réunies (').

687. La preuve des faits dont nous venons de parler peut être faite par tous modes quelconques, puisque la loi ne contient à cet égard aucune disposition spéciale. La preuve par témoins sera donc admissible, sans qu'il soit besoin d'un commencement de preuve par écrit. L'art. 340 ne l'exige pas, et il aurait été d'ailleurs déraisonnable et injuste de subordonner à une pareille condition l'admission de la preuve testimoniale (2).

SECTION III

RÈGLES COMMUNES A LA RECHERCHE DE LA PATERNITÉ ET A CELLE DE LA MATERNITÉ NATURELLES

§ I. Prohibition de la recherche de la filiation adultérine ou incestueuse.

688. Aux termes de l'art. 342: « Un enfant ne sera jamais » admis à la recherche soit de la paternité, soit de la mater» nité, dans les cas où, suivant l'art. 335, la reconnaissance » n'est pas admise » (3). L'art. 342 vient donc compléter l'art. 335 et s'explique de la même manière. Il soumet la reconnaissance forcée à la même règle que la reconnaissance volontaire. La filiation adultérine ou incestueuse ne peut être ni recherchée en justice, ni reconnue volontairement.

689. La loi interdit formellement à l'enfant de rechercher sa filiation, lorsque celle-ci est adultérine ou incestueuse. Mais la prohibition qu'elle édicte s'étend également à l'action que les adversaires de l'enfant voudraient intenter contre celui-ci. En d'autres termes, la recherche de la filiation adul

(1) Demolombe, loc. cit.

(*) Demolombe, V, n. 495; Demante, II, n. 69 bis, VII; Arntz, I, n. 608; Vigié, loc. cit.

(3) Cpr. Codes civ. portugais, art. 132 et 136; espagnol, art. 139 à 141; italien, art. 193; néerlandais, art. 338.

térine ou incestueuse est interdite contre l'enfant comme à son profit. Cette solution ne peut faire aucun doute pour ceux qui pensent que l'enfant seul a le droit de rechercher sa filiation dans les cas où cette recherche est autorisée. Mais, même si l'on admet qu'en principe la filiation naturelle peut être recherchée contre l'enfant, la solution que nous avons indiquée nous semble incontestable. L'esprit de la loi est, en effet, très clair (').

690. Il est bien évident, en ce qui concerne spécialement la filiation paternelle, que l'action en recherche de paternité incestueuse ou adultérine est interdite même au cas d'enlèvement. L'art. 342 ne peut recevoir d'application que dans cette hypothèse. Le contraire a été cependant enseigné par quelques auteurs (2).

691. Ce que la loi prohibe, c'est la recherche de la maternité ou de la paternité adultérine ou incestueuse. Ainsi un enfant naturel est reconnu par un homme libre sans indication de la mère. On ne peut soutenir, pour faire tomber la reconnaissance, qu'il a pour mère une femme qui était mariée, lors de la conception, avec un autre que l'auteur de la reconnaissance. Une pareille prétention tendrait, en effet, directement à faire constater par la justice une filiation adultérine (').

(1, Loiseau, op. cit., p. 801; Duranton, III, n. 197 et 207; Aubry et Rau, VI, § 572, p. 216; Demolombe, V, n. 570; Demante, II, n. 73; Laurent, IV, n. 154. · Cass., 14 mai 1810, J. G., vo cit., n. 599, S., 10. 1. 272. - Cass., 14 mai 1811, J. G., vo el loc. cit., S., 14. 1. 111. Cass., 17 déc. 1816, J. G., ibid., S., 17. 1. 191. Cass., 1er avril 1818, S., 18. 1. 244. Cass., 11 nov. 1819, S., 20. 1. 222. Toulouse, 15 avril 1834, D., 34. 2. 228, S., 35. 2. 348. Besançon, 20 fév. 1844, D., 45. 4. 277. Grenoble, 7 mars 1849, S., 50. 2. 209. D., 53. 2. 23, S., 52. 2. 295. — Lyon, 22 janv. 1856, D., 56. 1882, D., 82. 2. 132, S., 82. 2. 178.

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Angers, 21 mai 1852,

2. 256.

Aix, 5 janv.

-

(*) Loiseau, op. cit., p. 735; Grenier, Des donations, I, n. 130 bis (4o éd., p. 559. (3) Pau, 7 juill. 1822, J. G., vo cit., n. 711. Aix, 30 mai 1866, D., 66. 2. 201, S., 67. 2. 73. Paris, 8 mai 1879, D., 82. 1. 203, S., 83. 1. 309, sous Cass., 16 fév. 1881. Cass., 13 juin 1882, D., 82. 1. 308, S., 84. 1. 219. Nous supposons, bien entendu, qu'on ne prétend pas que l'enfant dont il s'agit est l'enfant légitime de cette femme, mais que l'action a pour but de démontrer qu'il est né d'elle et de celui qui l'a reconnu. — - Une autre hypothèse peut être envisagée : l'enfant ou ceux auxquels appartient le droit de réclamer son état) revendique la qualité d'enfant légitime d'une femme mariée et dumari de celle-ci. Le fait qu'il a été reconnu par un homme autre que le mari ne rend pas son action irrecevable. L'enfant, à notre avis, n'aura même pas besoin de contester préalablement la sincérité de la

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