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espèce où il s'agissait de former opposition à un mariage projeté entre deux personnes que le ministère public soute. nait être unies par un lien de filiation naturelle (').

699. Voilà donc quelles sont les personnes qui peuvent prendre part aux débats, soit activement, soit passivement. A quelles règles de compétence l'action est-elle soumise? Dans quel délai doit-elle être intentée, comment se prescritelle? Telles sont les questions que nous avons maintenant à examiner.

§ III. Règles de compétence, délai et prescription.

700. Les textes sont absolument muets sur ces divers points. Dès lors, que doit-on décider? Nous pensons qu'il convient d'appliquer par analogie les principes relatifs à la filiation légitime. Nous sommes ainsi amenés aux solutions suivantes :

701. I. Les art. 326 et 327 sont applicables aux actions en recherche de filiation naturelle. On l'admet sans difficulté en ce qui concerne la maternité illégitime. Ces textes ne font en effet aucune distinction entre les enfants légitimes et les enfants naturels. Les raisons sur lesquelles ils sont fondés peuvent être également invoquées pour écarter la compétence des tribunaux criminels en matière de filiation naturelle. D'ailleurs on peut invoquer en ce sens l'Exposé des motifs de Bigot-Préameneu (2). La question est plus délicate en ce qui touche la recherche de la paternité. La raison de douter vient de ce que l'art. 340 n'exige pas, comme l'art. 341, que le demandeur produise un commencement de preuve par écrit. Or, il résulte, comme nous l'avons déjà vu, des travaux préparatoires, que l'art. 326 et l'art. 327, qui en est le corol

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L'arrêt

(') Grenoble, 14 janv. 1889, D., 90. 2. 193, et la note de M. Flurer. décide d'ailleurs que le ministère public est soumis au droit commun quant à la preuve qu'il prétend faire de la filiation.

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(*) Locré, VI, p. 216, 217. En ce sens, Marcadé, sur l'art. 340, n. 4; Demolombe, V, n. 531; Demante, II, n. 70 bis, IV; Héan, p. 203, 485; Mangin, Traité de l'act. publ. et de l'act. civ., I, n. 187; Laurent, IV, n. 25; Vigié, I, n. 583; Planiol, I, n. 1507. Contra: - V. les arrels cités dans J. G., vo cit., n. 369. Le Sellyer, Tr. de la compét. et de l'organis., II, n. 670; Bertauld, Quest. et excep. préjud., n. 35 s.; Rauter, Dr. crim., II, n. 670.

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laire, ont été édictés dans le but d'empêcher que l'on ne fasse devant les tribunaux criminels la preuve de la filiation par des témoignages non appuyés sur un commencement de preuve par écrit. Mais nous avons montré que les craintes manifestées à cet égard par les rédacteurs du code étaient absolument vaines et qu'il faut se placer à un point de vue tout différent pour justifier les dispositions des art. 326 et 327. Si les tribunaux criminels ont été déclarés incompétents pour connaitre des actions en réclamation d'état d'enfant légitime, c'est parce que, à raison soit de leur composition, soit des conditions particulières dans lesquelles ils sont appelés à juger, ils ne présentent pas des garanties suffisantes. Dès lors, les mêmes considérations conduisent à décider que l'art. 326 doit être appliqué à la recherche de la paternité. Par voie de conséquence, il semblerait que l'art. 327 dût être également appliqué, car la règle qu'il établit n'est que le corollaire de celle qui est contenue dans l'art. 326 ('). Celte dernière proposition est cependant contestée, avec raison, par plusieurs auteurs qui, tout en admettant que les tribunaux criminels sont, conformément à l'art. 326, incompétents pour connaître (au moins d'une manière principale) (*) de la question d'état de paternité naturelle, repoussent l'application de l'art. 327. Le fait de l'enlèvement et celui de la paternité, disent-ils, ne sont pas intimement liés, et ils peuvent être envisagés séparément. L'art. 327 suppose une réclamation d'état qui a été rendue nécessaire par un crime ou un délit de suppression d'état. Or, il n'y a pas eu ici de suppression d'état. Par suite, la juridiction répressive pourrait très bien être appelée à statuer sur l'enlèvement de la femme, avant que les tribunaux civils se soient prononcés sur la question de filiation. Et il n'y aurait aucun inconvénient à admettre que ces derniers peuvent puiser des éléments de conviction. dans la procédure criminelle qui a eu l'enlèvement pour objet (3).

(1) Marcadé, Planiol, loc. cit.

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(2) Cpr. supra, n. 599. Cass., 15 janv. 1818, J. G., v° cit., n. 643. (3) Dalloz, J. G., vo cit., n. 642. n. 532; Laurent, IV, n. 25 et 100.

Demante, II, n. 69 bis, VI; Demolombe, V,

702. II. L'action en recherche de paternité ou de maternité est-elle susceptible de s'éteindre par la prescription, pendant la vie de l'enfant? L'état de l'enfant peut-il faire l'objet de conventions et de renonciations valables? En faveur de l'affirmative, on a présenté les considérations suivantes : L'art. 328, a-t-on dit, ne doit pas être étendu à la filiation naturelle, car il n'y a pas d'assimilation possible entre l'enfant légitime et l'enfant naturel. Le premier tient son état à la fois de la loi et de la nature. C'est la loi elle-même qui règle son état et lui assigne sa place dans la famille. Au contraire, l'enfant naturel n'a pas d'état au moment de sa naissance. Il ne peut acquérir un état que par un acte de volonté. Il faut qu'il soit reconnu volontairement par son père ou par sa mère. A défaut de reconnaissance, il est nécessaire qu'il exerce une action en justice, c'est-à-dire qu'il accomplisse un acte volontaire. Dès lors, l'état de l'enfant dépend de sa volonté et de celle de ses auteurs. S'il en est ainsi, pourquoi frapper de nullité les conventions relatives à cet état? Pourquoi ne pas admettre, notamment, que l'enfant peut s'engager à garder le silence et à ne pas rechercher sa filiation? Et si l'enfant peut renoncer à son action, il faut logiquement décider que cette action est prescriptible (').

Ces solutions sont très généralement repoussées, avec raison, à notre avis. Etant donné la nature de l'action qui nous occupe, il ne nous paraît pas douteux qu'elle ne peut pas être atteinte par la prescription, du moins tant que dure la vie de l'enfant. Il s'agit, en effet, de l'état de celui-ci, et l'état des personnes n'est pas susceptible de se perdre par la prescription. Loin d'être un texte exceptionnel, l'art. 328 se borne à consacrer un principe de droit commun. Il n'y a donc pas de motifs pour en écarter l'application en matière de filiation naturelle (2). Il faut de même décider, conformé

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(1) Paris, 3 juillet 1812, J. G., vo Paternité, n. 632, S., 12. 2. 42. - Cpr. Aix, 16 juin 1836, J. G., ibid. D'après les C. civ. espagnol, art. 137, et portugais, art. 133, l'enfant doit, en principe, exercer son action pendant la vie de ses auteurs prétendus; après le décès de ceux-ci, l'action n'est recevable que dans un certain délai, ou si certaines conditions spéciales se trouvent réunies.

(2) Marcadé, art. 340, n. 4; Aubry et Rau, VI, § 570, texte et note 29; Demolombe, V, n. 514 et 515; Demante, II, n. 70 bis, IV; Laurent, IV, n. 24; Arntz, I, n. 610.

ment à l'art. 6 du C. civ., que l'état de l'enfant, qui est d'ordre public, est au-dessus des conventions privées. L'enfant naturel a, comme l'enfant légitime, un état que lui donnent la loi et la nature et d'où résultent pour lui des droits et des devoirs. Seulement, cet état peut être inconnu, et l'enfant devra exercer une action en justice pour le faire constater. A ce point de vue, il n'y a aucune différence entre l'enfant naturel et l'enfant légitime. Et si ce dernier ne peut pas faire de conventions valables sur son état, pourquoi en serait-il autrement du premier? Nous conclurons donc que l'enfant ne pourrait valablement renoncer à rechercher sa filiation; que la reconnaissance, émanant des tiers en dehors des formes et conditions légales, serait frappée de nullité et ne leur serait pas opposable; enfin, qu'en cette matière, on ne peut ni transiger, ni compromettre. Les solutions que nous venons de donner ne sont d'ailleurs exactes qu'en ce qui concerne l'état envisagé en lui-même. Mais les droits pécuniaires qui découlent de la filiation sont susceptibles de se prescrire et peuvent faire l'objet de conventions valables (1).

703. III. En admettant que l'action en recherche de filiation naturelle soit transmissible aux héritiers de l'enfant, cette action est-elle soumise aux règles restrictives édictées par les art. 329 et 330? Nous le pensons ainsi, avec la doctrine en général (*). Il serait, en effet, étrange que les héritiers de l'enfant naturel fussent mieux traités que ceux de

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(1) Marcadé; Aubry et Rau; Demolombe, loc. cit.; Laurent, IV, n. 22 et 23. — Limoges, 6 juil. 1832, J. G., vo cit., n. 633. Cass., 12 juin 1838, J. G., ibid., S., 38. 1.695. Grenoble, 18 janv. 1839, J. G., ibid. Cass., 21 ou 22 avril 1840, J. G., ibid., S., 40. 1. 873. — Cass., 9 mai 1855, D., 55. 1. 228, S., 56. 1. 743. — Cpr. Héan, p. 483.

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(2) Valette sur Proudhon, II, p. 153; Marcadé, sur l'art. 340, n. 4; Ducaurroy, Bonnier et Roustain, I, n. 502; Demante, II, n. 70 bis, IV; Héan, p. 477; Demolombe, V, n. 524; Baudot, Rev. prat., 1857, III, p. 341 s.; Hérold, Rev. prat., 1860, X, p. 128. Angers, 29 mai 1852, D., 55. 2. 264, S., 52. 2. 641. Cpr. Paris (motifs), 12 juill. 1855, S., 56. 2. 451. Grenoble, 16 déc. 1867, D., 68. 2. 112, S., 68. 2. 313. En sens contraire: Aubry el Rau, VI, § 570, texte et note 4; Baret, op. cit., p. 94, note 4; Laurent, IV, n. 103; Huc, III, n. 91; Vigié, I, n. 578, 581. Cpr. Bordeaux, 27 août 1877, D., 78. 2. 193, S., 79. 2. 105. - Il va de soi d'ailleurs que les restrictions résultant des art. 329 et 330 ne sauraient être appliquées à ceux qui exercent l'action en recherche de filiation, sans être héritiers de l'enfant.

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l'enfant légitime, étant donné que le législateur traite la filiation naturelle moins favorablement que la filiation légitime. Si donc les rédacteurs du code civil avaient voulu accorder l'action sans restriction aux héritiers de l'enfant naturel, ils n'auraient pas manqué de s'expliquer sur ce point. Le silence qu'ils ont gardé doit être interprété en ce sens que les art. 329 et 330 doivent recevoir leur application

en notre matière.

IV. Effets de la reconnaissance forcée ou judiciaire.

704. La loi n'ayant pas indiqué les effets de la reconnaissance judiciaire ou forcée, on doit admettre qu'ils sont les mêmes que ceux de la reconnaissance volontaire ('). Toute autre solution serait plus ou moins arbitraire. Il y a cependant une différence notable à signaler entre les deux modes de preuve de la filiation naturelle. La reconnaissance volontaire prouve à l'égard de tous la filiation qu'elle constate. Au contraire, le jugement rendu sur l'action en recherche de paternité ou de maternité naturelle ne prouve la filiation que dans les relations seulement des parties en cause et de leurs représentants. Il ne peut être opposé aux tiers qui ne peuvent non plus s'en prévaloir. En admettant même, avec la jurisprudence, que l'enfant seul ait le droit de rechercher sa filiation, il est bien certain que la loi ne détermine limipas tativement les personnes contre lesquelles l'action peut être intentée. Dès lors, par application des principes que nous avons posés (supra, n. 424), nous devons décider que la sentence rendue par le juge n'a qu'une autorité relative (2). Il en est autrement, nous l'avons vu, en matière de désaveu (art. 312 s.). Le jugement qui admet le désaveu sur une action intentée par le mari ou tous ses héritiers contre l'enfant ou tous les représentants de celui-ci prouve erga omnes la filiation naturelle de l'enfant. La raison en est que les débats

(1) Cpr. C. civ. italien, art. 192.

(*) La question qui nous occupe ne parait pas avoir été envisagée d'une manière spéciale par les partisans du système du contradicteur légitime. V. cep. Héan, p. 419 et 490.

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